MerveilleuseChiang-Mai

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SUNHEE CHUTIMA alias LUANG ANUSARN SUNTHORNKIT (1867-1934) et son temps

                 

 

                     Sunhee (1) Chutima (2) alias

         Luang Anusarn Sunthornkit (1867-1934)

                            et son temps

 

(1) Prononcer ‘’souhni Choutima‘’.

(2) Sunhee Chutima s’est tout d’abord appelé Sunhee Sae Chua

     Puis par la suite il a transformé son patronyme de Sae Chua en Chutima.

 

 

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Photo 1 : L’affiche qui couvrit les murs de Chiang-Mai pour annoncer l’exposition des photos de Luang Anusarn Sunthornkit (1867-1934) du Samedi 5 Octobre 2019 au Lundi 28 Novembre 2019. (Photo du 5 novembre 2019)

Photo 2 : Les appareils photographiques dont se servait Naï Sunhee Chutima, alias Luang Anusarn. (Photo du 5 novembre 2019)

Photo 3 : La photo originale, de plus de cent ans, ayant servi à la conception de l’affiche de l’exposition. (Photo de Luang Anusarn)

 

Avertissement : Pour écrire cette chronique nous avons été amenés à lire de nombreux textes qui, selon les cas concordaient ou divergeaient. De ce fait nous nous sommes adressés au plus ancien de la famille ‘’Anusarn‘’, ou plus exactement de la famille Nimmanhaemin, Khun Somyot Nimmanhaemin (คุณ สมยศ นิมมานเหมินท์). Khun Somyot, très aimablement et en toute simplicité, nous a reçu en son bureau et, en faisant appel à ses souvenirs a raconté la vraie vie de son ancêtre Luang Anusarn Sunthorn. Tout ce que nous avons écrit se réfère en priorité à ses dires, ce qui – peut-être – n’exclura pas quelques erreurs ?! …. La mémoire, parfois se joue du temps, mais un souvenir altéré par le temps est souvent préférable à l’absence de rhétorique.  

 

En Thaïlande, Vishnou le créateur règle nos jours et nos nuits ; et au fil de ses créations Chiang-Mai, sans que le commun des mortels ne s’en rende compte, change de visage. C’est ainsi que certains édifices, us et coutumes, disparaissent tandis que d’autres prennent naissance.

 

Comme à Chiang-Mai les jeunes générations vivent le présent sans vraiment se soucier de l’avenir et encore moins du passé, alors leurs aînés restent seuls dépositaires de souvenirs qui de jour en jour, au fur et à mesure de leur disparition, sombre dans les oubliettes de l’histoire.

 

De ce fait, certains objets ne sont plus utilisés, et les nouveaux propriétaires vont même jusqu’à se demander à quoi ils pouvaient bien servir. Par contre il y a des lègues hérités du passé dont la force d’envoutement reste un mystère. C’est le cas, par exemple … des photos d’antan qui plus elles sont anciennes, et plus elles ont le pouvoir d’hypnotiser ceux qui les regardent, en dégageant autour d’elles une espèce d’atmosphère où la nostalgie est reine.

 

A Chiang-Mai les plus anciennes photos remontent au règne du roi siamois Chulalongkorn (1868-1910) ou du règne de son vassal, le Chao Luang de Chiang-Mai, Inthawarorot Suriyawong (1897-1910) (*) c’est-à-dire en 1890.

 

(*) Le Roi de siam Chulalongkorn (จุฬาลงกรณ์) dit Rama V (1853-1868-1910) (2396-2411-2453) était le suzerain du Chao Luang de Chiang-Mai Inthawarorot Suriyawong (เจ้าอินทวโรรสสุริยวงศ์) (1859-1897-1910) (2402-2440-2453).

Le Chao Luang Inthawarorot Suriyawong était le 35è successeur de Chao Mengraï (เจ้าเม็งราย) (1261-1311) (1804-1854), le fondateur de Chiang-Mai, et le 8è successeur de Chao Kawila (เจ้ากาวิล) (1742-1782-1816) (2285-2325-2359) le rebâtisseur de Chiang-Maï.  

Chao Inthawarorot Suriyawong prit la succession de son frère Chao Inthawichayanon (1873-1896) dès son décès mais il ne fut officiellement investi par Bangkok qu’en 1901. Chao Inthawichayanon était le père de Dara Ratsami, la cinquième princesse consort du Roi Chulalongkhorn dit Rama V.

 

L’auteur des photos qui vont suivre est une personnalité de Chiang-Mai, et celui qui va faire entrer Chiang-Mai dans la modernité. Né Naï Sunhee Chutima, il décèdera sous le nom de Luang Anusarn Sunthornkit. (หลวงอนุสรณ์สุนทรกิจ). (*)

 

(*) Explication du titre : Luang a la signification de grand et d’officiel, Anusarn se rapporte à des compétences comme la diplomatie, la communication et la mémoire entre autres, quant à Sunthorn c’est un mot qui s’emploie pour qualifier la beauté et l’éloquence.

 

Avant de porter le titre de Luang Anusarn Sunthornkit dont l’Honora le Roi Vajiravudh dit Rama VI (*) le 1er janvier 1924, Luang Anusarn Sunthorn, bien que nommé à sa naissance Sunhee Chutima. (สุ่นฮี้ ชุติมา), se fit appeler aussi par son nom chinois : Sunchi Chaeng Seng (สุนชี้ ชัวย่งเสง).

 

(*) le Roi Vajiravudh (วชิราวุธ) dit Rama VI (1880-1910-1925) (2423-2453-2468). 

 

Sunhee Chutima était le quatrième des six enfants des époux ‘’Waen Sae Tae‘’ (นาง แว่นแช่แต้), sa mère et ‘’Toy Sae Chua‘’ (นาย ต้อยแช่ฉั่ว) son père. Ce dernier, un chinois, avait pour ancêtre un Teochiu, (*) qui au cours du XVIIIè siècle avait migré à Ayutthaya.

 

(*) Le mot Teochiu, Teochiu (潮州話), ou encore Taechiu, sert à désigner tout à la fois un habitant du Shantou (), (une région au Nord/Est du Guangdong), leur communauté et leur dialecte. Le mot Shantou () se dit ‘’Chaozhou‘’ en Minnan ou Hokkiens, une langue parlée dans le Sud/Est du Fujian.

Entre le IXe et le XVe siècle des migrants venus de l’intérieur de la Chine se sont installés à l’ouest du Fujian, non loin du Guangdong (Canton) dans la région appelée aujourd’hui Shantou. Ces migrants parlaient la langue Minnan. Au cours des siècles leur langue, a subi les influences du cantonnais et du Hakka et est devenue un dialecte, qui leur est particulier.

Entre le XVIIIe et le XXe siècle la région de Shantou connut une forte émigration en direction du Cambodge et du Siam.

 

Suite à leur mariage, ‘’Nang Waen Sae Tae‘’ et ‘’Naï Toy Sae Chua‘’ s’installèrent à Lamphun ; ou plus exactement à Ban Thung Ku Chang (บ้านทุ่งกู่ช้าง - บ้านทุ่งหัวช้าง) un petit village près de Lamphun. C’est dans ce village que naquit le douzième mois de l’année du lapin, c’est-à-dire le 12 novembre 1867 Sunhee Chutima, le futur ‘’Luang Anusarn Sunthornkit‘’. (*) C’est aussi cette année-là que le couple de missionnaires presbytériens, les McGilvary débarque à Chiang-Mai. Huit ans plus tard, en 1875 un autre missionnaire, le docteur Marion Alonzo Cheek (1853-1895) viendra les rejoindre.

 

(*) A propos de la naissance de Sunhee Chutima, il se raconte que sa grand-mère, quelques jours avant sa venue au monde rêva que son mari ramenait un vautour à la maison, ce qui ne pouvait être qu’un mauvais présage.

A l’époque, pour le commun des mortels, le vautour jouissait d’une mauvaise réputation parce que nécrophage. Pourtant certains bouddhistes préfèrent après leur mort être la proie des vautours plutôt que de se faire incinérer. Car pour eux, cette ‘’mort céleste‘’ c’est faire don de son corps, et il n’y a pas de plus grand don, pour un bouddhiste, que le ‘’don de soi‘’ pour atteindre le nirvana en toute sérénité. (Lire à ce sujet le 574è jataka intitulé ‘’Wessandorn le prince charitable‘’ dont nous parlerons dans les pages suivantes à propos de fresques).

Suite à cette explication, concernant le ‘’don de soi‘’, chacun considéra alors, que ce vautour n’était plus de mauvais augure mais un excellent présage.

Il n’empêche qu’en faisant son entrée dans le monde des vivants toutes les personnes présentes ne purent que se rappeler le rêve du vautour, car Sunhee Chutima vint au monde avec une peau toute aussi fripée que celle du cou de cet oiseau. De ce fait il reçut bien amicalement, le surnom de ‘’Sunhee‘’ un mot qui signifie en chinois … vautour ?! …. A remarquer que le vautour, pour certains, constitue la partie ‘’animale‘’ de Garuda, le vāhana de Vishnu, ou de Naraï pour les Thaïlandais. Le roi de Thaïlande est une réincarnation de Vishnu. C’est pourquoi Garuda est partout en Thaïlande comme le sera en son temps, et encore aujourd’hui, Luang Anusarn (Sunhee Chutima) à Chiang-Mai.

 

Nota : En Inde, à Calcutta, les Parsis, derniers survivants du Zoroastrisme Persan pratiquent encore maintenant cette coutume, et à Bangkok, cette mort céleste qui se pratiquait officiellement au Wat Saket, mais aussi dans la nature, fut interdite sous le règne de Rama V pour des raisons d’hygiène.

 

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Photo 1 : Carte présentant les territoires des principaux groupes dialectaux des environs de Canton. Ces principaux groupes migrants sont les Cantonnais, Hainanais, Hakka, Hokkien et Teochiu. (Reprise d’une carte de Pierre Sigwalt de 1993)

Photo 2 : ‘’Garuda‘’ ou Phra Kru (พระครู) pour les Thaïlandais. Cet être mi-homme et mi-oiseau, (aigle pour les uns et Vautour pour les autres) est le vāhana (monture) de Vishnou (Vishnu), l’un des trois dieux créateurs qu’incarne le souverain Thaï, protecteur du royaume. Ce ‘’Garuda‘’ de la photo a été la proue d’un navire Siamois. Entre ses pattes se trouve le sabord par où passe le fût d’un canon. (Musée Naval de Bangkok – Photo du 17 octobre 2019)

Photo 3 : Carte retraçant l’itinéraire migratoire des ancêtres de Luang Anusarn Sunthornkit.

 

Cent ans avant la naissance de Naï Sunhee Chutima, en 1767, fin mars début avril, la ville d’Ayutthaya tombait entre les mains des birmans après 14 mois de siège. Au cours de ce siège, le 3 janvier 1767, un certain Phraya Wachira Prakan, (พระยาวชิรปราการ) plus connu sous le nom de Taksin, et dont l’ancêtre était aussi un Teochiu, à la tête de 500 hommes s’enfuit d’Ayutthaya pour constituer une armée en mesure de chasser les birmans du Siam. En peu de temps il crée cette armée, prend le contrôle du commerce maritime et des forces navales entre Chanthaburi et l’embouchure du Chao Phraya.

 

Du fait de l’origine Teochiu (*) de son ancêtre, un collecteur d’impôts, Taksin obtint le concours des migrants et des commerçant chinois qui alors prirent une part active dans le développement et la prospérité de Thonburi.

 

(*) En 1921, dans une tombe du comté de Chenghai (Shantou) il a été découvert des vêtements qui auraient appartenu au roi Taksin. Cette découverte correspond à une tradition Teochiu. Ce qui signifie que Taksin était bien d’origine Teochiu mais sans être apparenté à Naï Sunhee Chutima. Les deux familles appartenaient seulement à la même communauté, la communauté des Teochiu. Cette anecdote est donnée sous toute réserve. 

 

Très vite les birmans sont chassés du Siam, mais après leur départ le comportement du roi Taksin mécontente ses sujets. Alors à Thonburi la révolte gronde et une guerre civile éclate.

 

Averti des événements, le beau-père (*) et l’ami d’enfance de Taksin, le général Chakri, alors en campagne au Cambodge s’empresse de rentrer à Thonburi pour … prendre le pouvoir. Mais avant de partir il ordonne l’exécution, des deux fils aînés de Taksin, nés de son épouse principale Bathabaricha, le prince héritier Inthra Phithak appelé Chui ou Choui (Kasat Anuchit) qui combattait à ses côtés, ainsi que du prince Noï (Chao Fa Noï) le frère cadet. Une façon comme une autre d’éliminer d'éventuels rivaux. (*)

 

(*) Taksin était marié à Chao Fa Chim Yai (เจ้าฟ้าฉิมใหญ่) (1757 ? -1779) la fille du général Chakri, futur Rama Ier. Ce qui faisait de Rama Ier le grand-père d'un des enfants de Taksin mis au monde par sa fille (Le seul et unique) ; cet enfant le prince Suphanthuwong (1779-1809) appelé aussi Kshatrannichit, fils de Taksin et petit-fils de Rama Ier avait alors 3 ans ! ... Sa vie sera donc épargnée. Mais en 1809, il avait alors 30 ans, ce dernier va revendiquer le trône. Là il sera arrêté et ... exécuté ! ...

 

A Thonburi le général Chakri reprend la situation en main et se fait couronner le 21 juin 1782, Roi du Siam. L’histoire lui donnera le nom de règne de Rama Ier (1767-1782-1809) (*). A son décès son fils, Loetla Naphalai (เลิศหล้านภาลัย) (1768-1809-1824) monte sur le trône, et recevra plus tard le nom de Rama II.

 

(*) Les noms de règne de la dynastie Chakri ont été donnés par le roi Vajiravudh dit Rama VI (1881-1910-1925).

 

Le prince Tub, le fils de Rama II et futur Rama III (1788-1824-1851) matera cette révolte, et, d’après certaines rumeurs, pour prévenir tout complot, durant le règne de son père il aurait donné la chasse aux Teochiu pour les exterminer au fur et à mesure qu’il en était découvert.

 

Autrement écrit, sous le règne de Rama II le climat semble ne pas avoir été favorable aux Teochius. (*) Car au milieu d’eux, pouvait se cacher un descendant de Taksin qui, un jour ou l’autre, risquait de revendiquer le trône. Alors des familles d’origine Teochiu préférèrent quitter le Siam pour se mettre à l’abri au Lanna, un royaume voisin. Ce qui fut le cas des ancêtres de Sunhee Chutima.

 

(*) Les ancêtres de Sunhee Chutima ont été parmi ceux qui ont participé aux événements qui viennent d’être évoqués. Mais il n’existe aucun document relatant leurs noms et par voie de conséquence leurs rôles exacts. Ce qui est certain c’est qu’ils ont fui une certaine persécution qui ne disait pas son nom et que l’histoire semble avoir gommé.

 

 

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Photo 1 : Portrait photographique de Nang Kamthieng, l’épouse de Luang Anusarn Sunthornkit. (Photo de Luang Anusarn)

Photo 2 : Un arbre généalogique dont seules trois lignées nous intéressent, la lignée du prince de Muang Chae une ville du Sipsong Panna, et les deux lignées des enfants de Nang Hong Sae dont l’une concerne Nang Kamthieng et l’autre Naï Sunhee Chutima. 

Photo 3 : Portrait photographique de Luang Anusarn Sunthornkit. (Photo de Luang Anusarn)

 

 

Les origines d’Anusarn : 

 

                                                 La première génération :

                            La génération des Sae Tae (แซ่ แต่)

                                  Naï Sow (นายช้อ) et Nang Hong Sae Tae

                                   (นายช้อ et นางหงษ์ แซ่ แต่)

 

Les ancêtres de Sunhee Chutima, ceux de la première génération dont on connaît quelques noms, craignant pour la vie de leur famille (fuyant les persécutions) décident de quitter Bangkok, donc le Siam pour le Lanna ; ils le feront accompagnés de leurs douze enfants (*). Le Lanna est alors une étendue géographique rassemblant cinq royaumes qui sont indépendants du Siam mais, sous sa suzeraineté.

 

Par ailleurs, pour dissimuler au mieux ses origines, sait-on jamais, la mère de famille, Nang So, (นางช้อ) va prendre le nom de Nang Hong Sae Tae (นางหงษ์ แซ่ แต่).

 

(*) Les parents de cette première génération sont connus, contrairement à ceux des précédentes générations. Il s’agissait, pour la mère de Nang Sow (นางช้อ). Elle changera son nom en Nang Hong (นางหงษ์). Dans la mythologie du Lanna le Hong est un cygne, un oiseau sacré par excellence. Le père quant à lui, portait le nom de Naï Sow (นายช้อ) et les douze enfants (trois filles et neuf garçons) ceux de : 1/ Phiksoulin (ภิกษุลิน) – 2/ Nang Tui (นางตุ้ย) – 3/ Naï Luang (นาย หลวง) – 4/ Naï Tho (นายโทะ) – 5 Nang Waen (นางแว่น) – 6/ Naï On (นายอ้น) 7/ Naï Man (นาย ม่าน) - 8/ Naï No (นาย หน่อ) – 9/ Naï Oup (นาย อูบ) – 10 Naï Om (นาย ออม) – 11/ Naï Noï (นาย หน้อย ) – 12 Nang La (นาง หล้า).

 

Nota : L’union entre Nang Waen (5) et Naï Toy sera à l’origine de six enfants dont Sunhee Chutima.

 

Je ne garantis pas l’exacte transcription des noms en caractères thaïs en caractères romains. Car même en anglais cette transcription varie d’un texte à l’autre. Ainsi Nang Kimhaw dont il sera question plus bas s’écrit aussi tantôt Nang Kim Ho ou Nang Kim Hor ?!... 

 

Le voyage de la famille prend fin à Lampang, la capitale d’un des cinq royaumes du Lanna. C’était alors la ville qui avait le moins souffert de l’occupation Birmane. En effet, quelques années auparavant Chiang-Mai (*) n’était plus que l’ombre d’elle-même, des décombres livrés aux animaux sauvages tels que rhinocéros, tigres, lions et éléphants, et Lamphun un champ de cendres sans âme qui vive.

 

(*) Chiang-Mai restera inhabitée, ou presque, de 1782 à 1796. Autrement écrit sa reconstruction aura demandé 14 ans, 4 mois et 20 jours. La ‘’renaissance‘’ de la ville se fera officiellement le 12 avril 1796 soit cinq cents ans, jour pour jour, après sa création c’est-à-dire le 12 avril 1296. Lamphun se relèvera bien plus tard et n’aura un nouveau Chao Luang (roi) qu’en 1805 en la personne de Kham Fan (1805-1815) (คำฝั้น) (2348-2358), le huitième enfant de la fratrie Khanan Kawila.

