SOURICEAU D'OR AUX YEUX DE BERYL (LE) (3ème partie)
LE SOURICEAU D'OR AUX YEUX DE BERYL
TROISIEME PARTIE
Alors, tenaillée par une espèce d'appréhension bizarre, qu'elle ne pouvait plus contrôler, et malgré les conseils de prudence donnés par son mari, la femme se mit à courir à en perdre haleine.
Quelque chose, dans le plus profond de son cœur, lui disait qu'il fallait éviter le pire.
Son mari, en la voyant détaler, tenta bien de la raisonner et de la retenir en lui criant des paroles de sagesse, mais elle courait si vite qu'elle finit par ne plus entendre sa voix.
Mais lorsqu'elle voulu se relever, elle se trouva en face d'un phénomène incroyable … mais authentique !...
En effet, à deux ou trois brasses devant elle, une masse colossale émergea d'un fourré.
Et d'un pas lent et dodelinant, écrasant tout sur son passage, elle vint se planter face à elle, et la fixa d'un regard réprobateur, voire même … très méchant.
La femme ne pouvait pas voir ce regard, car le nouveau venu était éclairé à contre-jour par le soleil, mais elle sentait si fort l'antipathie que déversaient ses yeux inquisiteurs qu'elle en ressentait la méchanceté et en éprouvait comme un très profond malaise !...
''.- Vous ne manquez pas d'audace
Alors, sans même prendre le temps de réfléchir la femme lui rétorqua du tac au tac :
''.- Je suis venue chercher la gargoulette que vous serrez contre vous. ''
Car tout d'un coup, son instinct, ou son sentiment comme aurait dit le brahmane lui avait soufflé qu'elle était en train de vivre son rêve. Et que le chasseur sans foi ni loi, était bel et bien devant elle, en chair et en os.
Alors, si elle n'intervenait pas rapidement, comme dans son rêve le vil braconnier allait réitérer son acte sacrilège et balancer la fameuse gargoulette par dessus la cime des arbres les plus hauts.
''.- Mais de quoi parlez-vous
Mais en voulant saisir le souriceau d'or aux yeux de béryl par le bout de la queue, dans l'intention de le faire tourner autour de sa main à la manière d'une fronde, le chasseur s'aperçut que le petit animal qu'il tenait, n'était plus qu'un … bloc de terre.
En effet, une boue sèche et luisante, donnant l'aspect d'une terre à cuire, recouvrait entièrement le souriceau d'or aux yeux de béryl.
Mais cette terre, caressée par les rayons rougeoyants du soleil levant, lui donnait alors très exactement l'apparence de la gargoulette que la femme avait vue dans son rêve.
Le chasseur, un tantinet désappointé par le nouvel aspect de sa prise, mais très vite rattrapé par son sens des affaires, déclara alors d'un ton péremptoire digne d'un matamore d'opérette :
''.- Si tu tiens à cette chose
Ce qui est vrai pour le salaire, ne l'était pas vraiment pour la soi-disant capture. Car le chasseur ne pouvait pas réellement dire qu'il avait peiné pour attraper le souriceau d'or aux yeux de béryl.
En réalité, ce dernier s'était volontairement laissé prendre sans qu'il fût nécessaire au braconnier de construire son piège … machiavélique.
Pour tout dire, le souriceau d'or aux yeux de béryl, s'était même un peu amusé au dépend du vilain et grossier personnage.
En effet, le souriceau d'or aux yeux de béryl avait pris un malin plaisir, tout en respectant scrupuleusement ce qui était écrit dans le grand livre du destin concernant ce présage, à conduire le chasseur vers une mare … toute pleine de boue.
Comme l'homme n'était pas des plus futés le souriceau d'or aux yeux de béryl n'eut alors aucune peine à le faire tomber plusieurs fois de suite, dans la gadoue de cette mare.
Et l'adorable petite peste, avait tout manigancé pour qu'à chacune de ses chutes, le prétentieux fanfaron s'embourbât un peu plus !...
Puis lorsque le souriceau d'or aux yeux de béryl considéra que le jeu avait assez duré, c'est-à-dire que le bonhomme n'était plus qu'une montagne de boue, suffisamment recouvert de gadoue de la tête aux pieds et d'un bout à l'autre des deux bras, il se laissa docilement cueillir.
Durant cette chasse quelque peu ludique pour l'un, mais non pour l'autre, le souriceau d'or aux yeux de béryl s'embourba, lui aussi.
