POULET, LES POISSONS ET LE BÂTON (LE)
LE POULET, LES POISSONS ET LE BÂTON
Il se passe toujours quelque chose sur la place Thaphae. Mais encore faut-il savoir regarder d'un œil attentif les personnes qui s'y trouvent.
Ce soir là, c'était un mercredi soir, l'atmosphère était douce et agréable. Malgré la mousson, rien ne présageait la moindre averse.
Alors en quittant le restaurant où je venais de dîner, l'envie soudaine d'aller rêvasser place Thaphae en dégustant un bâton glacé, me traversa l'esprit.
Comme l'idée n'était pas pour me déplaire, au lieu de rentrer chez moi, je suis allé y faire un tour et une petite halte. Il était environ vingt deux heures.
A cause du nouvel éclairage public l'ambiance n'était plus ce qu'elle était. Mais il y avait toujours les mêmes habitués.
Un groupe de cinq ou six Farangs baragouinant la langue de Shakespeare entre deux gorgées de bière, et quelques dames et jeunes hommes à la recherche d'une âme sœur pour améliorer l'état de leurs finances.
Ce soir là, contrairement aux autres jours, il y avait aussi un gamin de sept ou huit ans, qui jouait à sauter sur les bancs publics, et … un flic près de deux motocyclettes, ou plutôt une motocyclette et une grosse moto blanche !...
Cet homme en uniforme était grimpé sur un banc lui aussi, ou plus exactement sur le rebord d'un bac à arbre, dont le rôle est de faire office de banc public.
Il avait les bras tendus au-dessus de la tête et semblait être en train de décrocher quelque chose du grand arbre qui s'élevait de son bac.
Comme il me tournait le dos, qu'il était à une quinzaine de mètres de moi, j'étais alors dans l'impossibilité de lui donner un âge et encore moins de savoir ce qu'il ''trafiquait'' très exactement.
Très vite, j'allais le découvrir.
Lorsque le policier termina de gesticuler et que d'une enjambée un peu gauche, caractéristique d'un manque d'entrainement physique évident, il retrouva la terre ferme, il tenait à la main quelque chose d'insolite !...
Malgré mes efforts et le secours de mon imagination, il me fut alors impossible de déterminer ce que c'était.
Ce fut en passant devant moi pour se rendre jusqu'à l'extrémité de la douve, tel un promeneur du dimanche qui déambule d'un pas nonchalant, avec à la main son trophée, que je cru reconnaître alors … un fusil harpon … de fabrication artisanal.
Il n'est pas rare à Chiang-Maï de voir certaines personnes venir récupérer dans des caches, comme des recoins maçonnés, des fourrées ou des touffes de feuilles en haut des arbres, des objets qu'elles y avaient laissés.
Et il n'est pas rare non plus, que place Thaphae quelques pêcheurs nocturnes viennent harponner un poisson ou deux, pour faire ripaille.
Le gosse en voyant le représentant de l'ordre s'éloigner des motos, se mit alors à courir derrière lui pour lui emboîter le pas. Et de conserve ils s'assirent côte à côte, face à l'eau, sur l'un des bancs qui se trouve là.
Pendant une bonne dizaine de minutes, le policier me donna l'impression de s'exercer au tir aux poissons. Car cet endroit est particulièrement poissonneux.
A une certaine époque, et peut-être encore aujourd'hui, pratiquement tous les jours et à la même heure, vers les 16 heures, Monsieur Daret, le propriétaire du restaurant et de la Guest-house d'à côté, venait ou envoyait l'un de ses serveurs nourrir ces poissons au moyen de sa viennoiserie invendue et surtout … très avariée.
C'était alors comme un spectacle quotidien auquel se mêlaient quelques badauds surpris de voir s'agiter et s'entremêler en cet endroit d'aussi nombreux, fort beaux et gros poissons.
En tant que père nourricier de cette faune marine, Monsieur Daret s'était alors auto-promu le gardien des lieux.
Aujourd'hui il va jusqu'à faire tendre un fil de fer d'un bord à l'autre de la douve, supportant trois écriteaux, qui lu à la queue leu leu indiquent qu'il est interdit de pêcher.
Mais à Chiang-Maï, ce n'est pas parce qu'il est interdit de pêcher que personne ne pêche. Le ventre à ses raisons que la raison d'un bien nourri ne comprend pas toujours !...
Et si à Paris un ventre affamé n'a pas d'oreilles, à Chiang-Maï … un ventre affamé n'a pas d'yeux, ou … ne sait pas lire !...
Bref, alors que j'allais me lever pour aller voir d'un peu plus près ce que faisait réellement le policier, celui-ci me devança de peu pour aller au ''7eleven'' d'à côté, une petite boutique ouverte 24 heures sur 24.