 

La Fratrie Khanan Kawila communément appelée ‘’Chao Chet Ton‘’ (เจ้าเจ็ดตน) (Prononcer Chao Chète Tone) c’est-à-dire les sept seigneurs, se composait de dix enfants, sept garçons et trois filles dont l’une, Sri Anocha (ศรี อโนชา) épousa le frère de Rama Ier. Le père de cette fratrie fut plutôt ‘’bienveillant‘’ vis-à-vis des Birmans lors de leur occupation du Lanna, d’où une ville restée en ‘’bon état‘’. Puis un beau jour, l’aîné de la fratrie Khanan Kawila fit volteface et changea de camp. Peut-être avait-il senti le vent tourner ? ... Toujours est-il qu’il rencontra le Chao de Chiang-Mai Chao Chaban, et que tous deux demandèrent l’aide de Taksin pour chasser les birmans du Lanna.

 

La deuxième génération, c’est-à-dire celle des douze enfants, va aller essaimer à Lamphun, au décès de leur père, Naï Sow (นายช้อ), et après son inhumation selon la tradition Teochiu ; laquelle consiste à brûler un cercueil vide et à enterrer le corps du défunt quelque part au pied d’une montagne, et dont plus personne ne peut dire où.

 

Cette deuxième génération va être la source de nombreuses lignées mais seules nous intéressent celles qui vont nous conduire à la naissance de Naï Sunhee Chutima et de son épouse, sa cousine Nang Kamthieng, c’est-à-dire deux d’entre ces douze lignées.

 

La deuxième génération : 

 

                                               1/ La lignée des Sae Kho (แซ่โค้)

                             Naï In No Sae Kho & Nang Tui Sae Tae (1)

                                  (นายหยิ่นโน้ แซ่โค้ & นางตุ้ย แซ่ แต่)

 

De cette première lignée descendant des Sae Tae (แซ่ แต่), (en fait la lignée numérotée 2 sur l’arbre généalogique), la famille aux douze enfants, naîtront cinq enfants qui constitueront la famille des Sae Kho (แซ่โค้), a savoir : 1/ Nang Dwang (นาง ด้วง) - 2/ Naï Kok (นาย ก๊ก) (2) - 3/ Nang Pèng (นาง เป็ง) - 4/ Nang Sao Pheuil (นางสาว เฟย) - 5/ Naï Noï (นาย หน้อย).

 

(1) Nang Tui Sae Tae était la fille de Nang Hong Sae Tae. Elle figure en n° 2 sur la liste des enfants de Naï Sow Sae Tae et de Nang Hong Sae Ta, et l’arbre généalogique.

(2) Naï Kok Sae Kho (นาย ก๊ก แซ่โค้) (2-2 sur l’arbre généalogique) épousera Nang Thip Sae Ung (นางทิพย์ แซ่อึ๊ง), la fille de Nang Saed qui fera construire à Chiang-Maï, la Ban Kamthieng vers 1844/1848 sur la rive Est de la Mae Ping, presqu’en face du Wat Sri Khong (วัดศรีโขง). Naï Kok et Nang Thip, (Indiqués au moyen d’un cercle rouge numéroté 2 sur l’arbre généalogique), seront les parents de Nang Kamthieng la future épouse de son cousin Naï Sunhee Chutima.

                         

                                        La lignée des Sae Chua (แซ่ฉั่ว)

                       Naï Toy Sae Chua & Nang Waen Sae Tae (*)

                              (นาย ต้อย แซ่ฉั่ว & นาง แว่น แซ่ แต่)

 

De cette deuxième lignée descendant des Sae Tae (แซ่ แต่), (en fait la lignée numérotée 5 sur l’arbre généalogique) la famille aux douze enfants, naîtront cinq enfants qui formeront la famille des Sae Chua. Il y aura : 1/ Nang Buajan (นาง บัวจันทร์) - 2/ Naï Soun Pou (นายสุ่นปู้) - 3/ Naï Soun Hong (นาย สุ่นโฮง) - 4/ Sunhee Chutima (สุ่นฮี้ ชุติมา) dit Luang Anusarn Sunthon (หลวงอนุสารสุนทร) - 5/ Naï Soun Hwat (นาย สุ่นฮวด) - 6/ Nang Boun Pan (นาง บุญปั๋น).

 

Le quatrième enfant de cette famille, Sunhi Chutima (สุ่นฮี้ ชุติมา), deviendra de par ses mérites Luang Anusarn Sunthon. 

 

(*) Nang Waen Sae Tae était la fille de Nang Hong Sae Tae. Elle figure en n° 5 sur la liste des enfants de Naï So Sae Tae et de Nang Hong Sae Tae.

 

La troisième génération :

 

                                    La lignée des Sae Kho (แซ่โค้)

                     Naï Kok Sae Kho & Nang Thip Sae Ung (*)

                              (นาย ก๊ก แซ่โค้ & นางทิพย์ แซ่อึ๊ง)

 

De cette troisième lignée descendant des Sae Tae (แซ่ แต่), (en fait il s’agit la prolongation de la lignée numérotée 2 sur l’arbre généalogique) la famille aux douze enfants, puis d’une première famille de Sae Kho naîtront quatre enfants, portant le nom de famille des Sae Kho : 1/ Nang Kamthieng (นาง คำเที่ยง) - 2/ Khun Sri Buri Phirom (ขุนศรีบุรีภิรมย์) - 3/ Naï Chun (นาย ชื่น) - 4/ Naï Bao (นาย เบ้า).

L’aînée de ces quatre enfants, Nang Kamthieng (นาง คำเที่ยง), deviendra la femme de son cousin germain Naï Sunhee Chutima ; pourquoi germain ? … parce qu’une génération les sépare.

 

Nang Kamthieng perdra ses parents à l’âge de 14 ans et sera élevée par une tante.

 

(*) Nang Thip est la fille de Naï Keng Sae Ung (นาย เกง แซ่อึ๊ง) et de Nang Saed, une arrière petite fille d’un prince de Muang Chae (เมืองแช) une ville du Sipsong Panna, qui est aujourd’hui une province du Yunnan, une région du Sud de la Chine.

Cette Nang Saed, vers 1844/1848, fit construire une maison de style Lanna sur les bords de la Mae Ping à Chiang-Mai. Nang Kamthieng, l’épouse de Naï Sunhee Chutima va hériter de cette maison qui, selon la tradition matrilinéaire du Sipsong Panna, ne se lègue que de femme à femme. Conformément à cette tradition Nang Kimhaw (นางกิมฮ้อ), la fille de Nang Kamthieng en héritera, puis la remettra en 1963 à la ‘’Siam Société‘’ de Bangkok qui en a fait un musée ethnographique concernant le Lanna.

 

 

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Le 16 avril 1906, à l’occasion du nouvel an lunaire, (Songkran), Les descendants de Nang Tui, la deuxième des douze enfants de Naï Sow et Nang Hong Sae Tae, c’est-à-dire la grand-mère de Nang Kamthieng, et la tante de Sunhee Chutima, lui rendent hommage.

Nang Tui est assise au milieu de l’assistance, derrière elle il y a Naï Puk Buri et Naï Cheun Buri. Sa petite fille Nang Kamthieng est assise à sa gauche et tout à côté de Nang Kamthieng se tient Nang Chantip Nimmanhaemin. (Photo Luang Anusarn) 

 

                   Le Samedi 5 octobre 2019 à 18 heures.

    Dans les salons du centre culturel et centre d’art de Chiang-Mai

     Les descendants de Naï Sunhee Chutima alias Luang Anusarn inauguraient une exposition consacrée à ses photos prisent, pour les

                   premières aux alentours de 1896 et au-delà.

 

 

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Photo 1 : Un duo de musiciens accueillait les invités et les visiteurs. (Photo du 5 octobre 2019)

Photo 2 : Khun Tirawat Sucharitakul (คุณติรวัฒน์ สุจริตกุล) ouvre solennellement l’exposition en coupant la guirlande de fleurs qui symbolisait la fermeture des portes en attente de leur ouverture. Il a à sa droite Khun Woranuch Laohawat (คุณวรนุช เลาหวัฒน์) et Khun Chumphon Chutima (คุณจุมพล ชุติมา) et à sa gauche Khun Nehr Nimmanhaemin (คุณเนห์ นิมมานเหมินท์), (Photo du 5 octobre 2019). 

Photo 3 : Un buffet, avec moultes amuse-gueules, tout aussi appétissants les uns que les autres, a été prévu pour accueillir les invités et les visiteurs, mais aussi pour contribuer à la convivialité entre tous. (Photo du 5 octobre 2019)

 

L’enfance de Sunhee Chutima :

Le père de Naï Sunhee Chutima, Naï Toy Sae Chua (นายต้อย แซ่ฉั่ว) tenait à Lamphun une petite échoppe où il proposait à ses clients de multiples articles divers et variés. Sa marchandise arrivait de Bangkok par barges. Ensuite, débardée à Sop Tha (สบตา) ou Bang Kong (บางกง) elle était redirigée, toujours par voie fluviale, vers Pa Sang (ป่าซาง). Enfin, au moyen de chariots les colis étaient transportés jusqu’à Lamphun où il avait sa boutique. (*)

 

(*) Lamphun rasée par les birmans, resta ville morte jusqu’en 1805. Sa reconstruction fut confiée à Chao Kham Fan (เจ้าคำฝั้น) (1756/57-1825), et son frère Chao Bn Ma (เจ้าบุญมา) (1760/61-1827) respectivement les 6è et 7è Chao de la fratrie des Chao Chet Ton. Pour repeupler les villes et les régions du Lanna, dont Lamphun, il a fallu aller … ‘’chercher des esclaves pour les mettre dans les Muang (villages), comme on met des légumes dans un panier‘’ (เก็บผักใส่ซ้า เก็บข้าใส่เมือง). Cette expression de Khanan Kawila, aujourd’hui enchaînée à son auteur tel un boulet, sera suivie au pied de la lettre tant par Khanan Kawila, le nouveau Chao Luang de Chiang-Mai (ขนานกาวิละ) (1742/43-1816) que par ses frères.

Tous les ‘’Chao Chet Ton‘’ sont donc allés chercher manu-militari des familles dans les royaumes voisins pour leur assigner de gré ou de force un nouveau lieu de résidence sur leurs terres et dans leurs villes pour les peupler ou les repeupler.

Lamphun et ses environs furent repeuplés en grande partie par des communautés de Taï Lü et de Taï Yong originaires du Sipsong panna pour les premiers et du Nord de la Birmanie pour les seconds. C’est pourquoi la population de Lamphun et de ses proches environs communiquait au moyen de la langue Taï Lü et Taï Yong, deux langues très voisines de la famille linguistique Taï-Kadaï.

Le ‘’Royaune Lü‘’ ou le Moeng Lü, (Sipsong Panna) fut fondé par Phaya Coeng vers la fin XIIe siècle. Au Sud de Moeng Lü, à Muang Yong, un groupe de Thamin des Luas, prospérait et ne cessait d’étendre son territoire dont la frontière Nord allait devenir commune avec celle du peuple Taï Lü. Inquiet de la situation, le roi Taï Lü chargea son fils, le prince Sunantakuman de mettre un terme à la puissance des Thamins. Les manigances du prince réussirent au-delà de toute espérance, parce qu’après avoir vaincu les Thamins, avec un groupe de Taï Lüs il alla s’installer à Muang Yong et colonisa les alentours pour rester maître de la région. Les Taï Yong étaient donc à l’origine des Taï Lü d’où de nombreuses similitudes entre les deux langues.

 

A l’occasion de ses multiples déplacements le chemin de ‘’Naï Toy Sae Chua‘’ croisa celui de ‘’Nang Waen Sae Tae‘’ (นางแว่น แช่แต่) et les deux routes finirent par n’en faire plus qu’une.

 

De l’union de ‘’Nang Waen Sae Tae‘’ et de ‘’Naï Toy Sae Chua‘’ naquirent, au village de Ban Thung Ku Chang (บ้านทุ่งกู่ช้าง), près de Lamphun, six enfants dont le quatrième ne fut autre que : Sunhee Chutima, le futur Luang Anusarn.

 

Alors que Sunhee Chutima avait trois ans, et vivait du côté de Lamphun, en 1870 le Chao Luang de Chiang-Mai, Kawilorot Suriyawong (1799-1870) décède non sans avoir quelques temps auparavant fait décapiter deux chrétiens, Noï Sunya (น้อยสุ่นยา) et Naan Chaï (นันไชย), (*) et ordonné un raid punitif à l’encontre de forestiers britanniques shans, dont certains trouveront la mort.

 

(*) Cinq autres convertis avait réussi à s’enfuir et ainsi à échapper à la décapitation. Car à l’époque, la décapitation était un fait courant, le Chao Luang était maître et propriétaire de tout, y compris de la vie de ses sujets ; ainsi par exemple, le moindre vol ou l’ivresse continuelle étaient passibles de mort, c’est-à-dire de décapitation ?! …

 

Les Anglais porteront plainte auprès du suzerain du Lanna, le Roi de Siam, Chulalongkorn dit Rama V. Alors un premier traité, dit de Chiang-Mai, sera signé en 1874 de conserve avec les princes de Chiang-Mai (*) ; ce qui clôturera ce douloureux épisode et obligera les princes de Chiang-Mai à indemniser les Britanniques. Puis, en raison de l’aptitude humaine à tirer parti d’articles quelque peu ‘’flous‘’, un deuxième traité suivra en 1883 pour préciser ce qui demandait à l’être.

 

(*) Ce traité ne sera pas sans conséquences pour Chiang-Mai. Car il marque la fin d’une ère d’indépendance déjà mise en péril en 1855/1856 au décès du chao Khanan Mahawong (1). En effet, soi-disant pour veiller au bon respect des clauses de ce traité il a été décidé, avec l’assentiment de tous les signataires, d’installer à demeure, c’est-à-dire à Chiang-Maï, un Kha Luang ou haut-commissaire. Dans les faits, la présence de cet … ‘’arbitre‘’ va tout d’abord officialiser l’implication de Bangkok dans la région, ensuite, au gré des ans augmenter son influence et au final rendre Bangkok souveraine du Nord. Le premier Haut-commissaire (1874-1876) fut un homme d’une grande habileté et un fin politique, Phra Narin (พระณรินทร์) ou Phraya Thep Prachun (Phum Srichaiyan) (พระยาเทพประชุน – ภูมิ ศรีไชยายัน) (1820-1891). Il reviendra à Chiang-Mai de 1877 à 1880 sous le nom de Thep Prachun (Phra Narin) (เทพประชุน) (พระณรินทร์).

(1) Au décès de Chao Khanan Mahawong ou Mahotara Prathet (มโหตรประเทศ) (?-1846-1854) trois prétendants revendiquèrent sa succession. Ne pouvant se mettre d’accord sur le choix de l’un d’entre eux, ils demandèrent l’arbitrage de Bangkok. Il est évident que Bangkok désigna celui des trois dont la politique servait au mieux la sienne, à moins d’avoir été ‘’roulé‘’ dans la farine par l’heureux élu qui aurait pu dire ce que Bangkok voulait entendre ?! … Bangkok pencha pour Kawilorot Suriyawong (1799-1856-1870).

Par ailleurs ce fut en 1853, lors de la maladie de Mahawong que le titre de Phraya (Gouverneur de Muang) fut changé en Chao (Prince-Gouverneur de capitale -Nakhon). 

 

Lors des dix ans de Sunhee Chutima, en 1877, James McCarty, un cartographe au service du Roi de Siam, Chulalongkorn dit Rama V, accompagné de 250 soldats commandés par le capitaine Leonowens part faire des relevés topographiques du côté de Luang-Prabang. 

 

Un an plus tard, en 1878, Sunhee Chutima avait donc onze ans, Madame Sophia Bradley, l’épouse du missionnaire presbytérien Daniel McGilvary ouvrait à Chiang-Maï la première école de filles du Nord, la ‘’Chiang Mai Girls'School‘’ (โรงเรียนผู้หญิง). Mesdemoiselles Edna Sarah Cole et Mary Margaretta Campbell en deviendront les premières enseignantes. (*)

 

(*) Mlle Edna Sarah Cole (เอ็ดน่า เซร่ะ โคล) (1855-1950), Mlle Mary Margaretta Campbell (นางสาว แมรี่ มาร์กาเร็ตต้า แคมป์เบลล์) (1858-1881).

 

L’année suivante, en 1879 (2422) le jeune Sunhee Chutima alors âgé de 12 ans perdait sa mère. Sa sœur aînée, Nang Buajan (นางบ้วจันทร์) devenue l’épouse de Naï Mahi Sae Nim (นาย มาอี่ แซ่นิ้ม) (1) l’éleva avec ses huit enfants (2) ; ainsi que, sans doute, les deux petits derniers (? ...). Le couple vivait alors à Ban Pak Bong (ปากบ่อง) un petit village rattaché au district de Pa Sang (ป่าซาง) de la province de Lamphun.

 

(1) Naï Mahi Sae Nim, l’époux de la sœur aînée de Naï Sunhee Chutima, était aussi un émigré chinois mais, venu directement de Chine, de Ban Kao Theo Min exactement (?) (บ้านเก่าเท่านิ้ม). La famille de cet émigré de première génération résidait toujours en Chine.

(2) Les enfants de Nang Buajan et de Naï Mahi Sae Nim portaient les noms suivants : 1/ Nang Kamieng (นางคำเย็น) - 2/ Nang Kongkeaw (นางกองแก้ว) - 3/ Nang Buakeaw (นางบัวเขียว) -  4/ Naï Ou (นายอู๋) - 5/ Naï Khoui (นายขุ่ย) - 6/ Naï Yi (นายหยี) - 7/ Naï Ki (นายกี๊) - 8/ Naï Ki (นายกี).

 

Nota : C’est à partir du nom du mari de Nang Buajan, Naï Mahi Sae Nim que sera formé le patronyme de Nimmanhaemin. Il y aura alors les descendants des Nimmanhaemin avec la fille de Sunhee Chutima, Kimhaw, et des Chutima avec son fils le Dr. Yong Chutima né d’un premier lit et les garçons nés d’un second lit.

 

Durant notre rencontre Khun Somyot avec une gentillesse qui ne doit jamais le quitter, a beaucoup insisté sur les qualités humaines et morales de son ancêtre et combien il avait d’empathie pour autrui. On sentait, en l’écoutant une grande admiration pour son aïeul. Au détour de la conversation il nous narra une anecdote dont le souvenir revenait en permanence à l’esprit de son ancêtre quand le besoin s’en faisait sentir.