Mais tandis qu'il reposait maintenant sereinement au sein d'une coquille en terre épousant ses formes à la perfection et avec une finesse toute particulière, le cas du chasseur était tout autre.
En effet, la boue à moitié sèche, qui collait à ses frusques, au lieu de l'embellir comme pour le souriceau d'or, rendait le chasseur encore plus laid, plus avide et plus affreux que nature !....
''.- Alors
''.- Mais je n'ai pas d'argent sur moi. Lui répondit la femme. ''
''.- Taratata, la maison ne fait pas crédit
Si j'avais du donner le peu que j'ai, je serai à cette heure mort de faim et digérer par les charognards depuis belle lurette ... ah ah ah !... ''
Puis comme pour pousser la femme dans ses derniers retranchements et surtout, tenter de lui soutirer le peu qu'elle pouvait posséder, désignant la ''gargoulette'' en terre à cuire de sa main toute crottée, il poursuivit avec un incroyable aplomb :
''.- Tant pis pour toi
(*) Le deuxième précepte conseille de ne pas attenter à une vie.
Sur ces derniers mots, l'impie sacrilège déploya un rire démoniaque, et à tout faire trembler sur son passage.
D'ailleurs, les éclats furent si puissants et si dévastateurs qu'ils roulèrent jusqu'aux tympans du ramasseur de bois mort en fracassant tout sur leur passage.
Alors le ramasseur de bois mort, toujours à la recherche de sa femme, n'eut plus qu'à suivre le chemin, miraculeusement tracé par l'hilarité démoniaque du mécréant, pour la retrouver.
Et comme il pressentait que tout n'allait pas pour le mieux du côté de son épouse, il remonta cette coulée de végétation dévastée par le rire infernal, avec la plus grande célérité.
Hélas, tout semblait indiquer qu'il allait arriver trop tard !...
Car loin devant lui, tout au bout de son chemin, l'impénitent était à deux doigts d'expédier ad-patres, et via la voie des airs, la magnifique gargoulette en terre à cuire contenant … le souriceau d'or aux yeux de béryl.
A trop vouloir posséder, on finit par tout perdre. Et comme le chasseur avait tout essayé, et tout dit, pour arriver à ses fins, il ne pouvait plus que mettre à exécution son sinistre projet pour ne pas perdre la face.
Néanmoins son amour pour l'appât du gain était si puissant qu'il se risqua à une dernière tentative pour essayer de soutirer quelque chose à la femme du ramasseur de bois mort.
Alors, tout en faisant mine de vouloir faire ''valdinguer'' comme il disait, la gargoulette, il lui adressa une dernière mise en garde :
''.- Alors tu en restes là ?... Et bien l'affaire est entendue
''.- Attendez. ''
Lui cria le ramasseur de bois mort en arrivant en courant.
''.- Mais d'où sort-il celui-là ?.... Ma parole, on se croirait à Bâranasî un jour de marché. Pourtant je n'ai rien d'autre à vendre qu'une bestiole tout juste bonne à amuser mes gosses … ah ah ah !...
Mais elle doit valoir son prix pour que vous y teniez tant, l'un et l'autre. Alors l'homme, combien ?... puisque la femme n'a pas d'argent ! ''
''.- Mais moi non plus. '' Lui répondit le ramasseur de bois mort.
''.- Ah non !... pas toi !... Regarde, tu as les épaules chargées d'un truc qui ferait mon affaire. Je ne sais pas ce que c'est, mais je suis bon prince ton paquet contre ma bestiole. ''
Les deux époux se regardèrent, hésitèrent, et puis les sentences du brahmane leur revinrent en tête :
''Un don du ciel peut en cacher un autre'', et ''ce qui n'a plus d'utilité maintenant peut en avoir demain'' ou peut-être bien … avait rajouté le sage : ''dans les heures qui viennent ''.
Alors les deux époux, considérant que … ''l'heure était venue'', acceptèrent l'échange : l'ourlet d'ors et d'argents contre le souriceau d'or aux yeux de béryl … encore dans sa coquille de terre.
Dès qu'il eut le paquet en main, sans même prendre la peine de glisser un œil à l'intérieur, l'escroc à la petite semaine s'éclipsa tout aussitôt, et sans demander son reste.
Car il craignait que ceux, qu'il était persuadé d'avoir floués, ne voulussent récupérer leur bien.
