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BOUGIE DE MADAME BERTHE (La)



LA BOUGIE DE MADAME BERTHE.

 

 

Quand elle est morte, Madame Berthe était une mamie de quatre-vingt-dix ans. Mais une mamie alerte et trottinant comme une petite souris.

 

Ma grand-mère Odette, qui avait le sens de la description, aurait dit d’elle qu’elle était haute comme trois pommes et un calot. (*) Car c’est vrai, elle n’était pas bien grande, et pas bien grosse non plus, Madame Berthe.

 

 

(*) Nom en patois Beauceron du fruit du noyer … la noix.

 

 

 

Tous les jours et toute seule, elle allait faire son marché. Et il n’était pas question que quelqu’un le fasse pour elle.

 

.- ‘’tant que je pourrai marcher, disait-elle à ceux qui s’inquiétaient pour elle, je n’ai besoin de personne pour m’aider‘’.

 

La manière toute particulière dont elle prononçait cette phrase, et le regard qui l’accompagnait, coupaient court à tout commentaire. Alors pour les uns, elle passait pour ce qu’elle n’était pas, une femme au mauvais caractère, et pour les autres pour une mamie qui savait ce qu’elle voulait.

 

Ah ! Elle était un peu autoritaire Madame Berthe, mais c’était une femme indépendante.

 

 

En fait, c’était une femme qui durant toute son existence avait lutté seule ; et il faut bien avouer que la vie ne lui avait pas fait de cadeau. Mariée à vingt ans elle s’était retrouvée veuve à vingt cinq et avec deux enfants.

 

Son mari, d’après ses dires, était le plus bel homme au monde. Elle l’avait rencontré un dimanche de Mai, lors d’un concert au ‘’tambour royal‘’, un petit théâtre du faubourg du temple. Ce jour là, elle s’en souvenait comme si c’était hier. Un tout jeune inconnu, un certain Maurice Chevalier, passait alors sur scène.

 

Après ce concert tout alla très vite, elle fut demandée en mariage, elle se maria, mit au monde deux enfants et la guerre de 14/18 emporta son mari.

 

 

Lorsque la paix retrouva droit de cité elle vint s’installer avec ses deux enfants dans le quinzième, rue saint Saëns, pas très loin du champ de Mars et de la tour Eiffel, et tout à coté des ateliers du journal officiel.

 

Dans les jours qui suivirent son emménagement, en rangeant, elle retrouva au fond d’une boîte à chaussures, sous les photos de famille, une petite bougie blanche, torsadée, d’une quinzaine de centimètres et encore sous cellophane.

 

Inconsciemment, en se plongeant dans ses photos, elle s’était assise à même le sol. Et quand elle vit cette chandelle elle avança la main pour la saisir. Mais sa main se mit alors à trembloter.

 

Lorsque l’objet reposa dans la paume de sa main, ses trémulations cessèrent. Son regard s’embua et se concentra sur la petite forme blanche. Madame Berthe était alors comme pétrifiée, et en dehors du temps.

 

 

Ce furent les cris et les rires de ses enfants qui la ramenèrent sur terre. Leurs jeux avec les gosses de leurs nouveaux voisins venaient de se terminer.

 

Devant le spectacle que leur donnait leur mère, la plus grande voulut regarder les photos et le plus petit réclama la bougie.

 

Alors Berthe, comme sortant d’un rêve, les regarda, leur sourit, se releva, et, faisant mine de n’avoir rien entendu elle referma la boite en carton, et la rangea en bas du placard hérité de ses beaux parents. Puis, montrant à ses deux enfants la bougie qu’elle tenait toujours dans le creux de sa main, religieusement elle la posa debout sur le buffet, entre une assiette en porcelaine et deux photos de famille.

 

Alors, prenant un ton solennel elle dit à ses enfants :

 

.-   ‘’c’est un cadeau de votre père. Vous n’avez pas le droit d’y toucher. Seulement celui de le regarder. Car c’est un petit morceau d’amour ; et l’amour est bien trop fragile pour que tout le monde y touche.‘’

 

Dans la famille, c’était la règle : On ne touchait pas aux cadeaux des uns et des autres ; et puis en plus celui-là avait une histoire !...

 

 

Peu de temps après leur mariage, Madame Berthe et son mari étaient allés faire un tour dans un grand magasin, ‘’au bon marché‘’. Au rayon des luminaires elle était restée en admiration devant un superbe candélabre porteur au moins d’une bonne vingtaine de bougies blanches et torsadées.

 

En la voyant, béate, son mari lui avait dit en riant :

.- ‘’ne rêve pas trop chérie, avec mon salaire nous pourrions seulement nous payer les bougies.

.-   ‘’mais venant de toi mon amour, je serai heureuse avec une seule de     ces bougies.‘’ Lui avait-elle alors répondu.

 

Et puis ils en étaient restés là, et quelques mois passèrent.

 

 

Arriva le jour anniversaire de leur mariage. C’était le tout premier. Ce jour là, le mari de Berthe entra du travail avec un gros bouquet de fleurs et … un drôle de petit paquet qu’il remit à sa femme en disant d’un air tendre et ironique :

.- ‘’A raison d’une par an, dans vingt ans nous pourrons peut-être acheter le support qui va avec ‘’.

 

En découvrant la bougie, l’épouse qui avait feint de ne pas comprendre, éclata de rire et se jeta dans les bras de son mari en l’étreignant de toutes ses forces.

 

A leur deuxième anniversaire de mariage, point de bougie, ni même de fleur !... Alors Madame Berthe ravala sa salive, et fit une croix sur les dix-neuf autres. Pourtant, dans sa petite tête, l’idée des bougies et du chandelier avait fait son chemin, car elle y avait sacrément cru !...

 

D’autant plus cru que l’histoire, après vingt et ans, aurait été si belle à raconter à ses voisins … ses amis …et pourquoi pas, ses petits enfant !...

 

Hélas, même s’il y avait eu une deuxième, voire une troisième bougie, la guerre aurait mis fin à ce beau rêve ?!...

 

 

 

Toujours est-il que cette bougie resta soixante-dix ans sur son buffet, entre l’assiette en porcelaine et deux photos de famille, sans que personne, sauf Madame Berthe, n’y toucha … jusqu’au jour où !…

 

Madame Berthe, en revenant de ses courses trouva sa porte ouverte ainsi que celles de ses placards.

 

Ce jour là, un intrus était entré chez elle, avait tout retourné et emporté de menus objets dont … la bougie.

 

 

Le vol de cette bougie torsadée fut-il la cause de la tragédie qui suivit ?... Nul ne peut et ne pourra le dire. Toujours est-il que Madame Berthe tomba malade quelques jours plus tard, et que dans les trois mois qui ont suivi, inconsolable, elle quitta le monde des vivants.

 

 

Peut-être que dans l’autre monde, a-t-elle retrouvé son mari qui l’attendait heureux et confus, tenant à la main un grand chandelier d’au moins vingt bougies blanches et torsadées ?...

 

Hélas, personne ne peut le confirmer ni même le dire ?!... Mais, il n’est pas interdit de l’imaginer.




03/10/2014
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