 

Un jour, racontait Sunhee, alors qu’il était gamin et traînait dans les rues avec le ventre creux il aperçut un mendiant tenant entre ses mains quelque chose à manger qui aurait pu apaiser sa faim. A la vue de cet aliment quelque chose a dû changer dans son attitude, car le vieil homme s’approcha de lui et partagea, en balbutiant quelques mots, le peu qu’il avait entre les mains. Ce don, reçu d’un plus pauvre que lui, le marqua à tout jamais. Car depuis ce temps Sunhee se montra toujours attentif à autrui et s’efforça de faire le bien le mieux possible et autant que nécessaire. Son leitmotiv favori n’était-il pas : ‘’pour se sentir bien il suffit de faire le bien, faire le mal conduit à se sentir mal‘’ (ทำดีได้ดี ทำชั่วได้ชั่ว).

 

Une autre version circule dans la famille. Lors de son enfance, Sunhee aurait croisé le chemin d’une pauvre femme couverte de loques allant mendier. Des villageois qui mangeaient non loin de là à satiété l’auraient alors invitée à partager quelques boulettes de riz. Ce qu’elle accepta, et, le cœur sur la main puisant sur sa part elle en aurait offert quelques-unes à Sunhee.

 

En fait, les deux histoires se valent et la conclusion de la première sied comme un gant à la seconde.

 

 

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Photo 1 : Le tout premier plan ‘’moderne‘’ de Chiang-Mai conçu en 1894 par l’irlandais James Fitzroy McCarthy (1853-1919) à la demande du roi Chulalongkorn dit Rama V. McCarty joua un rôle déterminant dans le tracé des frontières du Siam. D’abord au service des Britanniques, il accepta de rejoindre le département du ‘’Royal Thaï Survey‘’ où il fut directeur du département des arpentages puis des enquêtes. Certaines cartes furent utilisées pour collecter … des taxes.

Pour plus de lisibilité je me suis permis de mettre de la couleur dans son plan, et de placer quelques édifices en les nommant. J’espère que McCarthy ne m’en tiendra pas rigueur.

Photo 2 : Le même plan, montrant et détaillant, six ans plus tôt, l’implantation occidentale ainsi que celle des représentants de Bangkok. (La mission presbytérienne a volontairement été omise pour plus de clarté. Elle apparaîtra sur les plans à venir.)

Photo 3 : Un gros plan de la région Est de Chiang-Mai, cette dernière va connaître un fort développement commercial et artisanal durant la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Ce plan a été conçu en s’appuyant sur la carte de Chiang-Maï que réalisa en 1894 l’irlandais James Fitzroy McCarthy (1853-1919) à la demande du roi Siamois Chulalongkorn dit Rama V.

Les routes de couleur rouge sont les routes existantes à l’époque et Les routes de couleur orange sont les routes qui vont se créer au fur et à mesure des besoins.

Un certain George Finlayson (1790-1823) d’origine écossaise et naturaliste de son état aurait ‘’croqué‘’ une carte de Chiang-Maï vers les années 1820. Mais l’exactitude de cette carte et l’authenticité de sa signature sont fortement remises en cause.

 

 

Vers 1881, tandis que le jeune Sunhee vivait toujours à Lamphun chez sa sœur, ses deux frères aînés résidaient et travaillaient dans le village de Ban Wat Ket, (*) à Chiang-Mai, dans le quartier habité par le vice-Roi de la ville, le Chao Uparat Bunthawong (เจ้าอุปราชบุญทวงศ์) le frère du roi, Chao Luang Inthawichāyanon (อินทวิชยานนท์). Ce détail est important car les abords de la Mae Ping étaient alors peuplés d’individus pas toujours très fréquentables ; alors s’installer près de chez Bunthawong c’était, en quelque sorte, se mettre sous sa protection. Chacun savait que Bunthawong était un homme dont l’autorité et l’inclémence n’avaient d’égale que la faiblesse et la bonté de son frère et roi, Chao Luang Inthawichāyanon (อินทวิชยานนท์) (1870-1897).

 

(*) Ban Wat Ket se situe sur la rive Est de la Mae Ping, en face du talat Warorot (ตลาดวโรรส). C’est sur cette rive Est qu’en 1428 le roi Chao Sam Fang Kæn (สามฝั่งแกน) (1401-1442) destitué par son fils Chao Tilokarāja (เจ้าติโลกราช) (1409-1442-1487) le plus grand roi du Lanna, fit construire une … ‘’résidence d’été‘’ à l’image du paradis céleste (Tavatimsa) où vit le dieu Indra, selon la cosmologie bouddhique.

Au sein de ce paradis céleste s’élève un Chédi renfermant une dent de Bouddha, le Phra Chula Mani (พระจุฬามณี). Le Chédi du Wat Ket, ou Phra that Ket Kaew Chulamani (พระจุฬามณี) est donc une copie du Chédi céleste d’Indra.

Ce Chédi aurait la particularité d’assurer aide et protection aux personnes nées lors d’une année du chien du cycle duodénaire. Il est vraisemblablement la 1ère construction en dur de l’endroit. Tout à côté de celui-ci, le roi Phra Muang Keaw (1482-1495-1526) fit construire le Wat Pubbarama (วัดบุษผาราม).

En 1796, et bien avant, il existait déjà en cet endroit, une zone portuaire très active, Ban Ta ou Ban Tha (Village du ponton ou du débarcadère). Elle est devenue sous l’ère Rattanakosin (Bangkok) le point d’ancrage incontournable pour commercer entre les deux royaumes, le Siam et Chiang-Maï. Entre 1878 et 1897 plus de mille barges accostaient chaque année à Ban Wat ket. Ban Wat Ket était donc un port fluvial très important regroupant une communauté multi-ethnique et multireligieuse que dominaient en nombre les Chinois et les indiens.

 

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Photo 1 : Une représentation du paradis terrestre, appelé Swarga, Sawankhalok ou encore Indraloka, selon la cosmologie bouddhique. Cette illustration provient d’un manuscrit en papier Khoï datant de 1805. Au centre de l’image trône le Dieu Indra de couleur verte. En haut et à gauche son vāhana l’éléphant blanc à trois têtes Airavata, (ช้างไอยราพต) Airavana ou encore Erawan. En haut et à droite, en blanc, s’élève le Phra Chula Mani (พระจุฬามณี) renfermant une relique de Bouddha. Puis tout en bas à droite se trouve l’arbre qui exauce les souhaits, le Parijata ou Parichati (ปาริกชาติ).

 Ce type d’illustration, qui montre l’invisible, servait de support à la méditation du lecteur. (Source: Cette illustration est extraite du livre ‘’Thaï art et culture‘’ d’Henry Ginsburg dont le manuscrit est détenu par la Chester Beatty librairy de Dublin.)

Photo 2 : L’ubosot du Wat Ket Karam. La façade de cet ubosot (salle des ordinations) présente une curieuse composition mettant en scène le style Lanna et des apports venus en grande partie du Chaozhou, la région de la communauté des Teochiu. Il y a au sein du Wat Ket Karam un musée, que créa, sur ses fonds propres durant sa retraite, Jack Bain, (1920-2013) le fils de William Bain (1882-1958) un ‘’Teak Wallah‘’ ayant travaillé pour la British Bornéo Cie. Ce musée, le meilleur de la région concernant les musées de Wats, vaut un détour mais il mériterait de retrouver un nouveau Jack Bain pour le sortir de sa léthargie !... (Photo du 22 février 2017) 

Photo 3 : Une photo en pied datant de 1873 (*) du Chao Uparat Bunthawong († 1882). [Photo de Francis Chit (ฟรานซิส จิตร) (1830-1891)].

(*) Cette année-là, le vice-roi par intérim Bunthawong est allé à Bangkok porter le tribut pour l’investiture royale de Chao Inthanon qui reçut le titre de Chao Luang et non celui de Phra Chao comme il l’espérait ; Bunthawong reçut celui de Chao Uparat. (Le tribut se portait tous les trois ans.)  

L’auteur de la photo, un siamois converti au christianisme, Francis Chit (ฟรานซิส จิตร) (1830-1891), Chitarakhani (จิตราคนี) de son nom d’origine, s’initia à cette technique auprès du missionnaire français Louis François Larnaudie ; par la suite, il apprit les nouvelles techniques avec le photographe-explorateur écossais John Thomson (1837-1921) alors de passage à Bangkok entre 1865/1866. Thomson deviendra le photographe attitré de la reine Victoria en 1881.

Francis Chit tenait un studio de photos à bord d’un bateau amarré près du Wat Kudi Chin (วัดกุฎีจีน) dans le quartier chinois de Thonburi tout près des quais à barges. Fort apprécié du roi Rama V, en 1883 il reçoit le titre de Khun Sunthorn Satisalak (ขุนสุนทรสาทิศลักษณ์) le photographe (ช่างถ่ายรูป) et en 1890 celui de Luang Akhanee Naruemit Chao Krom Hung Son Prathip (หลวงอัคนีนฤมิตร เจ้ากรมหุงลมประทีป).

 

Vers 1883, (*) le jeune Sunhee est invité par ses frères aînés à les rejoindre à Ban Ket Karam ; ce qu’il fit. Il avait alors 16 ans. Très vite le jeune garçon fit preuve d’indépendance, de clairvoyance et d’un instinct hors du commun pour la technique et le commerce.

Pour ces raisons, Sunhee Chutima apprit à lire et à écrire la langue du Nord ou Kham Muang, et à utiliser un boulier pour compter et commercer.

 

Peut-être a-t-il appris à lire et à écrire le Kham Muang au Wat Ket Karam ?... voire avec sa cousine germaine Nang Kamthieng, ou encore à l’école de garçons que le révérend David Gormley Collins ouvrit le 19 mars 1887 ? … Mais, dans les trois cas, cela reste à établir ?! … En tout cas il n’y avait pas d’autres école de garçons à Chiang-Maï à cette époque et il n’a pas pu apprendre tout seul.

 

(*) En 1883 Rama V signe un décret, qui autorise, à des fins commerciales, les compagnies forestières étrangères à exploiter le teck du Lanna. (La British Bornéo Cie était déjà à Lampang depuis 1864, soit presque 10 ans avant le 1er traité Anglo-Siamois de 1873.)

Cette année-là, suite à un échange de courriers où chacun des rois (Siam et Lanna) défendait ses prérogatives, Rama V confie à son frère, le prince Phichitprichakorn (กรมหลวงพิชิตปรีชากร) (1855-1910) la mission de négocier un engagement de concubinage avec le Chao Luang de Chiang-Mai Inthawichayanon, concernant sa fille, Dara Ratsami, (ดารารัศมี) (1873-1933) alors âgée de 10 ans, Rama V en avait 30. En 1886, année de l’investiture du prince Royal ou Chao Fa Maha Vajirunhis (เจ้าฟ้ามหาวชิรุณหิศ) (1878-1895) le fils de Rama V, le chao Luang de Chiang-Maï conduisit sa fille à Bangkok.

 

1883 est aussi l’année de l’émission d’une première série de cinq timbres-poste (4 aout 1883) et de la création de la poste de Chiang-Mai qui s’élevait à l’époque à l’emplacement de l’hôpital municipal actuel. Elle fut transférée en 1909 dans un nouveau bâtiment qui est devenu aujourd’hui le musée postal ou musée de la poste.

 

Vers cette même époque, à quelques années près, les deux frères aînés, Naï Soun Pou (นายสุ่นปู้) et Naï Soun Hong (นาย สุ่นโฮง) se marient. Dans le même temps les deux benjamins, les deux petits derniers, Naï Soun Hwat (นาย สุ่นฮวด) et Nang Bun Pan (นาง บุญปั๋น) viennent rejoindre Sunhee Chutima (สุ่นฮี้ ชุติมา), et selon les circonstances vont gagner leur vie en se faisant embaucher à droite et à gauche, tout en aidant leur frère Sunhee Chutima dans ses activités de réparation en tous genres.

 

En effet, Sunhee Chutima, doué d’une habileté manuelle naturelle, pour gagner sa vie s’était construit une échoppe, (1) et fabriquait des meubles en bois, réparait des bicyclettes, puis des armes, des lampes à pétrole et des horloges pour ne citer que ces catégories d’articles, car il était capable de réparer tout ce qui était à réparer, y compris les appareils photos ?! ... (2)

 

(1) Cette échoppe se trouvait dans l’angle Sud, formé par l’embranchement de la Soï Nah Wat Ket avec la grande rue Charoen Rat qui longe la Mae Ping. Il y a aujourd’hui, en Décembre 2019, un garage Isuzu sur cet emplacement.

(2) La réparation d’appareils photos est citée par quelques auteurs s’étant intéressés à la vie de Luang Anusarn (Sunhee Chutima). Il apparaîtrait donc que Sunhee Chutima ait réparé des mécanismes d’appareils photos dès les années 1886/1887.

 

Tout en assurant le développement de ses diverses activités au sein de son échoppe, Sunhee Chutima va s’intéresser aux transactions commerciales qui se déroulent à deux pas de sa boutique, et prendre l’habitude de participer à des affrêtements en prenant des parts de plus en plus conséquentes. (*)

 

(*) A cette époque les échanges commerciaux entre Chiang-Mai et Bangkok se faisaient principalement par voie fluviale. Pour parcourir les 870 kilomètres en eau qui séparent les deux villes il fallait, grosso modo, 3 à 4 semaines pour descendre la Mae Ping et 6 à 7 semaines pour la remonter.

Le transport des passagers et des marchandises se faisait alors au moyen de bateaux dits à ‘’queue de scorpion‘’ (เรือหางแมลงป่อง) d’où leur nom de ‘’scorpion‘’. Cette particularité de l’extrémité arrière des Scorpions permettait de faire contre-poids lorsque des hommes d’équipage devaient se rendre à l’avant du bateau pour une raison ou pour une autre. Sans ce contre-poids les embarcations risquaient de chavirer et de couler.

La longueur de ces scorpions, variait d’un bateau à l’autre, mais se situait en général entre dix ou quinze mètres. Cependant les plus grands, très rares, pouvaient atteindre la trentaine de mètres.

L’emploi des scorpions définissait leur catégorie, une quinzaine environ : transport de voyageurs pouvant parfois aller jusqu’à la centaine, de vivres, d’animaux, de tissus etc… Il n’était pas rare que certains frets atteignent les 3 tonnes.

Selon certains critères, ces scorpions étaient désignés par des noms particuliers. Ainsi les plus rapides étaient appelés ‘’Lions de la Mae Ping‘’ (Sing Mae Ping) (สิงห์แม่น้ำปิง) ; lorsque la forme de leur coque favorisait l’adhérence aux fonds sableux, ‘’bateau qui colle au sable‘’ (rua Mae Pa) (เรือแม่แปะ), ou encore, quand ils se distinguaient de la norme générale, ‘’bateau avorton‘’ (rua Sido) (เรือสีดอ) (*)

 

(*) En prononçant le mot ‘’Sido‘’ nos différents interlocuteurs esquissaient tous et à chaque fois un sourire, alors nous avons voulu savoir pourquoi, et voici pourquoi :

Au Lanna le ‘’sido‘’ est un éléphant atrophié. Il est aussi rare que l’éléphant blanc mais il existe. C’est un éléphant mâle d’environ une tonne alors que ses congénères en pèsent deux ou trois, et contrairement à eux il n’a presque pas de défenses, voire aucune. Bref ce n’est pas un véritable éléphant mâle. De là le rapprochement avec les hommes qui ne sont pas de véritables hommes à savoir les ‘’Kathoïs‘’ (กะเทย) qui en Thaïlande sont des garçons qui prêtent plus d’attention à leur genre qu’au genre opposé. Pour être plus complet il faut savoir qu’en langue thaï, en ‘’Passa Thaï‘’ (langue du Sud), langue différente du ‘’Kham Muang‘’ (langue du Nord), le mot ‘’pénis‘’ se dit ‘’do‘’ (ดอ). Voilà, tout est dit.

 

Pour lutter contre les pirates, les animaux sauvages, (Chaque nuit il fallait dresser un campement) et passer au mieux les rapides qui obligeaient d’une part, à décharger les embarcations et à porter à dos d’hommes les marchandises pour ensuite les recharger, et d’autre part tirer les embarcations délestées de leur fret pour les remettre en eaux navigables (*) et … les recharger, les affréteurs constituaient des convois de 7 ou 8 barges, avec quatre ou cinq hommes d’équipage pour les plus petites et sept ou huit pour les plus grandes, dont certaines, comme dit plus haut, pouvaient transporter jusqu’à trois tonnes de marchandises.

 

(*) Parfois lorsque le niveau d’eau était trop bas, et que le fond du bateau râclait (collait) le fond du fleuve, il fallait alors creuser un chenal, dans le lit de la Mae Ping et à l’avant du scorpion, pour remettre l’embarcation en eau et la tirer plus facilement.

 

 

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Photo 1 : L’abattage d’un arbre, près de Chiang-Maï lors de l’année 1865. Cet arbre, âgé de quelques siècles va -peut-être- être transformé en embarcation à ‘’queue de Scorpion‘’ et devenir l’un des nombreux modèles de scorpion ou Mae Pa, à moins qu’il soit destiné à l’exportation pour alimenter les chantiers de la marine anglaise ?! … (Photo sans auteur connu.)

Photo 2 : Sur la rive du Wang, un fleuve qui arrose Lampang, des artisans fabriquent une embarcation dite à ‘’queue de scorpion‘’ (เรือหางแมลงป่อง) (Photo sans auteur connu).

Photo 3 : Un ‘’Hopéa odorata‘’ encore en vie. Il mesure une bonne quarantaine de mètres et s’élève tout à côté de la Mae Ping dans l’enceinte du département des forêts de Chiang-Maï, tout près de l’alliance Française mais en face, du côté de l’EFEO. Il y a devant cet arbre deux petits sanctuaires ?!... y-en-a-il un pour Mae Takian Thong ? … (Photo du 30 novembre 2019).

 

Quelques précisions sur les scorpions :

 

Autrefois les terres et tout ce qui s’y trouvait, y compris la vie des sujets, appartenait au Chao Luang, (roi du Lanna) rien ne se faisait sur ses terres sans son autorisation. Autrement écrit lorsqu’un arbre susceptible d’être transformer en embarcation était découvert, il fallait en référer au Chao Luang qui décidait des suites à donner.