Quant au ramasseur de bois mort et à sa compagne, ils restèrent alors seuls, au beau milieu de la fantasmagorique forêt, et sans très bien savoir où ils se trouvaient.
Mais l'épouse du ramasseur de bois mort serrait contre son sein, et avec une affection toute maternelle, la fameuse gargoulette de son rêve.
Alors ce seul et unique petit plaisir leur faisait oublier tout le tragique de leur situation.
Pendant ce temps là, pour brouiller sa piste, le chasseur marchait tout en zigzagues au travers de la jungle.
Puis quand il crut avoir mis suffisamment de distance entre lui et ses ''victimes'', il s'arrêta enfin, très et trop curieux de connaître le contenu de son paquet.
Lorsqu'il découvrit l'étoffe brodée d'ors et d'argents il n'en crut pas ses yeux. Mais sa cupidité, une fois de plus, lui gâcha le plaisir de posséder une chose d'exception et même d'envisager d'en tirer un bon prix.
''.- Quel crétin je fais. Ces gens étaient bourrés aux as. Et moi, je les ai laissés filer en acceptant une guenille pour le prix de mon salaire. ''
Puis d'un geste brutal et violent tout à la fois, il jeta le lamé d'ors et d'argents sur ses épaules et enchaîna, toujours aussi furieux :
''.- J'aurai été bien mieux loti avec un sac à riz, tant pour me vêtir que pour dormir. Car j'adore dormir dans un sac à riz avec la tête contre ma bonne grosse bedaine ah ah ah !... ''
Alors, en moins de temps qu'il ne lui fallut pour dire ces mots, et … ''avec la tête contre sa bonne grosse bedaine'', le chasseur se retrouva tout d'un coup, enfermé dans un sac à riz.
Mais un sac à riz en lamé d'ors et d'argents, autrement plus solide et résistant qu'un sac à riz … ordinaire !...
Ne comprenant pas ce qui venait de lui arriver, le braconnier, une fois l'effet de surprise passé, tenta alors de se libérer et de sortir du sac dans le lequel il se trouvait.
Mais ses efforts, pourtant démesurés, restèrent vains. Pire, ils se retournèrent contre lui.
En effet, plus il se débattait, plus il gesticulait à l'intérieur de son sac, et plus le lamé d'ors et d'argents se rétrécissait sur lui et lui collait à la peau ; au point d'empêcher jusqu'au moindre petit clignement de ses paupières.
Le lamé d'ors et d'argents, comme ses pièges sur ses victimes, au lieu de se relâcher à chacune de ses tentatives de libération, tout au contraire se resserrait un peu plus sur lui, à chacune d'elle !...
Alors, tels les animaux qu'ils avaient piégés durant toute sa vie, un étrange sentiment annonçant une fin prochaine l'envahit.
Et comme eux, le fanfaron aux abois se mit à hurler, à rouler au sol et à pratiquer toutes sortes d'exercices abracadabrants pour tenter de sauver sa pauvre et misérable vie de tueur d'animaux.
Mais le sac résistait à tout. Pas un roc et pas une branche, sur son passage, ne le déchira et encore moins …ne l'accrocha !...
Alors le sac zigzagua dans la savane, soubresauta à tout va, et alla terminer sa course dans les eaux de l'Acîravatî et, dans un épouvantable bruit d'enfer.
Son plongeon engendra même un véritable raz-de-marée, en chassant l'eau de la rivière, hors de son lit.
Dans la violence du choc, et tandis qu'ils tentaient désespérément de retrouver leur chemin, l'eau de l'Acîravatî alla jusqu'à noyer le bout des pieds du ramasseur de bois mort et de sa femme pour stagner un court instant, à mi-hauteur de leurs mollets.
Mais cette crue soudaine n'effraya pas les deux époux, bien au contraire, car ils virent en elle la main secourable du Bouddha.
D'ailleurs, l'homme, en tant qu'ancien ramasseur de bois mort et fin connaisseur de la ''chose sylvestre'', expliqua à sa femme.
''.- Cette eau est sortie de son lit mais elle va y retourner. Alors nous n'aurons plus qu'à la suivre pour atteindre l'Acîravatî. ''
Ce fut très exactement ce qui se passa. Mais une surprise de taille les attendait sur la berge de l'Acîravatî !...
En effet, lorsqu'ils atteignirent la rive de l'Acîravatî, une drôle d'atmosphère planait sur les lieux.
