MerveilleuseChiang-Mai

MerveilleuseChiang-Mai

ORDINATION D’ARBRES (L’)


ORDINATION D'ARBRES (L')

 

 

Préambule : Au mot ''ordination'', que les anglophones emploient, en tant que Français je préfère celui de ''consécration'' qui me paraît mieux adapté aux situations auxquelles il se rapporte.

 

 

CONSECRATION D'ARBRES (La)

                                      Ou encore …

 

LA CEREMONIE DE CONSECRATION D'ARBRES

 (Cérémonie ''buat' ton'-maï''พิธีบวชต้นไม้).

 

LA CEREMONIE DE CONSECRATION DE FORÊTS

(Cérémonie ''phithi buat' pa'' – พิธีบวชปา)

 

 

Si vos pas de globe-trotter vous conduisent en Thaïlande et plus particulièrement au Lanna, dont Chiang-Mai est la capitale, vous ne serez pas sans être intrigués par la tenue … ''vestimentaire'' … de certains arbres.

 

En effet, nombre d'entre eux sont ceints d'une pièce de tissu de couleur safran, qui ne laisse aucun doute sur le lien qui la rattache avec l'habit de la gent monastique.

 

   

 

 

Photo 1 : La route de Chiang-Maï à Lamphun bordée de ''Yang-Na'' ou ''diptérocarpus alatus Roxb.'' ceints d'un voile.

Photo 2 : Le parc ou se trouvent les ruines du Wat Bo Namthip (วัดบ่อน้ำทิพย์) de la défunte Wiang Kum Kam (เวียงกุมกาม) près de Chiang-Maï.

Photo 3 : Le parc du Wat Bo Namthip (วัดบ่อน้ำทิพย์).

 

 

Cette façon, pour les bouddhistes, d'honorer et d'attirer l'attention sur leur héritage physique ou matériel ne date pas d'aujourd'hui. Déjà, dans les temps anciens, c'était ainsi que les disciples du Bouddha signalaient à leurs fidèles leurs diverses consécrations environnementales.

 

L'arbre de la Boddhi, celui où Bouddha trouva l'illumination, aurait été ceint de cette manière. Et, il n'est pas impossible de penser que ce rite fut – peut-être – emprunté à des courants mystiques antérieurs au bouddhisme ?!...

 

 

Le retour à grande échelle de cette pratique, plus particulièrement au Lanna, remonte aux années 1990. Mais les raisons qui ont présidé au ''boum'' de cette coutume, à son institutionnalisation selon un rite bien précis, et à son développement, ne sont plus du tout les mêmes qu'autrefois.

 

En l'occurrence il s'agit aujourd'hui, non plus d'une signalétique uniquement honorifique, mais d'une signalétique de protection vis-à-vis de prédateurs humains corrompus, cupides ou plus simplement inconscients.

 

 

La plupart des ouvrages que j'ai consultés sur ce sujet, ''l'ordination des arbres'', n'abordent que le côté matériel et géophysique du phénomène. En effet les auteurs en question passent sous silence deux points qui me semblent pourtant capitaux.

 

     

 

 

Aujourd'hui encore les objets sacrés sont rappelés à l'attention et au respect des fidèles. Chiang-Maï n'échappe pas à la règle, bien au contraire.

 

Photo 1 : Le Chédi du Wat Indrakin.

Photo 2 : Une stèle se trouvant dans l'angle Hua Lin intra muros (แจ่งห้วลิน)  

Photo 3 : Le chédi du Wat Chai Phra Kiat (วัดชัยพระเกียรติ) (intra-muros)

Photo 4 : Au Wat Chai Phra Kiat, comme les humains, certains arbres sont moins bien vêtus que d'autres !...

 

 

Le premier d'entre eux concerne le Lanna.

 

Quand on s'intéresse à la Thaïlande il ne faut jamais oublier que ce pays se constitue de plusieurs royaumes et sultanats.

 

Le plus puissant d'entre eux, le Siam dont Bangkok était la capitale, a tout simplement annexé les autres ; et durant un certain temps s'est conduit vis-à-vis d'eux à la manière des colonisateurs occidentaux dans les pays voisins.

 

Autrement écrit, le Siam exploitait au mieux de ses intérêts toutes ses conquêtes territoriales, et, sans le moindre état d'âme !...

 

Il en a d'ailleurs toujours été ainsi dans la péninsule Indochinoise. Le plus puissant avait tous les droits, en particulier de vie et de mort, et celui de s'enrichir aux détriments de ses vaincus !...