Contrairement aux idées reçues, ces embarcations n’étaient pas en bois de teck mais en bois de Takien ou Takian. (*)

 

(*) Le teck, Mai Sak (ไม้สัก) ou Ton Sak (ต้นสัก) pour les gens du Lanna, est un bois dont l’arbre a été répertorié par les botanistes sous le nom de ‘’Tectona grandis L.f.‘’. Il est de la famille des verbenaceae, et peut atteindre une hauteur de 40 mètres et un diamètre de 2 mètres. Son bois est tout indiqué pour la construction navale ; et au XIXe siècle les anglais, après avoir épuisé leurs forêts, ne se sont pas privés d’en faire autant avec celles de Birmanie et du Lanna pour le renouveau de leur marine.

Le Takian ou encore Takian Thong (ตะเคียนทอง) est un arbre de la famille des dipterocarpacées, que le botaniste écossais Robert Roxburgh (1751-1815) a catalogué comme étant un ‘’Hopea odorata‘’, et comme le veut la coutume, pour désigner celui qui a décrit en premier, un arbre non répertorié, il a été rajouté le référencement du botaniste c’est-à-dire ‘’Roxb‘’ - ‘’Hopéa odorata Roxb‘’. Cet arbre pousse le long des rivières et dans des altitudes ne dépassant pas les 600 mètres. Il peut atteindre des hauteurs allant jusqu’à 45 mètres et des diamètres jusqu’à 4,5 mètres. De telles dimensions nécessitent des siècles de développement, voire plus d’un millénaire, pour être atteintes.

 

Au Lanna, un arbre en général, et un Hopéa en particulier ne pouvait être abattu qu’avec l’accord du Chao Luang, et l’accomplissement de rites de propitiation. Ces rites avaient pour but d’obtenir de l’esprit qui habitait l’arbre en question, qu’il accepte ‘’de bon cœur‘’ la nouvelle destinée réservée à son habitat.

 

D’après les légendes, l’hopéa serait habité par un esprit féminin redoutable et particulièrement dangereux : Mae Takian Thong (แม่ตะเคียนทอง) ou Nang Tah-kian Thong. (นางตะเคียนทอง).

Alors que tous les autres esprits habitant en chacun des arbres du Lanna n’ont pas de nom (*) ; celui de l’hopéa en porte un : Mae Takian Thong. Aucun des hommes voués à son courroux ne résisterait à sa beauté maléfique. D’autant qu’elle aurait l’art d’attirer ses victimes, de les enlacer et de les étouffer, avec grand plaisir ?! … C’est pourquoi mieux vaut ne pas déroger à ces rites de propitiation et lui faire des offrandes qui flattent son égo.

(*) Le ‘’Musa balbisiana‘’ une espèce de bananier est dans le même cas que l’hopéa odorata. Son esprit porte le nom de Nang Tani (นางตานี) ou Phrai Tani (พรายตานี). Ce seraient, à ma connaissance, les deux seuls cas d’esprits sylvestres ayant un nom.

 

Lorsque tout se passe bien avec Mae Takian, elle reste attachée à son arbre et vient habiter la proue du bateau sous le nom de ‘’grand-mère et dame du bateau‘’ (แม่ย่านางเรือ) ce qui fera d’elle ‘’la divinité protectrice de l’embarcation‘’.

 

Fort heureusement il existe une parade pour couper court aux foudres de Mae Takian quand elle n’a pas été honorée comme il se doit. En effet si l’Hopéa odorata est débité et travaillé au sein d’un temple, les mérites des moines suffiraient à rendre inoffensive, et à tout jamais, la terrible Mae Takian.

 

A Chiang-Mai l’hopéa odorata était transformé en coque de scorpion tout près du Wat Phra None Nong Phueng (วัดพระนอนหนองผึ้ง), aujourd’hui dans le district de Saraphi. Au XIIIe siècle, du temps de Wiang Khum Kam, (*) la Mae Ping passait tout à côté de ce Wat, c’est-à-dire à l’Est de Wiang Kum Kam. Puis avec le temps le lit du fleuve, du fait des hommes et de la nature s’est déplacé à l’Ouest de Wiang Kum kam cédant son lit d’origine à un petit cours d’eau non navigable qui aujourd’hui porte le nom de ‘’Ping Hang‘’ ; un nouveau Wat a été reconstruit sur l’emplacement de l’ancien et a gardé le nom de son prédécesseur.

 

(*) Wiang Kum Kam, (เวียงกุมกาม) à 5 km au Sud de Chiang-Mai fut, de 1292 à 1296 l’avant dernière capitale de Mengraï (1238-1317) le fondateur de Chiang-Maï, sa dernière capitale. La ville fut abandonnée en raison des fréquentes inondations.

 

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Photo 1 : Le Phra Non ou Bouddha couché du Wat Phra Non de Ban Nong Phueng (Le village de l’étang aux abeilles) sur la route de Lamphun. Ce Bouddha se situe dans le Wat où se fabriquaient jadis les Scorpions, Car la Mae Ping passait devant le Wat.

Suite au détournement réussi de ce fleuve (Il y avait eu déjà plusieurs tentatives) soi-disant grâce à la mise en place de ce Bouddha, son ancien lit n’est plus aujourd’hui qu’un large ruisseau dont le nom rappel son passage d’antan puisqu’il a été appelé ‘’Ping Hang‘’ ce qui pourrait signifier la queue, la fin de la Mae Ping (Photo du 30 novembre 2019).

Photo 2 : Cette carte met en évidence le passage de l’ancien cours de la Mae Ping devant le Wat de Ban Nong Phueng où se construisaient jadis les embarcations appelées Mae Pa (scorpion). Elle montre aussi les différents lits de la Mae Ping actuellement. (La Mae Kuang rejoint la Mae Ping en aval.). Cette carte, retravaillée, a été extraite de l’article de François Lagirarde, page 87, concernant le ‘’Klong Nirat Hariphunchai‘’.

Photo 3 : Ce scorpion peint par Naï Bunpan, dont nous parlerons plus bas, est extrait de la fresque murale qui décore l’un des bureaux du premier Bâtiment construit par Luang Anusarn en 1897 (2440) rue Wichanayon. (Photo du 7 octobre 2019)

 

Concernant le ‘’Phra None‘’ (Bouddha couché) de ce Wat il est édifiant de savoir qu’entre le XVIe et le XVIIe siècle il existait un pèlerinage dont le chemin partait du Wat Phra Sing de Chiang-Mai pour se terminer au Wat Phra That Hariphunchaï de Lamphun. L’itinéraire emprunté par les pèlerins comportait de nombreuses haltes, dont une au Wat Phra None de Ban Nong Phueng. Le bouddha qui s’y trouvait avait alors la particularité d’agir favorablement sur le cours des événements ; la preuve en avait été apportée avec le détournement réussi de la Mae Ping peu de temps après son installation dans le Wat. Cette réussite marqua d’autant plus les esprits, qu’avant la venue de ce ‘’Bouddha None‘’ tous les détournements De la Mae Ping avaient échoué !...

Le pouvoir de ce Bouddha aurait-il eu des conséquences bénéfiques sur le cours de la construction des coques de scorpion ? … Bouddha seul le sait ! …

Toujours est-il que toutes les conditions se rapportant aux croyances populaires étaient réunies pour que Mae Takian laisse en paix les futurs navigateurs et protège de bon gré tous les scorpions du Lanna.

 

Un seul chantier pour Chiang-Mai :

 

Les rives de la Mae Ping Hang où s’élève le Wat Phra None Nong Phueng, a donc été le seul et unique lieu de construction ‘’navale‘’ de et à Chiang-Mai durant des siècles ce qui faisait du Chao Luang le seul et unique propriétaire de tous les scorpions et autres embarcations qui s’y construisaient.

 

Pour façonner la coque d’un scorpion il fallait compter entre 2 et 5 ans selon la taille de l’embarcation. La première opération consistait à travailler l’extérieur du tronc pour équilibrer au mieux ce qui deviendra la coque extérieure. Ensuite, patiemment et au moyen d’outils rudimentaires, des artisans du bois évidaient le tronc jusqu’à l’obtention d’une coquille de 15 à 20 centimètres d’épaisseur. (*)

 

(*) La coque d’un scorpion est d’un seul tenant, et ne résulte en aucun cas et en aucune manière d’un assemblage de planches chevillées ou collées.

Lorsque la coque était terminée, l’opération suivante consistait à la chauffer (*) pour qu’elle se dilate et que ses bords se distendent l’un de l’autre ; ensuite, pour que la coque ne se rétracte pas, il suffisait de la plonger dans l’eau.

 

(*) La coque était chauffée au moyen de braises produites avec les copeaux et les déchets du bois issus de l’évidement du tronc, rien n’était perdu.

 

Enfin lorsque les scorpions étaient fins prêts pour naviguer, une petite cérémonie, nous dirions une bénédiction, (*) portant le nom de ‘’cheum rua‘’ (เจิมเรือ) leur était donnée pour leur assurer une protection jusqu’à leur dernier voyage. Puis, comme pour renforcer cette protection, un talisman de couleur blanche, un ‘’Yane‘’ (ยันต์) pour utiliser la terminologie Thaïlandaise était apposé sur l’embarcation.

 

(*) le mot Cheum (เจิม) signifie oindre ou sacrer, et le mot Yane (ยันต์) sert à désigner un talisman qui serait le dépositaire de vertus magiques de protection. Il y aurait le même en Inde à la différence que dans ce pays il est de couleur rouge.

 

De nos jours le rite du ‘’Cheum‘’ se pratique couramment au Wat Duang Di de Chiang-Maï où tout un chacun peut aller faire bénir, sa mobylette ou sa voiture automobile ; dans le premier cas il s’agira d’une bénédiction de mobylette ou ‘’cheum Rotmotosaï‘’ (เจิมรถมอเตอร์ไซค์) et dans le second d’une bénédiction d’auto ou ‘’cheum rot‘’ (เจิมรถยนต์).

 

Les premiers scorpions, sous toute réserve, auraient été construits vers la fin du XVIIe ou au début du XVIII siècle, bien que les légendes racontent que Chamathevi (จามเทวี) la 1ère reine d’Haripunchaï (Lamphun) en quittant Lavo (Lopburi) pour Haripunchaï, sur un radeau, en cours de voyage, donc en plein VIIe siècle aurait quitté son radeau pour un scorpion qui lui aurait été offert par une bonne âme ? … Mais … que ne fait-on pas dire aux légendes !...

 

Par contre, en plein XIXe siècle, et de sources sûres, à Chiang-Maï, le 7ème Chao Luang de la dynastie des Chaos Chet Tone, le Chao Luang Inthawichayanon (1873-1896) le père de Dara Ratsami, possédait une flotte personnelle (flotte royale) d’une cinquantaine de scorpions, et vivait pour une bonne part des revenus de ses nombreux autres scorpions qu’il louait aux commerçants, car ces derniers ne pouvaient pas en posséder.

 

Quelques années plus tard, ces commerçants, faute de pouvoir construire leurs propres scorpions, (*) auront la possibilité d’acheter ceux qu’ils louaient. Le Chao Luang suivant, en manque de ressources financières, préféra vendre ses scorpions plutôt que de les louer.

 

(*) Outre le fait que les hopéa odorata se faisaient de plus en plus rares, les forêts n’appartenaient plus aux Chaos Luang mais au Roi siamois Rama V. Ceci explique – peut-être – cela ?! …

 

Nota : Bien évidemment, Chiang-Maï était aussi, commercialement parlant, accessible par voies terrestres, (*) l’une de ces principales routes la reliait à Moulmein (Mawlamyine) un port Birman. Une autre dite la route d’or (เส้นทางทองคำ) jouait le rôle d’un trait d’union avec Dali ou Tali, une ville du Yunnan. Les caravanes Yunnanaises, surtout conduites par des commerçants musulmans, des Haws, Hos, ou encore Hors, empruntant cette piste pouvaient compter jusqu’à 300 mulets maximum et 60 minimum, là encore il fallait se protéger des bandits. Elles mettaient 90 jours pour atteindre Chiang-Maï et 15 jours de plus pour arriver jusqu’à Moulmein. Il existait aussi une piste entre Nan et Chiang-Maï où vivaient des commerçants français.

 

(*) Il existait plusieurs itinéraires pour aller de Moulmein à Chiang-Maï et vice-versa. Ces ‘’parcours‘’ combinaient tout à la fois l’utilisation des voies d’eau et des sentiers de montagnes.

Le plus court mais le plus difficile au départ de Chiang-Maï consistait à suivre le cours de la Mae Ping jusqu’à Muang Hot (เมืองฮอด), puis par terre rejoindre la Salouen via Mae Sariang (แม่สะเรียง) et ensuite se laisser porter par la Salouen jusqu’à Moulmein.

Le plus long, mais aussi le plus facile au départ de Chiang-Maï consistait à suivre le cours de la Mae Ping jusqu’à Tak (Raheng), puis par terre jusqu’à Moulmein via Mae Sot (แม่สอด). 

 

(Nous remercions sincèrement M. Samak Laosaterawong et Mme Songsri Wongwech. (081.9609398) -  www.scorpionrivercruise@gmail.com. qui nous ont donnés tous ces précieux renseignements.)

 

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Photo 1 : : ‘’Un bateau à queue de scorpion‘’(เรือหางแมลงป่อง) appelé ‘’scorpion‘’ mais aussi ‘’Lions de la Mae Ping‘’ (สิงห์แม่น้ำปิง). (Photo de Luang Anusarn.), 

Photo 2 : Cette carte montre les deux routes commerciales reliant Chiang-Mai au Lanna à Moulmein en Birmanie Britannique et vice-versa. 

Photo 3 : Quelques ‘’Lions de la Mae Ping‘’ (สิงห์แม่น้ำปิง), ou ‘’rua Mae Pa‘’ (เรือแม่แปะ) ou encore ‘’rua Sido‘’ (เรือสีดอ) sur une des berges de la Mae Ping. (Photo de Luang Anusarn).

 

Tandis qu’a Chiang-Mai le docteur Marion Alonzo Cheek démissionnait de la communauté presbytérienne en leur laissant une salle de soins appelée à devenir un hôpital (*) ; que Sunhee Chutima et sa fratrie poursuivaient leurs activités, à Lamphun leur père connaissait quelques difficultés avec le Chao Muang de la ville, Chao Luang Daradirekratphairot (เจ้าหลวงดาราดิเรกรัตน์ไพโรจน์) (1871-1888) (2414-2431). Il s’est murmuré à l’époque que les deux hommes avaient eu un différent pour une histoire de cœur, mais les vraies raisons restent encore un mystère.

Toujours est-il que Naï Toy Sae Chua a dû quitter la ville et qu’en se rendant chez ses enfants à Chiang-Mai, il fut blessé chemin faisant.

 

(*) Le docteur Cheek de la mission presbytérienne de Chiang-Maï, avait obtenu des Etats-Unis une subvention de 10.000 $ pour construire un hôpital à Chiang-Maï. Mais le conseil des missions presbytériennes de Bangkok entendit utiliser cet argent pour tout autre chose. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Cheek démissionna. Sa femme divorça et rentra aux Etats-Unis avec leurs cinq enfants.

Libéré de toutes attaches, Cheek se lança alors dans la construction. Il ouvrit une scierie et l’équipa de matériels américains.

Ses proches l’appréciaient beaucoup car il aurait toujours eu le cœur sur la main ; tandis que les missionnaires le détestaient à cause de sa vie dissolue et de sa réputation ‘’d’homme à femmes‘’.

 

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Photo 1 : Le révérend Daniel McGilvary qui, aidé de son épouse Madame Sophia Royce née Bradley, fonda en 1867 la mission presbytérienne du Laos (Chiang-Maï.). (*)

Le révérend Daniel McGilvary était le beau-frère du docteur Marion Alonzo Cheek parce que leur femme respective était sœur. (Photo de Luang Anusarn)

 

(*) En 1868 le chao Luang Kawilorot fit don d’un terrain à la mission presbytérienne. Il y fut alors construit une église en bambou. Entre 1889/1891, à l’emplacement de cette toute première église, le docteur Marion Alonzo Cheek en éleva une seconde, tout en bois qui aurait demandé un an de construction. Ce fut en ce lieu que 77 ans durant, les presbytériens célébrèrent leurs offices. (1891 à 1968). Désaffectée en 1968, elle est devenue, grâce à la magie du temps, indissociable du paysage de la rive Est de la Mae Ping.

Photo 2 : Un plan de la rive Est indiquant en violet les différentes installations de la mission presbytérienne de Chiang-Mai.

 

Comme Sunhee Chutima avait son échoppe à deux pas de la mission presbytérienne, et qu’un très modeste hôpital venait d’y être créé, il y conduisit son père ; et là, Naï Toy Sae Chua fut soigné par l’épouse du missionnaire presbytérien Daniel McGilvary (1828-1911), Madame Sophia Royce née Bradley (1839-1923), et leur jeune fille Cornelia McGilvary (1886- ?) la future épouse du révérend docteur William Harris. (*)

 

(*) Le missionnaire presbytérien, le Docteur William Harris (ดร. วิลเลียม แฮรีส), aux côtés du révérend David Gormley Collins (เดวิด คอลลินส์) participa à la fondation de la première école de garçons de Chiang-Mai.

Cette école fut ouverte le 19 mars 1887, sur la rive Ouest de la Mae Ping, au sein du village de Ban Wang Sing Kham (บ้านวังสิงห์คำ). Le révérend Collins, en sera le directeur jusqu’en 1899 et le révérend Harris de 1899 à 1939. Une vingtaine d’années plus tard, trop à l’étroit, une nouvelle école fut construite sur la rive Est du fleuve. Elle porte aujourd’hui le nom de ‘’Prince Royal’s collège‘’ parce que le prince Vajiravudh, le futur Rama VI, de passage à Chiang-Mai, en tant que prince visitant le Nord, y posa la première pierre le 2 janvier 1906.

 

Le père de Sunhee Chutima, guérit de ses blessures, restera à Chiang-Mai auprès de ses enfants, et deux ans plus tard en 1885 décèdera.

 

Peu de temps après, Sunhee Chutima qui devait avoir tout au plus 18 ou 19 ans, ouvre un deuxième commerce en partenariat avec un certain Naï Boonma Nikornphan, (นาย บุญมา นิกรพันธ์) (*).

 

(*) Naï Boonma Nikornphan (นาย บุญมา นิกรพันธ์) était aussi un descendant d’immigrés chinois et, comme Sunhee Chutima sera à l’origine d’une famille qui comptera dans le développement de Chiang-Mai, il s’agit de la famille Kitibut (กิติบุตร). Naï Boonma Nikornphan demeurait sur le bord Ouest de la rue Wichayanon, tout prêt de la rue Tha Phae. Avec le temps Naï Boonma Nikornphan, recevra le titre de Luang, Luang Nikorn Chinkit ou Chinkij (หลวงนิกรจีนกิจ) pour ses bons et loyaux services envers la couronne Siamoise.