C'était comme si quelque chose d'oppressant venait de disparaître à tout jamais et que la forêt fantasmagorique, comme par enchantement, retrouvait sa virginité d'antan.
Des animaux réapparaissaient, libérés de tout sentiment de crainte, des poissons bondissaient à la surface de la rivière, et des oiseaux reprenaient leurs trilles et autres chants qu'ils n'avaient jamais interprétés avec autant de joie, de brio et de sérénité.
Le seul petit ''accroc'' à ce tableau idyllique, d'une nature originelle semblable à celle du jardin d'Eden, c'était une espèce de tâche rougeoyante au beau milieu de l'Acîravatî !...
Mais, au fur et à mesure des ébats récréatifs d'une bande de joyeux crocodiles qui semblaient manifester leur joie d'avoir festoyés comme jamais, elle se dissipa très vite !...
En descendant le cours de l'Acîravatî le ramasseur de bois mort et sa femme sortirent de la forêt fantasmagorique sans encombre. Et ils regagnèrent leur demeure dans la foulée.
A peine rentrée, l'épouse déposa délicatement sa gargoulette en terre à cuire sur la grande table de la pièce principale. Et là, malgré toute l'attention qu'elle portait à la manipulation de cet objet, la terre à cuire de la gargoulette se fendilla, se craquela, et finit par se fractionner en plusieurs petits morceaux.
Ils tombèrent les uns après les autres, presque religieusement, et dans un cliquetis de sons mats mais divins, pour laisser apparaître, fragile et menu … le souriceau d'or aux yeux de béryl.
La femme et son mari n'en crurent pas leurs yeux. Et puis poussée par son instinct maternel, du bout de son index, l'épouse commença à caresser les poils d'or de la fourrure du souriceau d'or aux yeux de béryl qui docilement se laissa faire.
Et ce fut alors que se produisit la chose la plus incroyable que la femme du ramasseur de bois mort, et le ramasseur de bois mort lui-même pussent imaginer !...
Après chacune des caresses que la maîtresse de maison donnait au souriceau d'or aux yeux de béryl, quelques poils d'or tombaient en virevoltant et délicatement sur la grande table en bois brut.
Mais ces poils d'or, dès qu'ils touchaient le bois de la table, émettaient alors un son semblable à celui des conques que les époux entendaient parfois dans le lointain à l'occasion des grandes cérémonies religieuses qui se déroulaient à Bâranasî.
Mais le plus extraordinaire, c'était que tout aussitôt après, les poils se transformaient en énormes pièces d'or !...
Et tout en même temps, des yeux du souriceau d'or aux yeux de béryl, ruisselaient des larmes en pierres précieuses !....
Etonnés mais aussi effrayés par autant de richesses, les époux qui m'en demandaient pas tant, crurent bon d'aller tout donner au brahmane pour rester fidèle en leur foi dans les trois joyaux et à leur respect dans les cinq et huit préceptes.
Mais le sage homme leur dit :
''.- Mes bons amis, vous avez trouvé le trésor qui ressemble à tout, sauf à un trésor parce que vous en étiez digne.
Celui-ci sera pour vous la source de richesses considérables et d'une opulence que vous ne pouvez pas soupçonner.
Gardez cet or et ces pierres, car ils vous appartiennent, vous les avez mérités. Mais à vous d'en faire bon usage. Sachez vous montrer généreux et dispensateurs d'actes méritoires.
Maintenant, allez-en paix mes bons amis, car il est temps que vous partiez pour que s'accomplissent tous les desseins divins qui sont prévus à votre sujet.
Et surtout, n'oubliez pas de rester fidèle aux enseignements du Bouddha. Grâce au respect que vous leur porterez, vous ne manquerez jamais de rien. ''
Et sur ces mots, avec leur trésor, ils regagnèrent leur maison.
Une fois chez eux, le souriceau d'or aux yeux de béryl continua à les enrichir, et à un tel point que le ramasseur de bois mort et sa femme ne savaient plus quoi faire de leur fortune.
Mais malgré cette abondance de biens, jamais un petit animal ne fut traité avec autant d'amour et de soin que le souriceau d'or aux yeux de béryl.
Et puis un jour, comme tout à une fin, même les missions divines, le souriceau d'or aux yeux de béryl, prit congé de ses hôtes.
Et après les avoir prévenus de son départ pour la forêt de l'Himavant afin que s'accomplisse son propre destin, il leur dit :
(Suite dans la 4ème partie)
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