 

Or, l'une des sources d'enrichissement des vainqueurs à l'horizon des années 60, passait par l'abattage des arbres chez les vaincus, c'est-à-dire en Isaan et au Lanna, là où va ''renaître''… comme par hasard … la signalétique dont j'ai fait état plus haut. Mais une signalétique de protection et non de glorification.

 

Aujourd'hui encore le discours officiel argue que les forêts sont un bien national, et prétend que seuls les hommes de l'art, c'est-à-dire les experts de Bangkok sont à même de la gérer au mieux et dans l'intérêt de la nation. Ce qui évidemment ne correspond pas à la réalité d'après les intéressés qui vivent  au Lanna et en Isaan !...

 

Hélas !... ce qui va suivre ne peut que donner raison aux populations du Lanna, d'Isaan mais aussi du Sud de la Thaïlande.

 

 

 

 

Photo 1 : Carte de la Thaïlande mettant en évidence royaumes et sultanats divers.

Photo 2 : Carte du Nord de la Thaïlande, région ou se situait le Lanna. Grosso-modo les 9 provinces du nord.

 

 

Le deuxième point est de l'ordre de la superstition.

 

Une fois encore il me faut rappeler que le bouddhisme a pris sous son aile une kyrielle de pratiques animistes, dont l'existence phénoménale d'esprits, appelés phis (ผี) par les indigènes.

 

Ces esprits, encore aujourd'hui, sont craints et pour cette raison très honorés … voire cajolés … par la population. Ainsi tout un chacun aménage près de sa demeure une petite maison où les esprits trouvent asile et de quoi manger chaque jour. Une manière comme une autre de se concilier leurs bonnes grâces et d'éviter leurs colères.

 

Mais les esprits sont si nombreux que la plupart d'entre eux n'ont d'autre possibilité que de se loger dans les arbres. Ce qui signifie que lorsqu'un arbre est abattu, (*) et surtout un arbre sacré, les esprits chassés de leur demeure vont chercher à se venger de ceux qui les ont délogés.

 

Alors la moindre maladie ou le moindre accident qui n'aurait constitué qu'un aléa de la vie courante en temps normal, devient, dans le cas d'une coupe d'arbre (s), la réponse du berger à la bergère, c'est-à-dire des représailles de la part des génies sans abris.

 

A cette maladie, ou à cet accident, voire les deux, viendront se surajouter les témoignages de gens ''sincères'' qui vont se croire victimes de maux …  imaginaires … au moindre disfonctionnement de leurs habitudes.

 

Toutes ces rumeurs ajoutées les unes aux autres ne feront qu'accréditer et renforcer, dans ''l'esprit'' des gens, la vengeance des génies chassés de leur(s) arbre(s).

 

Pour mettre un terme à ces vengeances et apaiser les ''esprits'' (Les Phis et ceux de la population) les moines du Wat le plus proche viendront officier (**) et … y compris peut-être avec quelques célébrations personnels du genre animiste, tout rentrera dans l'ordre.

 

Bref, les superstitions d'antan ont encore de beaux jours devant elles, et abattre un arbre n'est pas sans conséquences psychologiques graves en plus des effets matériels ou géophysiques désastreux !...

 

 

 

(*) Lorsque le Siam a commencé à se doter d'un réseau routier, vers les années 1920, c'étaient les détenus et les condamnés à mort qui avaient la charge d'abattre les arbres qui entravaient le passage des routes. Car les ouvriers engagés à la construction des routes refusaient d'abattre les arbres par peur des représailles des génies.

 

(**) Pas plus tard qu'en Février-mars 2011, à Chiang-Mai, à la suite de 4 morts suspects dans un même hôtel, des moines sont venus officier pour y chasser les mauvais esprits ! …

 

Car ces défunts ne pouvaient être que les victimes de mauvais esprits !...

 

En fait ''d'esprits'', un pesticide répandu à trop grande dose dans les literies serait – peut-être - à l'origine de ces décès ?!...

 

Mais la thèse des esprits est en conformité avec le mode de penser des autochtones et permet d'occulter la cause réelle des décès.

Ainsi les uns se confortent dans leurs croyances et le tourisme ne serra pas vraiment affecté par … cet incident de parcours, d'autant qu'aux dernières nouvelles le ''Down town Inn'' appelé ''l'Hôtel de la mort'' par le Bangkok Post est en cours de démolition !...