 

En cette année de 1885 les britanniques ouvrent un consulat à Chiang-Mai avec à sa tête le vice-consul Edward Blencowe Gould (เอ็ดเวิล์ด กูลแลนด์) (1847-1916) (2390-2459).

 

Le télégraphe arrive à Chiang-Mai (*) et deux ans plus tard, 1887/1888 commencent à Bangkok, la pose de voies ferrées.

 

(*) Le télégraphe aurait véritablement mis en relation Chiang-Maï et Bangkok vers les années 1890 ?! …. Car entre la date de décision d’un projet et celle de sa réalisation il y a souvent quelques années d’écart. Le relais télégraphique des presbytériens passait alors par Moulmein.

 

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Photo 1 : Le portrait de Naï Boonma Nikornphan futur Luang Nikorn Chinkit ou Chinkij (หลวงนิกรจีนกิจ). (Photo de Luang Anusarn)

Photo 2 : Un plan précisant l’emplacement du magasin des deux associés dont l’enseigne était : ‘’Rouam Thagn Hagn Yong Thai Heng‘’ (ร่วมตั้งห้างย่งไท้เฮง) ; ce qui pourrait se traduire par ‘’Aux partenaires du grand magasin Yong Thai Heng‘’. Aujourd’hui, cette boutique a laissé place au grand magasin ‘’Kitipanich Store‘’ (กิติพานิช) qui se trouve tout à côté de la ‘’Siam Commercial Bank‘’.

Photo 3 : Un portrait de Sunhee Chutima (Photo de Luang Anusarn)

 

Sunhee Chutima et Boonma Nikornphan devaient avoir approximativement le même âge et partager la même origine … l’origine Teochiu. Car un teochiu ne peut s’associer qu’avec un teochiu. Dans le cœur des chinois d’outre-mer le modeste lopin de terre des ancêtres a plus d’importance que le vaste territoire où il se trouve. Ce qui veut dire que le minuscule Chaozhou, passe avant l’empire et toutes les autres contrées aussi renommées soient-elles.

 

L’une des règles d’or entre gens de la communauté Teochiu, (*) c’est l’entre-aide, à laquelle viennent s’ajouter des qualités humaines dont la plus importante est la confiance. Cette confiance permet de créer des réseaux sur lesquels ses membres peuvent compter et ainsi développer leurs entreprises. Le courage, le travail et les économies font le reste.

 

(*) Dans l’un de ses articles, Pierre Trolliet écrit que les commerces d’import-export du XIIIe arrondissement à Paris, sont tenus par des teochiu, réfugiés du Cambodge et du Laos, qui se sont mis en rapport sans délai avec leurs compatriotes de Bangkok. Puis, non sans ironie, il demande à son lecteur si un commerçant venu du Fujian ou de Shanghai aurait réussi de la même manière ?! … 

 

Il est évident qu’à l’époque l’importance des réseaux commerciaux, et le trafic qui en découlait dépendaient de la distance entre les partenaires. Or les plus proches fournisseurs des commerçants de Chiang-Mai résidaient à Moulmein, en Birmanie (*) une colonie Britannique ouverte sur Singapour, la Malaisie et aussi l’Angleterre via l’Inde (Madras ou Bombay) ; cette présence anglaise à Moulmein depuis 1827, soit depuis plus de cinquante ans par rapport à 1885, n’a fait qu’accroitre le commerce vers Chiang-Mai via, principalement Hot et Mae Sariang mais aussi Tak (ex Rahen) et Mae Sot.

 

(*) Le quartier général de l’armée Britannique s’était installé à Moulmein en 1827, suite au traité de Yandabo (24/02/1826) qui mettait fin à la première guerre Anglo-Birmane. Cette ville sera alors la première capitale de la Birmanie Britannique (1827-1852). Ces derniers y construisirent des bureaux gouvernementaux, des églises et une immense prison auxquels sont venus s’ajouter de nombreuses maisons coloniales privées dont certaines ont encore fière allure aujourd’hui, alors que d’autres sont dans un triste état.

 

Il y a, entre l’arrivée au pouvoir de Rama V (1868) et l’arrivée des anglais à Moulmein (1827) 41 ans de différence. Autant dire que Moulmein est une ville très prospère en 1868 alors que Bangkok commence à se construire. La modernité est à Moulmein et non à Bangkok.

 

Les besoins en bétail, éléphants, produits divers, et par la suite en bois de teck, vont favoriser un commerce de plus en plus florissant entre les deux villes au point que la monnaie d’échange deviendra à Chiang-Maï, la roupie indienne.

 

L’importante population Anglo-Birmane de Moulmein a valu à l’un de ses quartiers d’être appelée ‘’la petite Angleterre‘’. Ce fut donc, par exemple, depuis Moulmein qu’arriva à Chiang-Maï depuis l’Angleterre, et via -peut-être- Madras, aujourd’hui Chennai, et Moulmein un ‘’rot-tip‘’ (รถถีบ) ou, littéralement, un véhicule à pédales.

 

L’histoire de l’arrivée de ce véhicule à pédales, commence par une affaire de corruption qui impliquait le gendre du consul anglais à Bangkok. Ce dernier, arrêté par les autorités Siamoises fut incarcéré. L’apprenant, le consul, Sir Thomas George Knox (1824-1887), demanda sa libération immédiate. Les siamois refusèrent. Comme chacun resta sur ses positions la tension monta. Alors le consul se fâcha et fit bloquer le golfe de Siam. Ce blocus dura plus d’un mois. Pour mettre un terme au conflit le Roi Chulalongkorn dit Rama V, envoya à Londres Chao Phraya Phasakorn Wong. (*)

 

(*) Phraya Phasakorn Wong (Pron Bunnag) (พระยาภาสกรวงศ์) (พร บุนนาค) (1849-1920).

 

Sa mission terminée, courant 1880, Chao Phraya Phasakorn Wong, rentra au Siam avec dans ses bagages un présent original et inconnu au Siam, qu’il destinait à son Roi. Il s’agissait selon ses dires d’un ‘’rot-tip‘’ (รถถีบ), c’est-à-dire d’un véhicule à pédales, (*) ou plus simplement d’un vélocipède appelé aussi bicyclette. Non seulement le roi va apprécier ce présent, mais un grand nombre de ses sujets vont vouloir en posséder un ou une, selon le terme choisi. (Vélo ou bicyclette)

 

(*) le baron Allemand Karl Drais (1785-1851) vers 1817 inventa la draisienne, un deux roues propulsées par les pieds. Il fit breveter son invention en France sous le nom de vélocipède. Des allemands, des britanniques et des français perfectionnèrent sa découverte en y ajoutant des pédales, puis certains d’entre eux mirent sur le marché différents types de vélos.

 

Le 27 mai 1899, alors en fonction à Bangkok, le Belge Emile Jottrand (1870-1966) écrira à ce sujet : ‘’ Depuis quelque temps, la bicyclette (*) sévit avec rage ; il n’est guère de ministre, de prince ou de noble qui n’ait la sienne et ce sont tous les jours de vraies caravanes qui défilent … Les bicyclettes sont de premières marques, avec tous les perfectionnements possibles … ‘

 

(*) Les Siamois donnèrent différents noms à la bicyclette. Il y eut entre autres :  ‘’baïsikone‘’ (ไบศิเกิล) et ‘’rot-djakrayane‘’ (รถจักรยาน). C’est après avoir supprimé la première syllabe de ce dernier nom, ‘’rot‘’ (รถ) pour créer le mot djakrayane (จักกรยาน) que les Thaïlandais désignent aujourd’hui la bicyclette.

 

La bicyclette arriva à Chiang-Maï vraisemblablement vers les années 1895/1900 (*) mais en petite quantité à cause de son prix. Puis très vite la plupart des familles eut sa bicyclette. Sa popularité a été telle que des peintres en activité dans les années 1925/1930 la représentèrent sur leurs fresques, comme c’est le cas au sein du viharn du Wat Buppharam de la rue Tha Phae.

 

(*) Des vélos figurent sur des documents photographiques relatant la visite du prince Vajiravudh, futur Rama VI, à Chiang-Maï au cours de l’année 1906.

 

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Photo 1 : La première église évangélique de Moulmein ex-capitale coloniale Anglo-Birmane dite la ‘’Perle d’orient‘’ (1827-1856). Cette église fut fondée par le révérend Adoriram Judson (1788-1850) et construite dès 1827. Elle connaissait sa troisième rénovation en 1907. En 1858, Moulmein connaissait 370 communautés protestantes. (Photo de Kyaw Oo).

Photo 2 : La fresque murale dont est extrait cette image, a été peinte sur le mur gauche du Viharn du Wat Buppharam, rue Tha Phae de Chiang-Maï. Elle est signée Pan Chang Ban Ho (ปั๋น ช่างบ้านฮ่อ). Cet artiste a peint une femme tenant une bicyclette, ce qui signifie que la bicyclette roulait à Chiang-Maï bien avant 1930. (Photo du 12 Avril 2013).  

Photo 3 : Le grand magasin Kitipanich store devenu ‘’Kitipanit‘’. C’est à la place de ce magasin que s’élevait entre 1890 et 1900 le magasin ‘’Aux partenaires du grand magasin Yong Thai Heng‘’ des associés Naï Boonma Nikornphan et Naï Sunhee Chutima. (Photo du 12 décembre 2019)

 

En conclusion, jusqu’en 1921 (date de l’arrivée du train à Chiang-Maï), les réseaux commerciaux entre les teochiu de Chiang-Mai (Sunhee Chutima et Boonma Nikornphan) et les teochiu de Moulmein ont dû connaître une activité commerciale tout à la fois heureuse et rémunératrice, mais aussi diligente et laborieuse.

 

Dans ce climat de bon aloi le partenariat entre Sunhee Chutima et Boonma Nikornphan allait durer une bonne dizaine d’années. (*) Ensuite, viendra vraisemblablement pour Sunhee Chutima et peut-être Boonma Nikornphan l’exercice du commerce avec les réseaux teochiu de Bangkok qui déjà devait exister. D’autant que Sunhee Chutima allait pouvoir acheter, et non plus louer, ses propres scorpions puisque le Chao Luang de Chiang-Maï vendait les siens et mettait ainsi fin à son monopole.

 

(*) Comme déjà écrit, la boutique de Naï Sunhee Chutima et Naï Boonma Nikornphan, dont il ne reste plus rien aujourd’hui, se situait rue Tha Phae, du même côté que le Wat Upakut, et à quelques mètres après la rue du marché de nuit qui en 1888 n’était pas encore percée. Il y a toujours aujourd’hui à son emplacement le magasin Kitipanich store devenu ‘’Kitipanit‘’. Quant à la rue Tha Phae, en droite ligne, elle aboutissait à la Mae Ping, où se trouvait l’embarcadère n° 6 et un petit marché. Car en 1888 il n’existait aucun pont reliant les deux rives. Pour aller à pied d’une rive à l’autre depuis la rue Tha Phae il fallait prendre le chemin Wichayanon qui conduisait vers la demeure de la princesse Wichayanon, puis au petit marché, emprunter le Khua kula qui enjambait la Mae ping.

 

Après une année de partenariat, en1888, alors qu’il a 21 ans, Sunhee Chutima épouse sa cousine germaine, Nang Kamthieng Buri (นางคำเที่ยง บุรี), qui devient alors Nang Kamthieng Chutima (นาง คำเที่ยง ชุติมา) (1868-1930) (2411-2473). Elle prendra par la suite le nom de Nang Anusarn Sunthorn (นางอนุสารสุนทร). (*) Ce mariage inter-familial, loin d’être un cas isolé chez les teochiu,  a dû se faire selon les règles teochiu.

 

(*) Nang Kamthieng Chutima sera la mère de trois enfants, dont l’aîné décèdera quelques mois après sa naissance (ตายเมื่อเยาว์) lui succéderont une fille et un garçon. 1/ Nang Kimhaw Chutima (นางกิมฮ้อ ชุติมา) – 2/ le docteur Yong Chutima (นายแพทย์ยงค์ ชุติมา).

1/.- Nang Kimhaw (นางกิมฮ้อ) en épousant son cousin Naï Ki Nimmanhaemin (นายกี นิมมานเหมินท์) sera à l’origine de la lignée Nimmanhaemin issue de Luang Anusarn et Nang Kamthieng.  Le couple Naï Ki et Nang Kimhaw aura six enfants quatre garçons et deux filles. 1/ Naï Kraïsri (นายไกรศรี) - 2/ Naï Phisut (นาย พิสุทธิ์) – 3/ Naï An (นายอัน) – 4/ Naï Ruang (นายเรือง) – 5/ Nang Chemchit (นางแจ่มจิตร) – 6/ Nang Oun (นางอุณณ์).

2/.- le docteur Yong (นายแพทย์ยงค์ ชุติมา) aura successivement deux épouses 1/ Nang Muang (นางเมือง) (*) qui n’aura pas d’enfant, et 2/ Nang Pradap (นางประดับ) qui mettra au monde deux enfants : 1/ Naï Somphot  (นายสมโพธิ์) – 2/ Nang Kalaya (นางกัลญา)

 

(*) Je n’ai pas retrouvé le véritable nom de cette anglaise que les indigènes appelaient tantôt Nang Muang (femme-ville) ou Nang Ya (femme-médicaments).

 

Le docteur Yong Chutima et les enfants de la deuxième épouse de Sunhee Chutima seront à l’origine des lignées Chutima issues de Luang Anusarn.

 

Nang Kamthieng est une femme qui a su rester dans l’ombre de son mari, tout en agissant pour le bien commun ; elle mérite donc, tout autant que lui les lauriers qui lui ont été décernés. Le succès et le mérite qu’on attribue à Luang Anusarn sont donc les fruits de leur union, et non pas du seul Luang Anusarn.

 

L’entourage du couple reconnaissait à Nang Kamthieng une grande intelligence et un art tout particulier de vision à long terme. Par ailleurs, contrairement à son époux elle savait lire et écrire couramment le Siamois et le Kham Muang, calculer, et se servir d’abaques. Ce qui signifie qu’elle avait reçu une certaine éducation ; et que grâce à elle, elle était en mesure de seconder, voire de traiter de gré à gré les affaires de son époux.

 

En cette même année de 1888, la sœur aînée de Sunhee Chutima met au monde son huitième et dernier enfant, un garçon qu’elle et son mari, Naï Mahi Sae Nim (นาย มาอี่ แซ่นิ้ม), nommeront Ki ou Naï Ki Sae Nim (นายกี แซ่นิ้ม) (1888- 1965) (2431-2508).

 

Ce garçon, neveu de Naï Sunhi Chutima, retiendra toute l’attention de son oncle, jusqu’à – peut-être – recevoir toute son affection, car celui-ci s’évertuera à lui donner la meilleure des éducations, et un sérieux bagage intellectuel, qui passera par une connaissance de l’anglais et -peut-être- du Français. (*) Ce n’est pas par hasard si son neveu deviendra tout d’abord son plus proche collaborateur et par la suite son gendre en le mariant à sa seule fille Nang Kimhaw, un mariage inter-familial, cette fois encore.

 

(*) Naï Ki a d’abord reçu une éducation primaire à l’école de Wang Sing Kham ; la première école de garçons de Chiang-Maï ouverte en 1887 par le révérend David Ghromley Collins, un pasteur presbytérien.

Ensuite, Naï Ki est allé poursuivre ses études à Bangkok, au collège de l’Assomption. Un collège qui enseignait tout à la fois l’anglais et le Français alors qu’il n’était à l’origine qu’une modeste école fondée par le R.P Emile Auguste Colombet (1849-1933) en 1877. Reprise par la congrégation des frères de Saint Gabriel elle ouvrira ses portes aux enfants Siamois en 1885. Naï Ki sera le premier étudiant de Chiang-Maï à aller étudier à Bangkok où il obtiendra une maîtrise d’anglais et le diplôme de l’école de l’Assomption.

Ce collège de l’Assomption est rapidement devenu une pépinière de l’élite siamoise et aujourd’hui de l’élite thaïlandaise. La reine actuelle, Suthida Tidjai, en l’an 2000 a obtenu un baccalauréat en arts de la communication à l’Université de l’Assomption.

 

 

En 1899, traverser la Mae Ping coûtait trois-quarts de cent, que l’usager emprunte le pont de bambou, (*) ou une barque faisant la navette.

 

(*) Le pont de bambou était alors appelé en kham Muang, le Khua Tae c’est-à-dire le pont tressé.

 

Pour économiser cette somme, Il n’était pas rare de voir certains candidats à la traversée sauter d’une grume à l’autre, lorsque le niveau des eaux permettait la circulation de troncs d’arbres, ou traverser à guet lorsque les eaux étaient à leur plus bas niveau. Le choix de l’une de ces solutions pouvait conduire à un bain voire à une noyade. Cependant l’utilisation du pont comme de la navette n’était pas, elle aussi, sans risque.

 

Ainsi, un jour de mars 1884, à Chiang-Maï, un événement fit grand bruit. Le pont de bambou s’était rompu, occasionnant une dizaine de victimes.

Ces dernières empruntaient le pont en toute confiance quand il céda ne pouvant plus supporter le poids du troupeau auquel appartenaient cette dizaine de bovins !...

 

A quelque chose ou à quelqu’un malheur est bon !...

 

Un prince de Chiang-Mai, flairant la bonne affaire, se proposa de prendre en main les travaux de réparation de ce pont de bambou. Ce qui lui fut accordé.

 

Comme l’y autorisait la loi, le prince commença par faire recruter des corvéables, mais bien plus qu’il n’en avait besoin. Puis il se fit construire une espèce d’abri pour s’y reposer et donner du temps au temps.

 

Sans qu’on sût pourquoi le début des travaux tardait. Alors au fil des jours de plus en plus de corvéables rentrèrent chez eux dans l’attente d’être rappelés. Lorsque sur le futur chantier, il ne resta plus que quelques irréductibles, prêts à prendre racine plutôt que de partir, le prince ordonna le début des travaux.

 

Tous ceux qui étaient partis rappliquèrent dare-dare, mais leur rapidité et leur bonne foi ne les empêchèrent pas d’avoir à payer une amende, non pour le fallacieux motif qu’on leur avait donné et qu’autorisait la loi, mais tout simplement parce que le prince avait trouvé ce subterfuge pour se faire quelque argent de poche … sur le dos des corvéables ?! … L’immoralité est une valeur que l’UNESCO devrait porter au patrimoine de l’humanité.

 

 

1889 c’est aussi l’année où la British Bornéo Cie, une compagnie forestière, s’installe à Chiang-Mai.