Il en sortit peu de temps après et en portant à la main un petit paquet vert, qui ne pouvait être qu'un mini sachet de tranches de pain.
Dès qu'il fut près de son banc il se rassit, et poursuivit son manège en compagnie du gamin.
Alors ne tenant plus en place, car la curiosité a toujours été l'un de mes péchés mignons, à mon tour je me levai, et prenant les airs d'un touriste en promenade je m'approchai, mine de rien, auprès d'eux.
Sur l'eau flottaient quelques morceaux de pain, car c'était bien ce que le policier était allé acheter. Et la gent des eaux ne s'était pas fait prier pour … ''accourir au galop'' et se repaître de cette manne inattendue.
Quelques poissons happaient avec brio la pâture qui leur avait été lancée et qui se détrempait mais, aucun d'entre eux ne se jetait sur le seul et unique morceau de pain … ''piégé''.
Car en fait, le flic ne tenait pas en mains le fusil-harpon, que mon imagination lui avait attribué, mais un instrument beaucoup plus rudimentaire.
C'était tout simplement un bout de bois d'une cinquantaine de centimètres, du milieu duquel descendait une maigre ficelle équipée d'un hameçon à son extrémité.
Pour avoir été caché en haut d'un arbre, cet instrument rudimentaire devait souvent servir ; et son propriétaire faire avec lui, des pêches miraculeuses.
Ce qui était loin d'être le cas de l'infortuné ou malchanceux policier !...
Avec ce bout de bois à la main, ce dernier semblait tout aussi doué que ses collègues de la circulation au beau milieu d'un embouteillage.
Comme lui ils tiennent un bâton, mais rouge et fluorescent, sans obtenir le moindre résultat des usagers de la route.
Il faut les voir, les soirs de ''marché du dimanche'', derrière la porte Thaphae, s'époumonant à souffler dans leur siffler et réglant soi-disant la circulation qui, à mon avis, sans leur présence devrait être beaucoup plus fluide !...
Cette agitation policière du dimanche soir est d'ailleurs un vrai spectacle que les tour-opérateurs devraient inclure dans leurs programmes.
Il en vaut la peine, et en plus il est permanent et gratuit.
Ma présence et mon insistance à regarder faire le pêcheur et son fiston, ne sembla les gêner, ni l'un ni l'autre.
Plusieurs fois même, avec le représentant de l'ordre, nos regards se croisèrent, et à leur occasion j'avais droit à de grands sourires.
Le plus beau d'entre eux me fut adressé après lui avoir indiqué du bout d'un doigt les trois écriteaux qui se balançaient au-dessus de l'onde avec la mention ''défense de pêcher''.
Mon impertinence, ou mon inconscience, l'avait même fait beaucoup rire, et sans réveiller le moins du monde les obligations qui relèvent de son uniforme !...
Comme je n'ai jamais pris le moindre plaisir à assister à une partie de pêche, au bout de quelques minutes, lassé par la monotonie du spectacle et la maladresse du pêcheur, je retournai m'asseoir là où j'étais en début de soirée.
Puis cherchant à nouveau quelque chose ou quelqu'un à observer, histoire de me distraire, je découvris alors qu'un collègue du pêcheur était à l'attendre près de leurs véhicules.
Son attente dura bien dix bonnes minutes et se termina par l'arrivée de son co-équipier, suivi du gamin.
L'arrivant tenait alors à la main un sac en plastique blanc, dont j'aurai bien aimé connaître le contenu, qu'il ajouta aux nombreux autres déjà accrochés au guidon de sa grosse moto blanche.
Puis sans échanger une parole, chacun d'eux enfourcha son engin. Le gamin grimpa sur celui de son père, la grosse moto blanche, et les deux hommes, laissant la place Thaphae derrière eux, s'enfoncèrent dans la nuit jusqu'à disparaître de ma vue.
Ces deux flics étaient-ils à faire leurs emplettes à l'occasion d'une ronde ?... avaient-ils l'habitude de venir pêcher un poisson ou deux dans la douve avant de rentrer dans leur foyer ?....
Je ne le saurai vraisemblablement jamais. Tout comme je ne saurai jamais si le policier avait fini par faire une prise ou deux, faute d'avoir été suffisamment patient !...
Mais à Chiang-Maï tout est possible, même l'impossible, car le mélange des genres fait parti des us et coutumes !...
En tout cas, sur les lieux du délit il n'y avait plus aucune trace de cette pêche impromptue.
Le bout de bois sa ficelle et son hameçon ne traînaient nulle part. Les poissons s'étaient retirés sans laisser une seule miette de pain. Seule une poche en plastique de couleur blanche flottait nonchalamment sous les trois écriteaux.
Le mercredi 22 septembre 2010
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