 

 

     

 

 

Quelques maisons d'esprits à Chiang-Mai intra muros.

Photo 1 & 4 : Maisons des esprits devant des demeures particulières.

Photo 2 : Maison des esprits située dans l'angle Hua Lin (แจ่งห้วลิน) des fortifications.  

Photo 3 : Détail des offrandes faites aux génies de la maison précédente. (Il y a tout derrière les boissons du riz et des cigarettes.)

 

 

Les anciens ont toujours des histoires de ce genre à raconter lors des réunions, fêtes ou veillées. Et la parole d'un ancien ne saurait être remise en doute. Ce qui ne fait qu'augmenter auprès des auditeurs l'authenticité et la crédibilité de semblables récits.

 

C'est en se souvenant de l'une de ces fables et de la cérémonie qui la ponctuait qu'un moine, Phra Khru Manat Nathiphitak (พระครูมานัสนทีพิทักษ์) du Wat Photharam (วัดโพธาราม) de Phayao (พะเยา) au Lanna qui, pour venir en aide à de braves paysans qui allaient être dépossédé de leurs terres après une coupe d'arbres, eut l'idée, pour éviter les coupes de prévues, d'une cérémonie suivie par la pose d'une robe monastique sur chacun des arbres menacés.

 

Cette robe et les symboles qui s'y rattachent eurent l'effet escompté. Les bûcherons tant par crainte du Bouddha que des esprits, refusèrent de commettre un acte dont leur karma aurait eut à souffrir.  

 

Cette … ''première'' … aurait eut lieu le 14 octobre 1988 dans les environs de Phayao une ville du … Lanna !...

 

Avec cet acte et ceux qui suivirent, mais aussi les catastrophes naturelles causées par des déboisements à tout va, sans se soucier de la reconstitution de l'écosystème, et sans contrôle, les pilleurs de forêts allaient voir se mettre en place une plate-forme de résistance pour contrer leurs abus et préserver un patrimoine commun à toute l'humanité … les arbres et les forêts.

 

   

 

 

             Phra Khru Manat Nathiphitak (พระครูมานัสนทีพิทักษ์)

 

Nota bene : Notez que le moine en question portait le titre de Phra Khru (พระครู) et que de ce fait il jouissait d'une certaine autorité spirituelle.

 

 

 

LE PILLAGE DES FORÊTS :

 

Le profit à court terme, sans le moindre souci de ses conséquences désastreuses, ainsi que la corruption la cupidité et la stupidité ont été l'aiguillon de la déforestation thaïlandaise.

 

En 1936, l'année où le Siam passait inéluctablement entre les mains des militaires (1), les forêts s'étendaient sur 70% de la surface du pays.

 

En 1952, cette surface boisée n'est plus que de … 58% !...

En 1961, elle tombe à 55% !... et …

En 1973, elle n'est plus que de 38% !....

 

En 1989, (2) année où des mesures furent prises, pour soi-disant mettre fin au déboisement, l'étendue sylvestre thaïlandaise n'était plus qu'une peau de chagrin !...

 

D'un côté les ''experts de Bangkok'' liés au Département Royal des Forêts (RFD – Royal Forest Department - ภาควิชาการจัดการป่าไม้) prétendaient que les bois occupaient encore 25% du territoire national ?!.....

 

Mais une autre source, non officielle celle-là, laissait entendre que le vrai chiffre devait tourner autour de …15% ?!...

 

Bref !... en trente ans 150.000 Km2 ont été soustraits aux forêts pour devenir des champs de cultures.

 

 

Une cinquantaine d'années auront donc suffit pour détruire l'une des plus belles richesses du pays, mais aussi appauvrir quantité de gens et mettre en péril la vie de nombreux autres.

 

Car la déforestation à tout crin amplifie les catastrophes naturelles, glissements de terrain, inondations et autres cataclysmes subséquents.

 

 

Hélas, les mesures de 1989 (2) n'ont rien arrêté. Car les auteurs de ces déboisements appartenaient tant au monde des industriels du bois qu'à celui de la politique et de l'armée.

 

Ainsi, des parlementaires et des ministres coiffèrent (coiffent ?...) la casquette de ''concessionnaire forestier''. Et il semblerait que leurs intérêts personnels aient été plus prioritaires que ceux des populations dont ils se disaient avoir la charge et la protection  ?!....

 

   

 

 

A cause d'un déboisement intensif et non contrôlé les côtes du sud de la Thaïlande ne sont plus protégées des vents et leurs terres retenues. Alors à la moindre tempête c'est la catastrophe !...