 

C’est encore cette année-là que débarque à Chiang-Mai en compagnie de son épouse Laura Bell, née Wilson le missionnaire et docteur James William McKean (1860-1949).

 

Avec son arrivée, Chiang-Maï allait connaître une révolution médicale sans précédent, d’autant que les ‘’docteurs‘’ locaux pratiquaient une médecine à base de plantes mais aussi et surtout de Rites et d’incantations.

 

Le Révérend Daniel McGilvary, lequel n’était pas docteur, s’était donné pour mission la conversion des esprits et plus particulièrement, aux dires de certains, celui du Chao Luang de Chiang-Maï, (*) tandis que le révérend James W. McKean, docteur de son état se donnera en plus et, peut-être d’abord, la mission de soulager et guérir les corps en souffrance.

 

(*) A Bangkok, le roi Mongkut dit Rama IV se plaisait à dire et à répéter à ces missionnaires, qu’ils soient protestants ou catholiques : ‘’Ce que vous leur dites de faire est excellent. Mais ce que vous leur dites de croire est stupide. ‘’ 

 

 

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                     Quelques-uns des nombreux descendants de Luang Anusarn

                                 Présents à l’inauguration de l’exposition :

 

Photo 1 : au centre, khun wannee Jittidecharaks (คุณวรรณี จิตติเดชารักษ์) et à droite, Khun Chusri Bunyased (เจ้าชูศรี บุลยเลิศ). (Photo du 5 octobre 2019)

Photo 2 : au centre, Kun Tirawat Sucharitakul (คุณติรวัฒน์ สุจริตกุล), Khun Somyot Nimmanhaemin (คุณสมยศ นิมมานเหมินท์). (Photo du 5 octobre 2019)

Photo 3 : à gauche Khun Varuni Nimmanhaemin (คุณวารุณี นิมมานเหมินท์) au centre, Khun Ariya Melvin (คุณอริยา เมลวิน) et à droite une descendante des anciens Chaos de Chiang-Maï, Khun Thanthip Na Chiang-Mai (คุณธารทิพย์ ณ เชียงใหม่). (Photo du 5 octobre 2019)

 

Jusqu’à 22 ans, Naï Sunhee Chutima n’avait guère mis les pieds ailleurs qu’au Lanna. Car à l’époque Chiang-Maï vivait isolé de presque tout, replier sur lui-même, et comme plongé dans une espèce de léthargie qui lui laissait supposer un avenir paisible et serein.

 

Cependant, à Bangkok, depuis une quinzaine d’années, le processus qui allait éroder lentement, mais surement, l’influence et le pouvoir des Chaos Luang du Lanna avait été mis en route dès l’avènement du roi Chulalongkorn dit Rama V.

 

En prenant ses fonctions en 1868, le roi Rama V rappela à tous, qu’il était le ‘’roi suprême du Siam‘’ et le ‘’Suzerain des dépendances Laos Chiang, Laos Kao, Malaise, Karen et autres‘’. Ses deux grands objectifs d’alors, étaient de réunir ces dépendances à son royaume et de moderniser ce grand et nouveau royaume pour le mettre sur un pied d’égalité avec les puissances européennes. Mais pour ce faire il fallait … de l’argent.

 

Alors, dès 1873 apparaissent au Lanna, donc à Chiang-Mai, les premières taxes qui vont, au fur et à mesure de leur création, mettre à mal le système d’économie de subsistance en place depuis des siècles. Des collecteurs d’impôts d’origine chinoise, tout spécialement engagés, sont alors chargés de percevoir en espèces, et non en nature, ces nouvelles redevances royales, ‘’royales‘’ au double sens du terme, car le rôle de ces percepteurs était de faire entrer un maximum d’argent dans les caisses du royaume.

 

Des abus furent commis par ces collecteurs qui tout en remplissant les caisses du royaume, se remplissaient les poches. (*) Alors en seize ans, au Lanna en général, et dans les environs proches de Chiang-Mai en particulier le mécontentement des populations va enfler, et se concrétiser par un soulèvement des campagnes courant 1889, à cause d’une taxation sur les aréquiers ou palmiers à bétel, (Areca catechu). Ces herbes géantes, considérées à tort comme des arbres, (Les palmiers n’ont pas de tronc mais un stipe.), produisent la noix d’arec ou noix de bétel. Cette nouvelle taxe fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase.

 

(*) Pour collecter les impôts il fallait obtenir une ferme. La ferme était le droit de lever l’impôt sur un produit ou un service dans une circonscription donnée. La personne qui obtenait la ferme était celle, parmi d’autres candidats, qui proposait de reverser dans les caisses du royaume la part la plus importante sur l’ensemble des sommes encaissées. Autrement écrit pour être sélectionné, c’est-à-dire satisfaire à l’engagement pris auprès des agents royaux et … s’enrichir, il ne fallait pas lésiner sur les sommes réclamées aux assujettis. (Ceci explique cela ?!...)

 

Entre 1874 et 1907, soit en 33 ans les recettes entrant dans les caisses du Trésor Royal passent de 1,6 millions de bahts à 57 millions de bahts ?! … soit une augmentation de 3.562 %. En 1909 le Siam, pour la première fois, va se doter d’un budget, ce qui va donner naissance à deux types de caisses, celles du roi et celles du Royaume.

 

Cette année-là, du côté de Sansaï (สันทราย) à Ban Famui, (บ้านฟ้ามุ่ย) un village au Nord de Chiang-Mai, un certain Nan Techa (น่านเตชา) plus connu sous le nom de Phaya Phap (พญาผาบ) ou le titre de Phraya Prap Songkram (พระยาปราบสงคราม), dont la mission officielle était de veiller à la bonne marche des villages de sa région, tenta, un temps durant de ménager la chèvre et le chou sans faire état de la situation à son prince dont il connaissait la passivité. En effet, Chao Inthawichayanon (1873-1896), dont il était un zélé serviteur, était un roi bon mais faible. (*) De ce fait, Phaya Phap va agir de sa propre initiative.

 

(*) Chao Inthawichayanon fut un dirigeant passif et peu ambitieux partagé entre les avis de son épouse Chao Thepkraison (เจ้าเทพไเจ้าเทพไกรสร) (1841 – 1884) plutôt favorable à l’occidentalisation, et ceux de son jeune frère, Chao Bunthawong défavorable à l’occidentalisation.

 

Le 8 septembre, Phaya Phap commence par réunir 300 hommes pour aller attaquer des collecteurs d’impôts sous les ordres de l’intraitable et l’impitoyable Noï Wong (น้อยวงษ์) ; puis aussitôt après il envoie une cinquantaine d’hommes libérer quatre paysans, dont une vieille femme, qui avaient été emprisonnés pour l’exemple, non pas parce qu’ils ne voulaient pas payer leurs impôts, mais parce qu’ils ne pouvaient les régler qu’en nature, et non en espèces.

 

Comme dans toute situation semblable, les événements vont s’enchaîner en échappant à son instigateur. Phaya Ratanakuha, (พระยารัตนคูหา) un parent de Phaya Phap va le rejoindre, puis ce seront Phaya Chomphu, (พระยาชมพู) Phaya Sansaï (พระยาสันทราย) Phaya Khathiya (พระญาขัติยะ), des responsables de villages, et nombre de paysans, dont certains étaient des descendants de Thoen, une ethnie Taïe des états Shans, que naguère Khanan Kawila et ses frères avaient été chercher manu-militari pour repeupler la région du Nord de Chiang-Mai. Le ressentiment qu’éprouvaient ces hommes pour cet acte du passé, tel le levain dans la pâte à pain, ne fit que gonfler et accroître leur colère.

 

Compte tenu de l’état d’esprit des paysans de cette époque, de braves gens crédules, très vite, des rites puisant dans toutes les traditions et reliés au surnaturel, vont les persuader d’être invincibles et imperméables aux balles, surtout après avoir absorbé une eau miraculeuse crée pour la circonstance. Alors grâce à cette magie et au surnaturel, ils furent tous persuadés qu’ils n’avaient plus qu’à chasser leurs oppresseurs pour retrouver leur vie d’antan, celle d’avant l’arrivée des Siamois et de leurs collecteurs chinois.

 

Ce sont donc des bandes de dupes et d’individus disparates pour ne pas écrire de va-nu-pieds, constituées au total de mille ou trois mille personnes, qui les 18, 19 et 20 septembre projettent de descendre sur Chiang-Mai dans l’intention de tuer tous les chinois et tous les Siamois qu’ils appelaient alors les sudistes et, d’incendier tous les bâtiments situés le long de la Mae Ping parce qu’ils appartenaient pour la plupart à des chinois, des Siamois et des occidentaux. Mais le manque de coordination entre les bandes de révoltés venant de différents villages et les inondations résultant de pluies diluviennes qui s’étaient abattues sur la région à ce moment-là, forcèrent à l’abandon du projet.

 

Néanmoins, la répression sera terrible, le prince Sonabandit, (1), alors en poste à Chiang-Maï va pourchasser les révoltés en lançant contre eux près de 5.000 soldats, armés de fusils dernier cri et de canon Gatling. (2) Ces hommes sous commandement de trois officiers de haut-rang, des Chao Naï de Chiang-Maï ne feront pas de quartier ; les quinze chefs insurrectionnels faits prisonniers seront décapités ainsi que quelques quatre-vingt-dix autres meneurs, quant aux sans grades ils seront expropriés. L’un des rares à échapper aux sudistes sera Phaya Phap qui trouvera, lui et sa famille, refuge à Chiang Tung, la terre de ses ancêtres. Par la suite, à partir de Chiang Tung, il harcèlera les Siamois sur leurs frontières, car pour lui il n’était pas question d’abandonner la lutte.

 

(1) Le prince Sonabandit, (พระองค์เจ้าโสณบัณฑิต) (1863-1913) (2406-2456) demi-frère de Rama V et 62ème fils de Rama IV, a été en poste à Chiang-Mai de 1888 à 1891 ou 1892. Comme il ne pouvait attendre l’arrivée rapide de troupes venant de Bangkok, Sonabandit ordonna aux chefs des districts du Nord de lever un maximum d’hommes. Par la suite ces derniers furent remplacés par des soldats venant de Bangkok pour sécuriser la région. Mais à Bangkok l’armée royale souffrit d’un manque d’effectifs. C’est alors que l’idée de créer une conscription fut envisagée.  

(2) Le canon Gatling, est apparu en 1862 et fut officiellement adopté par l’armée américaine en 1866. Il fut le prédécesseur de la mitraillette et du canon rotatif, car il pouvait permettre un tir en continu, moyennant le maniement d’une manivelle. L’armée siamoise figure parmi les acquéreurs mais sans qu’on sache pour combien de pièces ?! …

 

Cette révolte, d’après le missionnaire Daniel McGilvary, n’avait aucune chance de réussir compte tenu des forces en présence. Cependant ajoutait-il, si les insurgés étaient venus à Chiang-Mai, le jour de leur mobilisation les conséquences auraient été terribles, voire dramatiques, car les révoltés avaient la sympathie du peuple et les forces gouvernementales n’étaient pas prêtes à intervenir.

 

 

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Photo 1 : Carte de la région de Chiang-Maï où sont indiqués les principaux foyers de la rébellion paysanne de 1889. (Source : Archives nationales (M 58/98).

Photo 2 : Un extrait de la fresque murale du Viharn du Wat Famui (วัด ฟ้ามุ่ย) retraçant l’épopée de la révolte paysanne. On y voit, sous un parasol Phaya Phap avec à ses côtés ses quatre lieutenants s’adressant aux paysans en révolte. (Photo du 7 aout 2017)

Photo 3 : Ce cliché de Phaya Phap a été trouvé sur la toile. Il n’est pas de très bonne qualité, mais il a l’avantage de l’historicité. (Auteur inconnu)

 

Pendant cette rébellion la mission et le village du Wat Ket, dont des familles Chinoises aisées s’était réfugiée au sein de cette mission en forçant les portes, vécurent l’enfer un temps durant. Car sur la rive Est de la Mae Ping des insurgés mettaient à mal, juste derrière la mission, et à cinq cents mètres du village, une distillerie appartenant à un Chinois ; tandis que sur la rive Ouest, presqu’en face de la mission, là où résidait le Haut-commissaire Phraya Naris Rachakit (*) et le prince Sonabandit, des soldats se tenaient prêts à ouvrir le feu sur les rebelles. Leurs tirs auraient fait un carnage tant auprès des insurgés que des réfugiés de la mission, y compris des villageois.

 

(*) Phraya Naris (Saï Chotikasathira) (พระยานริศราชกิจ) (สาย โชติกเสถียร) (1863-1947) ou Prince Narisara Nuwattiwong, fut ministre de la guerre de 1894 à 1899 et haut-commissaire à Chiang-Mai de 1899 à 1903. Dans l’urgence, il fit transformer en lieu de détention le Khum Luang Wiang Kaew (คุ้มหลวงเวียงแก้ว) pour y retenir captif les insurgés fait prisonniers. Le Khum sera d’abord clôturé au moyen d’une palissade en teck, et ensuite par un mur en briques. Ce lieu, aujourd’hui désaffecté, deviendra la prison pour femmes. Ce Prince Naris, aux multiples ‘’casquettes‘’, fut pour beaucoup dans l’art Rattanakosin. C’est lui qui, entre autres, imposa le sculpteur italien Corrado Feroci, l’emploi du marbre pour le temple de marbre, et créa le Garuda qui ‘’figure‘’ sur tous les papiers officiels.

 

Fort heureusement le révérend McGilvary et les siens, dans le plus grand calme pour éviter de créer un affolement général dans le village, quittèrent leur mission pour le consulat d’Angleterre où ils avaient été invités à aller se réfugier.

 

Lors de son récit le révérend McGilvary ne dit pas si Naï Sunhee Chutima et ses frères étaient parmi les chinois qui avaient trouvé refuge au sein de la mission. Comme de son côté Naï Sunhee Chutima n’a jamais rien dit sur cet épisode de sa vie et que ses descendants en ont fait autant, il faut croire que l’assaut de cette distillerie n’a pas compté dans son existence.

 

Lors de cette année de soulèvement (1889) le missionnaire et docteur James W. McKean fonde un deuxième Hôpital, souvent considéré, à tort, comme étant le premier. (*) Cet hôpital appelé ‘’Américan Mission Hospital‘’ ou AMH. se situait sur la rive Ouest de la Mae Ping, là où se trouve aujourd’hui un bâtiment de la croix rouge au 369/371 rue Wichayanon.

 

(*) Il ne faut pas oublier celui du docteur Cheek qui pour détournement (honnête) de subvention n’a pu agrandir le sien ou en créer un autre.

 

Quelque temps plus tard, en 1892, sur la rive Est, un modeste hôpital de 6 chambres, va voir le jour. Cet humble bâtiment est la préfiguration du grand hôpital qui va le remplacer sous le nom, d’hôpital McCormick. (*)

 

(*) Cet hôpital est encore une œuvre de la mission presbytérienne qui chargea Pauliang Chantah Indravude de la négociation du terrain ; son expansion et sa modernité doivent beaucoup à l’altruisme de Madame Nancy Maria ‘’Nettie‘’ Fowler (1835-1923), l’épouse du philanthrope Cyrus Hall McCormick, d’où le nom, depuis 1925, de cet hôpital. ‘’L’Américan Mission Hospital‘’ avait fait son temps (1889-1925).

 

Le docteur James W. McKean trouva à la mission presbytérienne, en la personne d’un enfant du pays, Pauliang Chantah Indravude un précieux collaborateur.

 

Malgré les troubles paysans, Louis Thomas Gunnis Leonowens (หลุยส์เลโอโนเวนส์) (1856-1919), (1), chargé des intérêts de la ‘’Bombay Burmah Trading Company‘’ (BBTC), (2) une compagnie forestière s’installe sur la rive Est de la Mae Ping, très au Sud du Wat Ket Karam. En fait il reprend les bureaux d’Akon Teng (U-Teng Sae Tia) (1842-1919) un très riche chinois d’origine Teochiu qui cédait alors ses terres d’exploitant forestier. (3)

 

(1) Louis Thomas Gunnis Leonowens était le fils de la célèbre gouvernante Anna Leonowens, que le film ‘’Le roi et moi‘’ rendit célèbre, il était aussi l’ami de Rama V avec qui il avait été élevé.

(2) La Bombay Burmah Corporation (BBTC) (บริษัทบอมเบย์เบอร์มาเข้าตั้ง) a été créée avec le soutien du

gouvernement Britannique et de la maison Royal anglaise des Windsor, c’est pourquoi Bangkok considérait cette compagnie comme un cheval de Troie devant permettre aux anglais la colonisation du Lanna. Par ailleurs, la perfide Albion avait mis à la tête de la Compagnie, à Chiang-Maï … un ami de Rama V, Louis Leonowens ?! … C’est pourquoi, entre autres raisons, il devenait urgent pour Rama V, de s’approprier des forêts du nord.

(3) Akon Teng avait aussi la ferme (collecte d’impôts-akon) sur les porcs, le tabac, l’opium, les feuilles de bétel et coco.  

 

Parallèlement une autre société forestière, la British Bornéo Cie achète aux héritiers du Chao Buntawong, décédé en 1882, son Khum pour étendre ses installations.

 

 

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Photo 1 : La 3ème station de la croix rouge de Chiang-Maï. Cette station se trouve sur la rive Ouest de la Mae Ping au 369/371 de la rue Wichayanon, là où s’élevait en 1889 ‘’L’Américan Mission Hospital‘’ ou AMH ; le premier hôpital hors les murs de la mission presbytérienne, lequel va poursuivre sa mission avec le McCormick hôpital. (Photo de 2017).

Photo 2 : le missionnaire et docteur James W. McKean (1860-1949) fondateur de l’AMH. (Auteur inconnu).

Photo 3 : Le Kum (*) du Chao Buntawong acheté par la ‘’British Bornéo Cie‘’ et devenu aujourd’hui un hôtel … le 137 pillars, 137 comme le nombre de piliers qui supportaient la maison car plus de piliers supportaient un bâtiment et plus le propriétaire était riche et puissant. (Photo provenant de la documentation du 137 pillars.)

 

(*) Le Kum est une résidence royale.

 

Alors que fin 1889 Chiang-Maï vit des heures noires, à Bangkok la cour célèbre un heureux événement. Le 2 octobre 1889 naissait une petite princesse, Vimolnaka Naphisi (พระองค์เจ้าวิมลนาคนพีสี) le 73ème enfant du roi Chulalongkorn dit rama V et de sa concubine et future cinquième épouse, Chao Dara Ratsami la fille du Chao Luang de Chiang-Mai, Inthawarorot Suriyawong (1897-1910).

