MOINILLONS S'EN VONT EN GUERRE (Les)
MOINILLONS
S’EN VONT EN GUERRE. (LES)
Marco
est un vieux de la vieille. Il a bien bourlingué de part le monde, et en a vu,
comme on disait dans mon village, ‘’des vertes et des pas mûres‘’.
Bref ce
n’est pas quelqu’un qui, durant sa jeunesse, est resté les deux pieds dans la
même pantoufle.
Il a
même voyagé en se demandant parfois, compte tenu de la situation dans laquelle
il se trouvait, s’il allait revoir ou non sa ville natale !...
Alors,
normalement, aujourd’hui plus rien ne devrait l’étonner ?!...
Pourtant
Marco, qui a vraisemblablement gardé son âme d’enfant et qui n’a pas oublié l’éducation
que ses parents lui ont donnée, en est encore à s’étonner du comportement de
ses semblables ; et plus particulièrement des jeunes du Lanna.
Mon
père en d’autres temps avait les mêmes réactions que lui, mais pour des faits
beaucoup plus futiles et moins ‘’gravissimes‘’ … moralement.
Pour
bien exposer la situation je dois préciser que les jeunes garçons, dont il va
être question, ne sont pas à proprement parler les semblables de Marco. Car ils
n’ont pas été ‘’formés‘’ comme lui, à l’école laïque, mais à l’école bouddhiste.
En
effet, les adolescents qui sont au centre de l’anecdote qui va suivre portaient
alors l’habit de couleur safran, ce qui n’est quand même pas rien.
Mais,
venons-en au fait.
Ce
dimanche là, Marco avait sorti sa voiture et emmené toute sa petite famille à
Lampang pour y passer l’après midi.
Comme
toujours à l’occasion de ces virées, Marco et les siens aiment à se promener et
flâner durant un court moment au travers de la ville.
Avec le
temps leur périple piétonnier a fini par devenir toujours le même, et par
passer immanquablement par le marché.
Un
marché que le petit fils attend toujours avec impatience. Car tout à côté il y
a un magasin de jouets !...
D’ailleurs,
ce jour là, dès que le marché fut en vue, le gamin éclata de joie et ne resta
plus en place. Car le magasin … était ouvert, ce qui n’est pas toujours le cas.
Depuis
pas mal de temps déjà, l’enfant rêvait d’une console de jeux vidéo portable, et
Marco avait eu la faiblesse de lui dire qu’il la lui achèterait dès leur
prochaine sortie à Lampang.
Alors lorsque
l’enfant constata que le magasin était ouvert, il ne se sentit plus de joie, et
s’accrocha au bras de Marco.
Comme à
son habitude le Marco commença par faire celui qui ne comprenait pas. Puis
l’insistance du petit, et les violences qu’il infligeait à son bras, finirent
par avoir raison du jeu de sourd, que Marco avait eu l’imprudence et la malice de
commencer.
Alors
sur un mot du grand chef, toute la petite famille, au grand bonheur de l’enfant
qui trouva néanmoins qu’elle ne marchait pas assez vite, se dirigea vers
l’entrée de la boutique, et en franchit le seuil.
Mais en
pénétrant dans ce temple du jouet, qu’elle ne fut pas la surprise de Marco en découvrant
la scène qui s’y déroulait !...
Du côté
vendeur, derrière le comptoir, il y avait le patron et deux jeunes vendeuses.
En face d’eux se tenaient alors trois jeunes clients, des moinillons âgés
d’environ quinze à seize ans.
Eux
aussi étaient là dans l’intention d’acheter un jouet.
Après
tout … pourquoi pas ?... Il faut bien que jeunesse se passe et que les
serviteurs du Bouddha se divertissent un peu, entre leurs enseignements
religieux et leurs multiples prières.
Seulement
voilà, le ‘’joujou‘’ qu’ils envisageaient d’acheter laissa perplexe le vieux
routard ; au point de lui couper le souffle et de ne plus pouvoir avaler
sa salive. Marco se demanda même un court instant, s’il ne rêvait pas.
Car
pour cet homme, de culture judéo-chrétienne, le ‘’joujou‘’ en question ne
pouvait pas ‘’frayer‘’ avec l’habit dont étaient revêtus les adolescents … une
robe de religieux !....
Bref !...
lorsque Marco pénétra dans le magasin, l’un des jeunes clients tenait en main un
fusil d’assaut à air comprimé, et jouait à huit-clos pour les deux autres, et
peut-être aussi le patron et ses vendeuses, les Rambo.
D’après
Marco, qui semble mieux connaître que moi les armes de guerre, ce fusil était
une réplique fidele d’un AK-47 kalachnikov, ou d’une arme du même type.
Trop
occupés par les essais que nécessite un tel achat, le Rambo et ses deux
acolytes ne remarquèrent même pas l’arrivée des nouveaux clients.
Par
contre le Farang, tout en conseillant son petit fils, qui déjà savait précisément
ce qu’il voulait et n’avait que faire des conseils du grand-père, ne perdait pas une miette des faits et gestes
des trois jeunes moinillons.
Et sa
curiosité allait le conduire de surprise en surprise. Car le ‘’fin du fin‘’ restait à venir.
En
effet, à la demande des trois jeunes moines, le patron équipa d’une lunette de
visée à infra rouge le fusil d’assaut.
Alors à
tour de rôle chacun des religieux ‘’essaya‘’ le nouvel équipement, en visant
une cible imaginaire.
Comme tous
semblèrent satisfaits du résultat de leurs essais, de conserve ils décidèrent de
l’achat de l’arme, et engagèrent le marchandage.
L’affaire
se conclut très rapidement.
Puis
pendant que l’un des jeunes moines réglait l’achat, l’une des vendeuses alla
chercher une recharge d’air comprimé, qui fut rajoutée au fusil et à la lunette.
Ensuite, l’autre vendeuse enveloppa le tout bien soigneusement dans du papier kraft,
comme s’il s’agissait d’un objet d’art de grande valeur !....
Enfin l’un
des jeunes mis le paquet sous son bras, et à grand renfort de marque de
politesse ils prirent congé du patron, des vendeuses, et saluèrent aussi la
petite famille de Marco.
Une
fois au-dehors les moinillons embarquèrent dans un songthaew, qui disparu de la
vue de Marco en s’engageant dans une autre rue.
Tandis
que le taxi collectif venait de disparaitre, Marco, toujours sous l’effet de la
stupéfaction, se mordait le bout des lèvres en regrettant de ne pas avoir osé prendre
une photo de l’un des tireurs en exercice.
Ah !...
le bouddhisme n’est plus ce qu’il était !... à moins qu’il n’ait jamais
été l’image que nous nous en faisions ?...
Car ni
le patron et ni ses vendeuses, vraisemblablement de bons et fervents
bouddhistes, comme la plupart des gens du Lanna, n’avaient trouvé à redire sur
l’attitude des jeunes moines ?!....
Enfin, si
à Lampang les moinillons achètent des répliques de fusils d’assaut, n’oublions
pas qu’il fut un temps, et pas si lointain, où Rome était actionnaire d’un
fabricant d’armes !...
En tout
cas, Marco devait être encore sous le choc quand il m’a raconté cette anecdote,
car il a oublié de me dire si son petit fils avait fait affaire ce jour là.
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