Ci-dessus des photos de la coulée de boue de novembre 1988 qui défraya les chroniques. C'était dans la province de Nakhon Si Thammarat, district de Phipun (พิปูน).

 

Photos venant du site : http://www.arkung.com/node/137

 

 

Pour la petite histoire, ce pillage de forêt conduisit les armées Laotienne et Thaïlandaise à l'affrontement.

 

En août 1987, une compagnie thaïlandaise, protégée par quelques soldats thaïlandais, donc impliquant l'armée, déboise illégalement en territoire Laotien. Prévenue, l'armée Laotienne intervient et arrête tout le monde.

 

Le ton monte entre les deux pays, (3) au point que les armes se mettent à crépiter pendant … une centaine de jours. Le cessez-le-feu ne sera signé que le 19 février 1988.

 

Durant ce laps de temps, entre 700 et 1000 soldats des deux camps, selon les sources, y laisseront leur vie !....

 

Il y eut certainement plus de morts du côté Thaï que du coté Lao, ces derniers ayant eu la bonne idée de se retrancher pour éviter le découvert.

 

 

Ce ''différent'', sans vainqueur ni vaincu, entrera dans l'histoire sous le nom de ''guerre des collines'' ou ''guerre de  ''Baan Romklao'' (สงครามร่มเกล้าบ้าน).

 

L'histoire officielle mettra en avant un désaccord sur le tracé de la frontière établit par les Français en 1907, (La colonisation à ses bons côtés … et le dos large !...) alors que dans les faits il s'agissait pour les Thaïlandais de couvrir … et pour les Lao de chasser … une société thaïlandaise pilleuse de forêts !....

 

 

La lecture de ce qui précède suffit pour comprendre que les paysans du Lanna, d'Isaan et d'ailleurs, qui refusaient un déboisement au profit d'une plantation, d'eucalyptus ou de maïs, soi-disant créatrice d'emplois et de nouveaux revenus, (4) n'étaient pas de taille à résister aux décisions du département royal des forêts ; d'autant qu'à une certaine époque un paysan récalcitrant passait pour être un dangereux communiste.

 

Ce dernier n'avait alors que le choix entre fuir et rester libre ou, être arrêté et tomber sous le coup de la loi martiale !...

 

Bref !... le droit et la force était du côté des pilleurs de forêts, et les paysans, comme du temps de Mengraï au XIIIe siècle, devaient accepter sans mot dire leur sort, y compris d'être déporté sur d'autres terres !...

 

 

 

(1) Rama VII, depuis Londres, abdiqua le 2 mars 1935.

 

(2) Le 10 janvier 1989 le gouvernement fut en fait obligé, sous la pression de l'opinion publique, des étudiants, et … du roi, de révoquer toutes les concessions forestières.

Car en novembre 1988 un ouragan s'abattit sur la région de  Nakhon Si Thammarat, dans le sud de la Thaïlande, et fit plus de 300 victimes à la suite d'un glissement de terrain subséquent au déboisement. (Voir photos plus haut).

 

Phra Siew Bunyachato  un moine de la région fut le premier à rompre le silence imposé par la force des armes, car des plaintes avaient été déposées, et non reçues, bien avant le drame.

A leur tour des paysans, cette fois sans peur des représailles, accusèrent les déboiseurs d'être à l'origine du glissement de terrain ; un parlementaire de la région osa même en faire autant.

Alors les éditorialistes des grands journaux nationaux, auparavant prudents, s'engouffrèrent dans la brèche et alertèrent leurs lecteurs.

A la suite de ces reportages un mouvement de sympathie se créa spontanément dans tout le pays, et des manifestations s'enchaînèrent les unes aux autres pour demander l'arrêt des déboisements.

Le gouvernement d'alors, mis au pied du mur et sur l'invitation du roi, se vit dans l'obligation de réagir !... Mais !... tout continua comme par le passé !...

 

Exemple : Le 27 Août 2004, un géologue de l'université de Chulalongkorn, Sombat Yumuang (สมบัติ อยู่ เมือง) déclarait que 1000 villages étaient menacés par des glissements de terrain à cause de la déforestation.

L'estimation officielle n'était alors que de … 200, pieux mensonge ou réalité ?!... A votre avis ?...