 

Pour célébrer cet heureux événement il a été organisé à Chiang-Mai une cérémonie où fut invitée toute la population. Lors des festivités une procession a parcouru quelques rues de la ville. Une photo a été faite au cours de cette sortie piétonne par Luang Anusarn. Ce cliché pourrait être sa toute première photo.

 

 

 

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Photo 1 : En 1889, en apprenant la naissance de la petite princesse Vimolnaka Naphisi, (เจ้าวิมลนาคนพีสี) le Lanna en général et Chiang-Maï en particulier furent pris d’une grande joie ; des cérémonies et des processions furent alors organisées comme celle de cette photo pour souhaiter la bienvenue en notre monde à la petite princesse.

Dans le livre consacré à l’œuvre de Luang Anusarn cette photo est légendée comme suit.

La légende en Thaï de la photo : ‘’ขบวนแห่รับพระรูป พระเจ้าลูกเธอ พระองค์เจ้าวิมลนาคนพีสี พระราชธิดา ในพระบาทสมเด็จพระจุลจอมเกล้าเจ้าอยู่หัว ประสูติแต่พระราชชายาเจ้าดารารัศมี ที่แจ่งศรีภูมิ เชียงใหม่‘’.

Cette même photo dans un livre de Somchot Ongsakul page 279 (๒๗๙) est légendée de la façon suivante, à quelques mots près : La procession, (Laquelle ?...) avec à sa tête Chao Luang Inthawarorot Suriyawong, (1901-1910) suivie de fidèles, passe devant le Wat Pa Pao (วัดป่าเป้า). Le Chédi qu’on aperçoit à l’arrière est celui du Wat Chiang Yuen. (วัดเชียงยืน) (Ce qui signifie que le cortège contourne la ville et va en direction de la porte Tha Phae). A droite du cortège se trouve le fossé Nord (C’est exact). Le photographe, M. Sunhee âgé de 38 ans (1905  a installé son appareil photo près du Wat Chaï Sri Phum (Tout à fait possible) – source 1889 – 1930 (?)

Conclusion : Cette photo date-t-elle de 1889 ou de 1905 ?! … En 1889 le Chao Luang de Chiang-Mai était encore Inthawichayanon, le père de Dara Ratsami et le grand-père de la petite princesse Vimolnaka Naphisi. Car c’est bien d’elle dont il s’agit. Alors, qu’en déduire ?! …  

Photo 2 : Cette photo datée de 1897, a fixé pour l’éternité un cortège organisé par le consul britannique de Chiang-Maï Walter Ralph Durie Becckett. (1). Cette marche à la gloire de la reine Victoria s’inscrivait dans le cadre des festivités célébrant son jubilé de diamant ; (2) un jubilé qui faisait d’elle ‘’la mère de l’empire Britannique et de ses dominions‘’. A Londres la date du mardi 22 Juin 1897 fut retenue comme jour de la célébration. (Photo Luang Anusarn)

(1) Walter Ralph Durie Becckett (1864-1917) a été le consul Britannique de Chiang-Mai de 1896 à 1903. Il aurait eu pour assistant G. Grenville (?).

Pour avoir vu sa requête acceptée par le Roi Chulalongkorn dit Rama V, les étrangers lui doivent, depuis 1898 de disposer à Chiang-Maï d’un terrain où ensevelir leurs défunts.

(2) L’intitulé de la légende de cette photo indiquait qu’il s’agissait du jubilé d’or et donnait la date de 1897. Or en 1897 c’était le jubilé de diamant et en1887 le jubilée d’or. Il ne peut s’agir que du jubilé de diamant et ce détail à son importance, vous verrez par la suite

pourquoi. 

 

Nota : Ces deux photos n’ont rien en commun si ce n’est qu’elles datent toutes les deux du XIXe siècle et non du XXe. Là encore, ce détail à son importance, vous verrez par la suite pourquoi. 

 

 

C’est aussi en cette année de 1889, qu’au Siam, le calendrier Grégorien (AD) est utilisé pour pallier la complexité des calendriers alors en vigueur. En effet, à cette époque les Siamois se référaient à trois calendriers, un calendrier religieux basé sur les lunaisons, un calendrier civil officiel dit Rattanakosin Sok (RS), dont l’an I correspondait à la fondation de Bangkok, et un calendrier civil ancien. C’est avec la venue du modernisme que 24 ans plus tard, en 1913, sera adopté le calendrier de l’ère Bouddhique (BE).

 

 

L’année suivante, celle de 1891, la révolte paysanne, durement réprimée touche à sa fin. Sunhee Chutima, plutôt favorable à Phaya Phap, et Boonma Nikornphan, qui ne semblent pas avoir souffert des exactions des uns et des autres, poursuivent leur collaboration.

 

Un ou deux ans plus tard, l’ex-révérend docteur Marion Alonzo Cheek (1853-1895) (นายแพทย์เช็ค) qui, devenu ‘’maître charpentier‘’, construit, en collaboration avec Louis Thomas Gunnis Leonowens et son assistant C L H Charlesdenot (ชาร์ลเรโน) le premier pont en bois de Teck enjambant la Mae Ping. Ce premier pont sera appelé Khua Kula (สะพาน ครัว ครูหล้า) (*).

 

(*) Dans le Kham Muang, la langue du Lanna, le mot Khua signifie ‘’Pont‘’ et Kula, ‘’étranger‘’ ou plus exactement : étranger d’origine indienne. Car avant l’arrivée des occidentaux les étrangers étaient principalement d’origine indienne et présentaient alors un visage, en général, d’un brun plus ou moins foncé.

Lors de l’édification du pont, les Indigènes se sont aperçus que les constructeurs avaient la peau plus blanche que celle des indiens. Alors le pont fut appelé de différents noms pour spécifier que les étrangers en question avaient la peau blanche. Pour cela, ils utilisèrent des termes comme : ‘’Khua Kula-Kao‘’ (Le pont de l’étranger de couleur blanche) ou ‘’Khua Kula-Phuak‘’ (p) (Le pont de l’étranger de couleur tarot). Il était aussi surnommé ‘’Khua Mo Cheek‘’, c’est-à-dire le pont du docteur Cheek, Mo (หมอ) signifiant docteur.

(p) Le mot Phuak se retrouve dans la désignation de la porte Chang Phuak. Cette expression devrait se traduire par : la porte de l’éléphant de couleur Phuak, Phuak signifiant alors ‘’albinos‘’, et non de l’éléphant Blanc, dont la traduction est impropre, mais peut-être d’emploi verbal plus … pratique ?! ….

 

D’après les témoignages de l’époque la construction du pont aurait été réalisée entre 1878 et 1892. En fait les dates les plus probables seraient 1890/1892. 

 

Dès que sera construit le premier pont reliant la rue Tha Phae à la rue Charoen Muang, pont à l’emplacement de l’actuel pont Nawarat, ce pont, en bois de teck lui aussi, prendra le nom de ‘’nouveau pont‘’ tandis que le pont ‘’Khua Kula‘’ deviendra pour tout un chacun : ‘’le vieux ou l’ancien pont‘’.  

 

 

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Photo 1 : Le pont du docteur Cheek, ‘’Khua Mo Cheek‘’, qui selon les témoignages aurait été construit entre 1884 et 1892. (*) (Photo de Luang Anusarn)

 

(*) La date de construction du pont par le docteur Cheek varie selon les témoignages. Dans son livre de photos, Luang Anusarn donne la date de 1884. Dans ses mémoires, Le major général Georges John Younghusband (1859-1944) le James Bond 007 de la grâcieuse majesté d’alors, la reine Victoria, de passage à Chiang-Mai en 1887 parle du pont de Cheek en 1887 ?... Mais beaucoup d’auteurs avancent 1890/1892 ?! … Ne soyons pas plus royaliste que le roi ! …

 

A Bangkok, Rama V imperturbable, continue ses grandes réformes et crée le 25 mars 1891, cinq grands ministères dont celui de la justice.

 

Chaque ministère a la charge de mettre en place des réformes.

La réforme judiciaire avait pour objet de créer dans chaque région un seul et unique tribunal devant regrouper les différentes cours locales de ladite région. Avec ce nouveau système les cours locales devaient, le cas échéant, répondre de leurs jugements et ne pouvaient plus agir à leur guise ?! …

 

Le 21 février 1892, la fille de Chao Dara Ratsami, la princesse Vimolnaka Naphisi, décède à l’âge de deux ans. Folle de douleur Chao Dara Ratsami écarte de sa vue tout ce qui peut lui rappeler le souvenir de son enfant.

 

 

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Photo 1 : Le roi de Siam et suzerain du Lanna Chulalongkorn dit Rama V (1853-1910). Il fut le mari de 36 épouses dont quatre reines, plus 116 concubines, et le père de 77 enfants, (*) dont la 63ème, la princesse Vimolnaka Naphisi vint au monde alors qu’il avait 36 ans.

(*) Il eut en fait 97 naissances dont 20 fausses couches.

Photo 2 : De l’union du Roi Rama V et de la Princesse Dara Ratsami naîtra la petite petite princesse, Vimolnaka Naphisi qui s’écrit aussi Vimolnaka Nabisi. Elle est née le 2 octobre 1889 et est décédée le 21 février 1892 à l’âge de 2 ans et 8 mois des suites d’une maladie. Ses cendres furent partagées en deux. Une urne trouva place au cimetière royal du Wat Ratchabophit de Bangkok et l’autre, au cimetière royal de Chiang-Maï au côté de l’urne de sa mère en 1933. (Photo artiste inconnu)

Photo 3 : La princesse Dara Ratsami Na Chiang-Maï (1873-1933) fut la mère d’une enfant unique, la petite princesse, Vimolnaka Naphisi qu’elle mit au monde à l’âge de 16 ans. La princesse Dara Ratsami était la fille du Chao Luang Inthawichanayon Na Chiang-Maï et de son épouse Chao Thip Keson na Chiang-Maï. Dès 1886, à l’âge de 13 ans, elle devint l’une des concubines du Roi Chulalongkorn, et la seule d’entre elles à recevoir le 12 février 1908, le titre de SAR (Son Altesse Royale). Elle revint à Chiang-Maï, sous le règne de Vajiravudh dit Rama VI, où elle s’éteignit à l’âge de 60 ans.

 

Un an après le décès de sa fille, et deux ans après ses réformes, en 1893 (2433) Rama V nomme son demi-frère, Phraya Song Suradej (An Bunnag) haut-commissaire de la province du Laos du Nord/Ouest. Phraya Song Suradej avait en fait la charge d’administrer et de gouverner la région du Nord qui sera appelée par la suite Phayap (พายัพ). (*) En substituant le terme de haut-commissaire, à celui de gouverneur Rama V, en habile politique, évitait ainsi de heurter les susceptibilités de la classe dirigeante de Chiang-Maï qu’il voulait affaiblir et éliminer … en douceur.

 

(*) Phraya Song Suradej (พระยาทรงสุรเดช) (อั้น บุนนาค) exerça la fonction de haut-commissaire à Chiang-Maï de 1893 à 1899. Il fut remplacé par Phraya Narit Rachakit (พระยานริศรราชกิจ) (สาย โชติกเสถียร) qui resta en place de 1899 à 1903.

Certains historiens d’aujourd’hui considèrent Phraya Song Suradej (An Bunnag) comme le premier gouverneur de Chiang-Mai, bien qu’il y eût d’autres hauts-commissaires avant lui à Chiang-Maï. Ne pas confondre ce Phraya Song Suradej avec son fils Phraya Song Suradej (Thep PhanThumasen) [พระยาทรงสุรเดช (เทพ พันธุมเสน)] 1892-1944 (2435-2487) qui prit part à l’instauration de la monarchie constitutionnelle du 24 juin 1932.

 

En 1892, le fondateur de la 1ère école de garçons, (19 mars 1887) le révérend David Ghromley Collins, installe en bordure de la Mae Ping, sur la rive Ouest, la première imprimerie du Nord.

 

Il est à noter, ainsi que mentionné un peu plus haut, qu’à cette époque les relations commerciales entre Chiang-Maï et Moulmein (Mawlamyine) une ville Birmane étaient beaucoup plus importante, qu’entre Chiang-Mai et Bangkok la capitale du Siam.

 

D’abord parce que Moulmein était plus proche de Chiang-Mai que Bangkok. Quinze à dix-sept jours suffisaient, par voie terrestre et dans un sens comme dans l’autre, pour joindre les deux villes, (1) alors que par voie fluviale, en saison sèche, pour ‘’descendre‘’ à Bangkok, il fallait au minimum un mois (35 jours), et deux mois (67 jours) à partir de Bangkok pour ‘’monter‘’ à Chiang-Maï. (2) Ensuite parce que la British Bornéo Cie, en plus de son industrie forestière, commercialisait un certain nombre de produits dits … ‘’exotiques‘’ … pour les gens de Chiang-Maï. Les anglais, maître de la Birmanie, importaient en ce pays de nombreux articles et produits anglais très appréciés comme les cotonnades, anglaises comme indiennes.

 

(1) C’était par cette ‘’route‘’ que transitaient les troupeaux de bovins et d’éléphants, achetés par les anglo-birmans, dont certains spécimens étaient par la suite envoyés par bateaux vers la Malaisie ou Singapour, des territoires colonisés et aux mains des anglais.

(2) En temps de pluie Chiang-Mai Bangkok se faisait en 17 jours et Bangkok Chiang-Mai en 48 jours.

Le missionnaire McDonald a écrit qu’entre Chiang-Mai et Bangkok il y avait 32 rapides et que le voyage de McGilvary, de Bangkok à Chiang-Maï avait duré environ trois mois, c’est-à-dire un temps beaucoup plus long qu’il n’en fallait pour venir des Etats-Unis au Siam.

 

De ce fait les dirigeants de la British Bornéo Cie entretenaient des relations privilégiées avec les propriétaires de certains magasins dont ils étaient devenus les grossistes, comme ceux du ‘’Yong Thai Heng‘’ (ร่วมตั้งห้างย่งไท้เฮง) c’est-à-dire Naï Boonma Nikornphan et Naï Sunhee Chutima. Ces bonnes relations commerciales ont vraisemblablement existé toute la durée de vie du ‘’Yong Thai Heng‘’.

 

Après six ans de mariage, Sunhee Chutima âgé de 27 ans devient ‘’papa‘’.

Son épouse, Nang Kamthieng, le 20 mars 1894, met au monde une petite fille : Nang Kimhaw. (*) C’est la première enfant du couple Chutima.

 

(*) Nang Kimhaw (นางสาอกิมฮ้อ) (1894-1981) (2437-2524).

 

Cette même année, le roi Rama V fonde à Chiang-Maï une école d’administration pour former des fonctionnaires locaux.

 

 

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Photo 1 : Le haut-commissaire de Monthon Phayap (Lanna) Phraya Song Suradej (An Bunnag) posant en compagnie d’un officier dont le nom restera dans l’oubli pour l’éternité car il n’a pas été porté en légende sous la photo.

Phraya Song Suradej fut envoyé à Chiang-Mai en 1893 avec le titre de commissaire et en 1897 il obtint celui de haut-commissaire. Il serait retourné à Bangkok en 1898 mais on le trouve sur des Photos de Luang Anusarn prisent en 1899, comme la suivante ?! … (Photo de Luang Anusarn)

Photo 2 : Le haut-commissaire de Monthon Phayap (Lanna) Phraya Song Suradej (An Bunnag) posant avec, à sa droite le haut-commissaire et chef de la justice de Chiang-Maï Luang Phraya Charoen Rachamaitri (Jamnong Amatayakul), les cinq Chao du Lanna (Chiang-Maï, Lampang, Lamphun, Phrae et Nan) et les différents fonctionnaires, dépendant tous à cette époque de Bangkok, devant l’entrée du Viharn du Wat Chédi Luang.

Cette photo a été prise à la suite d’un ‘’Nam Phra Phiphat Samraya‘’ (น้ำพระพิพัฒน์สัจจา) ou cérémonie d’allégeance. Lors de ce cérémonial chacun des participants, devant le portrait du roi, (qu’on aperçoit en arrière fond sur la photo) s’engage à rester fidèle au roi en lui prêtant allégeance et en absorbant une eau consacrée. (*) (Photo de Luang Anusarn)

Photo 3 : Une photo moins officielle et plus intime de Phraya Song Suradej (An Bunnag) puisqu’il ‘’berce‘’ son fils dit la légende accompagnant ce cliché.

(Photo de Luang Anusarn).

 

Nota : Sur la photo de groupe, celle du milieu, sont présents Phraya Song Suradej sur le point de quitter Chiang-Maï et Luang Phraya Charoen Rachamaitri venant tout juste d’arriver à Chiang-Maï. Cette photo a été prise par Luang Anusarn fin 1899, donc elle aussi au cours du XIXe siècle.

Là encore, ce détail à son importance, vous verrez par la suite pourquoi. 

 

En 1895 le roi Rama V s’approprie des forêts de teck du Lanna pour en contrôler les recettes tirées de la vente des différents bois, mais officiellement il s’agit de préserver ces forêts de la mauvaise gestion de ses propriétaires, à savoir les princes du Lanna. Il crée pour cela en 1897 le département royal des forêts qu’un anglais, Monsieur Herbert Slade (? - 1905) ancien conservateur-adjoint des forêts de Birmanie, va administrer. Selon Slade, (*) la réforme du système des concessions était alors une urgence et une nécessité.

 

(*) Tandis que Rama V cherchera à tirer un profit immédiat des forêts, Herbert Slade s’appliquera à les préserver d’un déboisement intempestif et destructeur. Comme le roi avait des raisons qui allaient trop souvent à l’encontre des siennes, découragé il démissionnera de son poste en 1901 et sera remplacé par un administrateur plus … docile ou compréhensif, W.F.L. Tottenham (1901-1904) ?! ...

Herbert Slade retournera en Birmanie où il sera terrassé par le choléra quatre ans plus tard en 1905. Slade était déjà en poste en 1896, soit un an avant la création du département royal des forêts. C’est cet homme qui en 1900 fit border la route conduisant à Bor Sang et San Kamphaeng de magnifiques Samanea Saman (jacq.) Merr. Des arbres plus connus sous le nom d’arbre à pluie. Ceux qui sont morts n’ont toujours pas été remplacés ?! … Dommage !... 

 

Pour dédommager les Chaos du Lanna, le roi Rama V s’engage à leur verser une rente annuelle. Une rente qui d’année en année, et dès 1897, l’année du décès du Chao Luang Inthawichayanon, le 7è Chao de la dynastie des Chaos Chet Ton, ira en s’amenuisant … très sérieusement. (*) Privés de leurs principaux revenus, les Chaos vont finir par perdre de leur pouvoir et le Lanna, tel un fruit mûr, tombera, sans avoir à être cueilli dans le ‘’panier‘’ du Siam.