 

(3) Le ton a monté entre la Thaïlande et le Laos parce qu'un ministère thaïlandais s'est permis d'intervenir, alors qu'il n'avait pas à le faire, lors des tractations préliminaires visant à éviter le conflit.

 

Ce ministère avait-il des liens particuliers avec les pilleurs de forêts ?... Je laisse au lecteur le soin de faire sa propre enquête sur le sujet !....

 

(4) Les plantations d'eucalyptus n'ont rien apporté aux populations locales, les plantations de maïs n'ont fait qu'appauvrir les sols, (le maïs a des besoins d'eau considérable), et diminué par voie de conséquence, les revenus des paysans !...

 

Il faut aussi savoir que les côtes du sud de la Thaïlande ne sont plus protégées par les forêts de ''mangroves'', (genre de marécages) car elles ont été rasées au profit de bassins d'aquaculture pour l'élevage de crevettes d'où les glissements de terrain et inondations.

 

Alors ce que gagnent les producteurs de crevettes, car cette industrie rapporte gros, les populations le paient en vies humaines et en vies brisées, suite à certains ouragans comme celui de 1988, dont j'ai fait état plus haut.       

 

 

   

 

 

Photos concernant ''Baan Romklao''. Au milieu d'elles un soldat thaïlandais pose pour la gloire et l'éternité sur un fond de déforestation qui montre que les déforesteurs sont pilleurs hors pairs.  

 

 

 

LE BOUDDHISME, LE SANGHA ET LES MOINES.

 

 

En retrouvant son indépendance en 1769, et avec l'arrivée du colonialisme en Asie du Sud-est, le Siam est devenu un royaume centralisateur.

 

Du côté religieux, son nouveau roi, Taksin (1734- 1768 -1782) remît de l'ordre dans le sangha. Ce qui ne fut pas du goût de tous les moines d'autant que certains furent condamnés aux travaux forcés !... (1)

 

Ainsi en 1773 le nouveau roi promulgua une loi sur la vie monastique et deux ans plus tard créa la fonction de patriarche suprême du Siam, ou Sangharaj (พระ สังฆราช) qu'il était le seul à pouvoir nommer et qu'il pouvait révoquer à son gré !...

 

Autrement dit la religion était, et est au service de l'état. Les moines sont tenus de soutenir le souverain et ce dernier protège le sangha, c'est-à-dire la communauté des moines. CQFD.

 

Alors depuis cette époque, au Siam d'abord et maintenant en Thaïlande, le nouveau nom du Siam, il est malvenu qu'un moine sorte des rangs pour une raison ou pour une autre. (2)

 

 

Cette façon de voir le sangha, qui date de l'époque de l'économie de subsistance, est toujours en vigueur ; or depuis les années 60 un grand bouleversement économique s'est substitué à l'autosuffisance en provoquant des drames humains et écologiques.

 

Alors quelques membres du sangha, essentiellement du Lanna mais aussi de l'Isaan, armés d'un sacré courage, se sont sentis interpellés sur les nouvelles conditions sociales de leurs ouailles et la déforestation, et cela … au grand dam de tous les affairistes.

 

D'après ces derniers, et conformément à la loi monastique, les bonzes n'ont pas à s'occuper de questions politiques et économiques, mais spirituelles.

 

Or ces moines hors du commun, désignés par le vocable de Phra Nak Anuraksa Thammachat (3) (พระนักอนุรักษ์ ธรรมชาติ) ou Phra Nak pour faire plus court, c'est-à-dire moines écologistes répondent à leurs détracteurs que Bouddha en son temps n'était pas sans avoir eu des préoccupations concernant les hommes et la nature.

 

D'ailleurs le deuxième précepte bouddhiste n'est-il pas ''s'abstenir de tuer'' ?... Or la misère et le déboisement sont responsables de la mort d'hommes et d'une faune riche et variée.

 

 

Par rapport à cette nouvelle situation économique, deux tendances se firent jour au sein du sangha, celle des conservateurs, la plus importante, qui, imperturbable, restait dans la ligne d'antan, et celle, comptant seulement quelques … ''trublions'' … qui se sentaient concernés par les multiples effets négatifs de la nouvelle économie.

 

 

De part son attitude la hiérarchie cautionna indirectement ou … directement ( ?) (4) … l'arrestation de certains de ces (et de ses) moines dont l'engagement troublait – soi-disant – l'ordre public.

 

Certains d'entre eux furent même défroqués et contraints de porter une robe blanche afin d'être mieux désignés à la vindicte populaire.

 

Phra Prajak Kuttajitto (5) (พระประจักษ์ คุตฺตจิตโต) un Phra Nak Anuraksa attaché à l'Isaan fut une figure charismatique de ces moines à visage social.

 

En 1989 il va s'engager dans la protection de la forêt de Dong Yai (ดงใหญ่). Ce qui va lui valoir d'être arrêté deux fois, soi-disant pour avoir violé les lois de l'état et trainé une soixantaine de fois devant les tribunaux !...

 

 

Pire encore ( ?....), le 17 juin 2005, Phra Supoj Suvacano (พระ สุพจน์ สุวโจ), un moine de la province de Chiang-Maï qui s'opposait à l'implantation d'une mandarineraie près de son Wat, fut trouvé … assassiné !...

 

L'honnêteté intellectuelle m'oblige à préciser qu'aucun lien n'a été établi entre la mandarineraie et l'assassinat. Mais a-t-on seulement cherché à voir s'il y en avait un ?...

 

En conclusion de ce chapitre, force est de constater qu'un moine militant est loin d'être à l'abri de poursuites judiciaires et d'atteinte à sa vie, tout représentant de Bouddha qu'il soit !....

 

Cependant malgré ce qui précède, au fil des ans les rangs des moines écologistes grossirent, et le Sangha a du prendre le train en marche !...

 

 

 

(1) C'est à la suite d'un différent avec le sangha, que le roi Taksin, comme par hasard, fut accusé de folie, enfermé, destitué et mis à mort, lui et son fils !...

 

(2) Lire la vie de Phra sri Vichaï, un moine du Lanna – Les chroniques se trouvent dans la catégorie lexique.

 

(3) Signification de l'appellation ''Phra Nak Anuraksa Thammachat''.

Phra est un titre religieux. Nak peut se traduire par ''expert'', Anuraksa par ''conserver ou conservation'' et Thammachat par ''la nature''. Ce qui signifierait, en mettant les mots bout-à-bout : Un moine expert en la conservation ou la protection de la nature ou, un moine écologiste.

 

D'après les légendes, en Thaïlande, le seigneur et maître des sols, est un amphibien qui, curieusement, s'appelle … Phra Nak.

Il faut avoir une oreille exercée pour faire la différence entre les deux mots, Phra Nak (นัก) le moine expert, et Phra Nak (นาค) le roi des Nagas. Homonymie curieuse non ?...

 

(4) Le sangha n'est pas aussi détaché des biens matériels qu'il en a l'air. Jamais les temples n'ont été aussi riches que maintenant.

Comme dans toute institution humaine il y a ceux qui honore leur ''famille'' et ceux qui la déshonorent. Alors il n'est pas rare de trouver dans la presse, des affaires où certains moines, et non des moindres, sont impliqués dans des malversations ou autres délits.

 

Heureusement tous ne sont pas corrompus mais … il y en a, et l'industrialisation n'a pas été sans en tenter quelques uns !....

      

(5) En 1992 les journaux ne parlaient que de Prajak Kuttajitto. Il avait alors 54 ans.

Sulak Sivaraksa, (1933) (สุลักษณ์ ศิวรักษ์) l'une des grandes figures thaïlandaises, fondateur de la revue des sciences sociales, ardant défenseur du développement fondé sur des idéaux bouddhistes et qui fut accusé de crime de lèse-majesté, lui apporta un soutien sans faille et continue à le faire.

Hélas 20 ans après son engagement tous les Thaïlandais semblent avoir oublié Prajak Kuttajitto ?!...

 

Cet homme né en 1938 à aujourd'hui en 2012, 74 ans.

En 2008 il a reçu le prix ''Green Globe'', et porte maintenant le titre de Luang Pho, Luang Pho Prajak Kuttajitto (หลวงพ่อประจักษ์ คุตฺตจิตโต)

 

 

   

 

 

Photo 1 : Le roi Taksin qui libéra le Siam du joug des Birmans et conquis nombre de royaumes voisins, tout cela en à peine 15 ans !....

Photo 2 : Le sangha ne fait plus l'unanimité de l'élite et de nombre de fidèles, alors certains artistes, comme  Anupong Chanthorn (1980) (อนุพงษ์ จันทร) a eu quelques démêlés avec lui à l'occasion de sa médaille d'or en 2007 pour l'une de ses œuvres intitulée ''Moines aux traits de corbeaux'' (ภิกษุสันดานกา).

Un journaliste de ''La Nation'', prenant le parti de l'artiste, écrira ''… de nombreux temples sont devenus des repaires de l'iniquité… ''

Le roi, encore lui, vint au secours de l'artiste au nom de la liberté d'expression et … de la tolérance.

Récemment un autre jeune artiste, Warthit Sembut à peint une toile qui n'a pas été du goût de quelques intégristes. Des moines étaient peints plongeant les mains avec cupidité dans un bol à aumônes richement garni !....

Photo 3 : Luang Pho Prajak Kuttajitto un Phranak que le sangha a laissé à la meute de chiens et dont aujourd'hui il n'est pas peu fier de compter parmi ses rangs !... Mais la terre tourne et le vent change de direction. Alors pourquoi les institutions n'en feraient-elles pas autant ?!...

 

 

 

DE LA DEFORESTATION A LA CONSECRATION D'ARBRES ET … DE FORÊTS

 

 

A partir de 1961 la Thaïlande s'industrialisa.

 

Dans un premier temps les paysans adhérèrent aux projets gouvernementaux car leurs revenus, leur avait-on promis, allaient augmenter.

 

Or ce fut le contraire qui se produisit. Des paysans devinrent même incapables de nourrir leurs propres enfants.

 

Pourtant Bangkok s'enrichissait, mais aux dépens des campagnes, et en les appauvrissant.

 

Car les industriels made in Thaïlande ne voyaient que le court terme et détruisaient (détruisent ?...) sans état d'âme, l'équilibre naturel des régions qu'ils venaient piller et non développer comme ils le prétendaient !....

 

 

L'année 1988 avec la destruction de plusieurs villages dans le district de Phipun (อำเภอ พิปูน) situé dans la province de Nakhon Si Thammarat (จังหวัด นครศรีธรรมราช) dont j'ai parlé plus haut, marqua incontestablement les esprits ; mais n'arrêta pas la voracité des hommes d'affaires pour qui l'argent passe avant tout.

 

Ce fut alors qu'en 1991 intervint fort judicieusement Phrakhru Pitak Nanthakhun, (พระครูพิทักษ์นันทคุณ) un moine de la région de Nan dans le … Lanna.

 

Déjà au milieu des années 1970 ce moine, peu de temps après son ordination s'était alarmé des conséquences désastreuses provoquées par la culture du maïs là où s'élevait autrefois une magnifique forêt.

 

Son district était devenu le plus sec et le plus pauvre de la province et figurait en tête du dépeuplement.

 

Pour que cesse cette hémorragie d'hommes en direction de Bangkok il fallait arrêter la folie destructrice des compagnies forestières et recréer l'équilibre naturel d'antan.

 

Pour convaincre les uns et les autres il n'avait que ses prêches. Alors pendant une quinzaine d'années il va se lancer dans des diatribes fort brillantes sur l'écosystème et la nécessité de trouver un équilibre entre les besoins de l'homme et le respect de la nature.  Hélas ses appels à la raison ne trouvèrent aucun écho.

 

Comme c'est un homme tenace, et qu'il avait entendu parler de ''l'ordination'' de son collègue de Phayao Phrakhru Manas,  Phrakhru Pitak prit la route en direction de cette ville afin de rencontrer son homologue.

 

Puis fort des éléments recueillis lors de cet échange d'idées, en 1991 donc, il célébra une grande et belle consécration d'arbres mais, en reprenant des rites en vigueur de cérémonies Bouddhistes pour donner un caractère encore plus solennel et indissociable de la personne de Bouddha à la cérémonie.

 

Des offrandes étaient faites aux différents génies (*) et une ''robe'' fut offerte aux futurs consacrés, c'est-à-dire aux arbres. Ce qui signifie, symboliquement et très schématiquement, qu'abattre un arbre consacré c'était s'attaquer directement à la personne de Bouddha auquel sont subordonnés tous les esprits environnementaux.

 

Puis en Juillet 1991 il célébra une deuxième consécration, non plus pour quelques arbres, mais pour une forêt toute entière dont dépendaient 10 villages, et dont les chefs furent responsabilisés, entre autres, au moyen d'une eau consacrée.

 

Les superstitions étaient ''récupérées'' au profit d'une action écologique à long terme et de grande ampleur, d'autant que les fidèles offrirent non plus des dons en espèces ou sous formes traditionnelles, mais des plants d'arbres … 12.000 plants ont ainsi été mis en terre ce jour là.

 

Le don d'un plant procurait un mérite à son donateur, tout comme un don traditionnel et ne pouvait que bonifier les karmas à venir des donateurs.

 

 

(*) Au génie de la terre comme Mae Thorani, de la forêt, des arbres de la rivière, pour ne citer que ceux là, et qui tous sont subordonnés à la personne de Bouddha, comme les ''nats'' en Birmanie.

 

 

   

 

 

Quelques photos d'une cérémonie de ''consécration'' ou ''d'ordination'' célébrée par Phrakhru Pitak Nanthakhun sur les rives de la Nan, au Lanna.

Cette fois c'est la rivière qui est consacrée. L'objet du rituel est de faire prendre conscience à tous que les rivières doivent être aussi respectées que les arbres. L'environnement est tout. Un maillon se casse et la chaîne ne retient plus rien !...

 

 

Déjà, quelques mois plutôt, en Mars 1991, à Surat Thani, dans le sud de la Thaïlande, une cinquantaine de moines et de nombreux laïcs s'étaient introduits dans le parc national de Khao Sok (อุทยานแห่งชาติเขาสก) pour ceindre tous les grands arbres d'une robe de moine et ainsi s'opposer à la construction d'un barrage.

 

 

Lors des actions menées par ces moines écologistes autoproclamés, des ONG vont venir à la rescousse, dont des ONG ayant l'aval du roi !.... Ce qui n'est pas rien !...

 

Alors au fur et à mesure des années la mobilisation pour l'arrêt de la déforestation prend une ampleur à la mesure des dégâts provoqués !...

 

Non seulement les consécrations d'arbres et de forêts se multiplient mais elles se poursuivent par des cérémonies de reboisement à grande échelle.

 

Ainsi pour les 116 ans de Luang Pu Supha (หลวงปู่สุภา) un moine des forêts de Phuket, dans le sud de la Thaïlande, le 16/09/2011, 116.000 plants d'arbres ont été repiqués dans la région.

 

 

Quelques années plutôt, en 1996, le célèbre porte-parole des Karens, Choni Odashao (จอนิ โอ่โดเชา) dit Joni, eut l'idée d'associer ces cérémonies de consécrations d'arbres au 50ème anniversaire de l'accession au trône du roi Rama IX.

 

   

 

Alors … cinquante millions d'arbres, au sein d'une forêt communautaire furent ''consacrés'' en l'honneur du jubilé d'or du roi Rama IX.

 

La médiatisation de l'événement fut porteuse d'une ère nouvelle pour tous les écologistes de Thaïlande.

 

 

 

Grâce à l'action de ces ''Phranak'', qui furent des années durant vilipendés et montrés du doigt, la philosophie bouddhique apparaît aujourd'hui comme un idéal tout à fait adéquat pour mener à bien un développement durable en conformité avec les lois de la nature  ; et les ''ordinations'' ou ''consécrations'' d'arbres ou de forêts, des outils parfaitement fiables et adaptés pour protéger le bien commun et l'intégrité territoriale tout en tenant compte des spécificités des identités locales, sur lesquelles il y a beaucoup à dire concernant le déboisement.    

 

 

Depuis le 9 janvier 1990, sur proposition du ministère de l'agriculture, le 14 janvier de chaque année est devenu la ''journée pour la conservation des ressources forestières nationales''. (วัน อนุรักษ์ ทรัพยากร ป่า ไม้ ของ ชาติ).

 

   

 

 

En voulant voir ce que cachaient ces bandes d'étoffes de couleur safran liées autour des arbres, ma curiosité n'a pas été déçue.

 

Et vous, après avoir lu cette chronique, vous attendiez-vous à lire tout ce que j'ai raconté ?....

 

Au fait … je n'ai écrit que le millionième de ce qu'on peut encore rédiger sur le sujet ?!...  

 

 

 

 

Pour ceux qui voudraient en savoir un peu plus sur le sujet, je leur conseille de lire le n° 25 de la revue Aséanie, paru en 2010.

Abigaël Pesses (*) y signe un article intitulé ''Les rites d' ''ordination'' d'arbres, et Louis Gabaude, pour le plus grand plaisir du lecteur donne un cours de linguistique au sujet du mot …''Ordination'' !...

Tous ces textes sont … en Français !... tout du moins ces deux là.

 

(*) Abigaël Pesses est aussi l'auteure d'une thèse intitulée ''Les Karen : Horizons d'une population frontière'' où il est aussi question de ces cérémonies de … ''consécration''.

 



23/06/2012
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