 

(*) En 1908 le Chao Luang Inthawarorot recevait mensuellement vingt mille bahts, ce qui signifie qu’il avait un statut identique à celui d’un haut fonctionnaire.

 

Autrement écrit, cette année de 1897 marque un tournant dans la vie sociale de Chiang-Mai. Car en s’appropriant les forêts du Lanna, Rama V va aussi réduire l’influence économique anglaise sur la région, ce qui aura pour conséquence le retour en Birmanie de la main d’œuvre Shans (Tai Yai) employée par les anglais. De ce fait, les commerçants Shans, qui détenaient une grande partie du commerce à Chiang-Mai, voyant partir le gros de leur clientèle, vont en faire autant au fur et à mesure des ans.

 

Concernant les princes du Lanna, ‘’Bon prince‘’ Rama V mettant à profit un interrègne de plus de trois ans, c’est-à-dire sans Chao Luang officiel, intègre à son administration en les salariant, les princes de Chiang-Mai, y compris leurs fils et petits-fils. Puis à partir de 1899, tous les fonctionnaires du Lanna seront nommés par le gouvernement central de Bangkok.

 

Depuis son avènement en 1868, Rama V change le visage de Bangkok en y faisant édifier des bâtiments d’un type nouveau. Pour leur réalisation il fait appel d’une part à des architectes occidentaux, et d’autre part à une main d’œuvre chinoise ayant un savoir-faire en maçonnerie. Car si les Siamois maîtrisaient les techniques du bois il en allait tout autrement pour les constructions en briques. De ce fait de nouvelles vagues de migrants chinois (*) vont débarquer à Bangkok sous les bons auspices royaux. Car ces chinois vont bénéficier de privilèges, comme le droit de commercer, qui vont les mettre hors des règles communes. Ils sont alors comme un sang neuf devant régénérer un corps anémié.

 

(*) Les migrants chinois venaient principalement des cinq régions dont nous avons déjà parlé et dont les noms suivent : 1/ Guangdong (Cantonais) – 2/ Fujian (Hokkiens) – 3/ Nord/Est du Guangdong (Teochiu) – 4/ Nord du Guangdong (Hakkas) – 5/ Nord/Est de l’île de Hainan (Hainanais).

 

Au fur et à mesure des ans, quelques-uns de ces chinois vont ‘’monter‘’ à Chiang-Maï et s’y installer. Mais au lieu de se mêler les uns aux autres, et former une vaste communauté chinoise toutes origines confondues, pour des raisons linguistiques, ils vont se regrouper en fonction de leur région d’origine, et occuper sur plusieurs décennies l’Est du Chiang-Maï d’aujourd’hui, à savoir le long de la cour du crématoire royal (rue Chang-Moï) et rue Tha Phae, entre autres, remplaçant ainsi, mais petit à petit, les Birmans.

 

En 1896, l’Angleterre et la France s’engagent à assurer l’intégrité du Siam.

 

Un an plus tard, en 1897 (*) Chiang-Maï perd son Chao Luang Inthawichayanon (1817-1870-1897), le père de Dara Ratsami. Son fils Inthawarorot Suriyawong (1859-1901-1910) lui succède mais n’aura l’investiture de Bangkok qu’en 1901, ce qui va donner le temps à Bangkok de mettre sous sa tutelle l’administration du Lanna.

 

(*) Le Chao Luang Inthawichayanon décède le 23 novembre 1897 alors que Rama V effectue, entre avril et décembre, son premier voyage en Europe.

 

Vers ces années, Sunhee Chutima et Naï Boonma Nikornphan, après une bonne dizaine d’années de partenariat, d’un commun accord, et en toute sérénité, décident de se séparer. Le couple Naï Sunhee Chutima va alors ouvrir son propre magasin.

 

Ce projet devait déjà leur trotter dans la tête depuis plusieurs années, car c’est un véritable défi auquel le couple va se livrer. En effet, ce n’est pas du jour au lendemain qu’il a pu mettre son dessein à exécution. Et il est fort probable que les travaux nécessaires à la construction de leur magasin ont été commencés durant leur partenariat.

 

Toujours est-il que si le terrain était trouvé, il était à quelque pas de la rue Tha Phae, sur le bord Est du chemin Wichayanon, le bâtiment restait à construire. (*) Or, non seulement il a été construit aux 10, 12 et 14 de la rue Wichayanon, mais il tient toujours le haut de cette rue comme à la première heure. Mais aujourd’hui ce n’est plus un magasin et encore moins un studio photos, car il héberge quelques-unes des sociétés du consortium Sunhee Chutima et c’est dans l’un de ses bureaux que nous a reçu Khun Somyot.

 

A l’époque de sa construction Naï Sunhee Chutima avait une trentaine d’années.

 

(*) Cette maison, bâtie en 1897 (2440), marque le début de la deuxième période architecturale de Chiang-Mai, celle que les architectes associent à l’arrivée des missionnaires, et lors de laquelle apparaissent les premiers ‘’teuk‘’ (ตึก) c’est-à-dire les premiers bâtiments en briques. Autrement écrit la boutique élevée par Naï Sunhee Chutima, historiquement, symbolise la fin d’une période, celle des constructions en bois, et le début d’une nouvelle, celle des constructions en briques.

Cette bâtisse fut commencée le 5 février 1897 et achevée courant 1900.

Les professionnels de l’architecture du Lanna, considèrent que Chiang-Maï, avant de se vêtir de l’architecture que nous lui connaissons, a peaufiné son évolution au travers de quatre périodes ; une première, antérieure à 1897, une seconde allant de 1897 à 1926, une troisième délimitée par les années 1927 et 1956 et enfin une quatrième partant de 1957 pour se terminer en 1977.

 

En 1931 il sera bâti au premier étage de ce bâtiment une salle dite de sécurité, c’est-à-dire une salle-forte où les espèces pouvaient être entreposées en toute sureté. Car dans les années qui suivirent, ou peut-être celles qui précédèrent, Naï Sunhee Chutima et son épouse Nang Kamthieng, en plus de leurs nombreuses activités, s’adjoignirent celle de prêteurs sur gage acceptant or, bijoux, et terres.

 

 

 

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La première maison que Luang Anusarn commença à construire le 5 février 1897 aux 10, 12, et 14 de la rue Wichayanon. C’est dans ce magasin que tout un chacun de la haute société pouvait trouver, des biscuits jacobs, du beurre, du vin, du Champagne, du Whisky, du jambon, du bacon, des couteaux de poche, des machines à coudre Singer, des montres, des vélos de marque ‘’Raleigh‘’, de la quinine, de l’aspirine des pansements et … se faire photographier, car c’est en ce bâtiment que s’ouvrit le premier studio photos de Chiang-Maï. Les personnages les plus illustres de l’époque fréquentèrent ce magasin comme le prince Damrong Rajanubhab (กรมพระยาดำรงราชานุภาพ). Ce qui signifie que Luang Anusarn fréquentait l’élite de la société d’alors.

 

Naï Sunhee Chutima, avec l’aide de quelques ouvriers du cru, se lance alors dans une construction d’un étage qui va se démarquer de la construction traditionnelle du Lanna. En effet au lieu de se servir du bois, Naï Sunhee Chutima va employer la brique, (*) comme Taksin l’avait fait pour construire Thonburi ; à la différence que Taksin fit venir ses briques de Chine alors que Naï Sunhee Chutima en avait sous la main.

 

(*) En utilisant la brique, Sunhee Chutima, une fois de plus rompait avec la tradition et anticipait sur l’avenir. L’habitat en briques prenait le pas sur l’habitat en bois. 

 

En effet, avant les innovations de Naï Sunhee Chutima, en matière de construction, l’architecture du Lanna, influencée par le bouddhisme, avait favorisé matériellement le développement de deux types de constructions, un premier destiné au commun des mortelles et un second aux nobles et aux classes dirigeantes. Il est bien entendu que derrière le développement matériel de chacune de ces catégories il y avait aussi une dimension spirituelle que nous passerons volontairement sous silence car ce n’est pas le but de notre démonstration.

 

Les maisons ‘’individuelles‘’ et les locaux collectifs des gens de statut social modeste vivant dans les campagnes se construisaient au moyen de matériaux légers comme le bambou et les feuilles séchées ; pour les plus aisés vivant dans les bourgs le matériau utilisé était le bois et si leur fortune le permettait, le bois de teck. Par contre certaines constructions telles que les remparts des villes, les chédis, les portes des monastères, les Bouddhas géants et la base des temples (voir Wiang Kum Kam) érigées à la demande des classes dirigeantes faisaient appel à des matériaux ‘’nobles‘’ mais lourds tel que la brique. (*) Ce qui signifie qu’à Chiang-Mai et ses environs les fours à briques ne manquaient pas, et que Naï Sunhee Chutima n’a pas dû avoir beaucoup de mal pour s’approvisionner ; d’autant que par la suite, avec l’arrivée des missionnaires les productions de briques ne feront qu’augmenter. Ainsi, par exemple, le révérend McKean, pour construire ses différents locaux d’hospitalisation (Léproserie) acheta une machine américaine, de marque ‘’Henry Martin‘’ dont certains modèles pouvaient fabriquer entre 2000 et 3.500 briques à l’heure.

 

(*) Les fours non seulement ne manquaient pas autour de Chiang-Maï, mais les artisans maîtrisaient des techniques de cuissons qui leur permettaient de produire des céramiques dont le fameux céladon propre au Lanna. Par exemple en 1952 dans les environs de San Kamphaeng, et plus précisément dans le Tambon d’On Taï (ตำบล ออนใต้) il a été découvert 83 fours à céramique ?! ...

 

A noter que les temples et les Khums (palais royaux) étaient eux-aussi en bois, mais que la brique allait bientôt entrer dans leur Construction pour se mettre au diapason de Bangkok ; ce qui allait frapper de plein fouet l’art du Lanna ?! ... qui aujourd’hui semble renaître de ses cendres.

 

Donc, la construction du bâtiment entrepris par Naï Sunhee Chutima va se constituer de murs porteurs en briques et sera recouvert de tuiles en terre cuite. Le bois n’était plus employé que pour les planchers du sol et de l’étage, car le bâtiment comportait un étage, du jamais vu. (*) Une autre particularité fut l’installation d’un plancher au rez-de-chaussée à vingt centimètres au-dessus du niveau de la rue. Aujourd’hui une couche de béton a remplacé ce plancher en bois, et les différents revêtements de la rue ont ‘’gommé‘’ cette différence de niveau. 

 

Alors ce bâtiment de style occidental, d’une superficie au sol de 138 m2, caractérisé extérieurement par des arches de style portugais coiffant les ouvertures dont les deux portes, et un toit chinois, sans oublier les huit piliers de ‘’bons augures‘’, allait marquer une ère nouvelle dans l’architecture du Lanna.

 

(*) Pour construire ce type de maison Naï Sunhee Chutima a forcément pris modèle quelque part ; car ce type de construction ne découle pas d’un art qui s’invente. Il a forcément été initié par un ou des architectes.

En 1897, sa biographie indique qu’il n’était pas encore allé à Bangkok, par contre elle signale, modérément, comme si cela était un péché, que lui et son associé commerçaient avec Moulmein.

Moulmein à l’époque était une ville Phare, beaucoup plus développée que Bangkok et arborant de magnifiques maisons coloniales en briques dont il existe encore de ‘’très beaux spécimens‘’. Moulmein avait alors 36 ans d’avance sur Bangkok, presque deux générations ; d’un Bangkok qui, en 1863, à la demande du Roi Chulalongkorn dit Rama V, commençait tout juste à créer un réseau routier, de construire de nouveaux bâtiments en briques, et non plus en bois, et de mener une politique sanitaire se concrétisant par l’interdiction de laisser les cadavres se décomposer à ciel ouvert au Wat Saket, la construction de toilettes publiques, et l’imposition d’amendes à ceux qui ‘’s’oublieraient‘’ n’importe où dans la ville.

Alain et Bernard écrivent dans leur excellent article A 244 concernant Bangkok à cette époque : ‘’Les conditions sanitaires étaient épouvantables. Bangkok pue la merde. Les klongs servent d’égouts, les habitants ont la triste habitude de pisser et de déféquer jusque sur les marches des temples et du palais royal. Les abords de la Légation de France sont un fétide cloaque ‘’. Pour en savoir plus …

(http://www.alainbernardenthailande.com/2017/10/a-243-les-architectes-et-les-ingenieurs-italiens-au-siam-sous-rama-v-et-rama-vi.html)

 

Bref, en 1897 et bien avant, pour les habitants de Chiang-Maï, l’attractivité et la nouveauté ne venaient pas de Bangkok mais de Moulmein qui avait commencé son développement urbain et son expansion 70 ans plus tôt. Ce n’est pas par hasard si, comme nous le verrons par la suite, Naï Sunhee Chutima équipera ses futures bâtisses de matériel anglais, vendra des vélos de marque anglaise des ‘’Raleigh‘’, achètera une voiture anglaise, et ira chercher un professeur d’anglais à Moulmein, un enseignant qu’il devait connaître bien avant de lui avoir demander de venir à Chiang-Maï. 

 

Par ailleurs il n’est pas improbable que Naï Sunhee Chutima ait embauché, en plus d’ouvriers locaux, de la main d’œuvre venant de Moulmein, voire des … Teochiu débarquant directement du Guangzhou via Bangkok ?! … Car à cette époque, à la demande de Rama V, pour construire Bangkok, de nouvelles vagues migratoires posèrent le pied à Bangkok ; (*) et parmi elles, quelques familles, dont des teochiu connaisseurs de cette technique de construction, qui montèrent jusqu’à Chiang-Maï ?! …

(*) Entre 1820 et 1950, quatre millions de chinois auraient débarqués à Bangkok mais un million cinq cent mille seulement seraient restés ; les autres seraient repartis sous d’autres cieux y compris ceux de la Chine.

 

Cela étant écrit, en prenant l’initiative de la construction de cette maison Naï Sunhee Chutima ouvrait une ère nouvelle dans l’histoire de l’architecture de Chiang-Mai. Il y a eu avant 1897 et il y aura après 1897.

 

Naï Sunhee Chutima creusa des fondations d’au moins cinquante centimètres, créa quatre pièces à l’étage et tout autant au rez-de-chaussée. Les pièces du haut servirent un temps durant à la vie familiale et celle du bas au commerce. Un commerce qui répondait à tous les besoins des acheteurs, y compris celui de se faire prendre en photo. Car le ‘’Chua Yong Seng‘’ (ชัวย่งเส็ง) en plus d’être une espèce de bazar de luxe (*) où chacun pouvait trouver ce dont il avait besoin, proposait à ses clients de pouvoir se faire … photographier.

 

(*) Le magasin, en plus d’une clientèle locale, attira des acheteurs de Bangkok et de Moulmein pour ses soieries chinoises que Sunhee Chutima avait eu l’idée de faire produire à San Kamphaeng.

L’ICOMOS (Conseil International des monuments et des Sites) écrira au sujet de ce bâtiment qu’il est ‘’… magnifiquement proportionné … et que ... Le génie du créateur a réussi une conception architecturale et artistique. ‘’ Tout aussi élogieux que l’Icomos, mais en des termes plus simples, les indigènes appelèrent ce bâtiment le ‘’Teuk Luang‘’ (ตึกหลวง) ce qui pourrait se traduire par le ‘’Pavillon Royal‘’.

Il est à noter que Luang Anusarn fut le premier à installer un bassin de traitement pour les eaux usées, des sanitaires, un réservoir à eau en surélévation, un système de robinetterie domestique, électrique, et de sécurité répondant aux normes internationales de l’époque.

Le petit plus : Une association universitaire envisage de créer au sein des bâtiments construits par Luang Anusarn un musée : (Le projet est très élaboré) ‘’Le musée Anusarn Sunthorn‘’ (พิพิธภัณฑ์อนุสารสุนทร) ou ‘’Le Chua Yong Seng Museum‘’ avec une remise en état du jardin d’origine, c’est-à-dire, en mettant l’accent sur la sapotille, taillant les arbres d’origine et replantant ceux qui n’y sont plus pour y faire revenir la gent ailée d’autrefois. Car Luang Anusarn était aussi très proche de la nature comme nous le verrons à la fin de cette chronique. Une description de ce jardin a été laissée par Nang Kamthieng.

Les objectifs de ce musée sont multiples et trop longs à développer. Nous dirons simplement qu’il s’agit de rendre hommage à Luang Anusarn et de montrer combien il a œuvré pour soutenir la religion, l’éducation, la médecine tant au Lanna qu’au niveau national.

 

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Tandis que Naï Sunhee Chutima construisait ‘’sa‘’ maison, les réformes autoritaires et quelque peu brutales de Phraya Song Suradej, le représentant de Rama V à Chiang-Maï, finirent par déplaire aux dirigeants de Chiang-Mai qui, après avoir supporté ce prince six ans durant, de 1893 à 1899 (2436-2442) demandèrent son renvoi à Bangkok. Rama V, avec l’habileté qui le caractérisait, acquiesça et le remplaça par Phraya Narisara Ratchakit (Saï Chotiksatien) พระยานริศรราชกิจ (สาย โชติกเสถียร) lequel ne fit que poursuivre pendant quatre ou cinq mois, de décembre 1899 à avril 1900 (2442-2443) en collaboration avec Phraya Sri Sahathep (Seng Wiriyiri) (พระยาศรีสหเทพ) (เส็ง วิรยศิริ) la même politique que celle de son prédécesseur.

 

La période 1898/1900 est à marquer d’une pierre blanche pour la petite famille Sunhee Chutima.

 

Tout d’abord, elle va habiter dans une belle maison ; la plus belle et la plus moderne de Chiang-Maï et y faire du commerce dont celui de la photographie.

 

Ensuite, Nang Kimhaw vient d’avoir, ou va avoir, cinq ans et, sans doute pour fêter l’événement, toute la petite famille, le père, Sunhee Chutima la mère, Nang Kamthieng et leur petite fille Nang Kimhaw s’embarquent pour Bangkok.  C’est, pour eux tous, leur premier voyage à Bangkok. (*)

 

(*) Par la suite, Sunhee Chutima se rendra à Bangkok une bonne cinquantaine de fois ; et au fur et à mesure des ans, pour joindre les deux villes, il se constituera sa propre flotte de Scorpions (Barges) dont la plus importante réunira jusqu’à dix-huit embarcations.

 

Enfin, C’est aussi pendant cette période que vint au monde, six ans après la naissance de Nang Kimhaw, le deuxième enfant de Naï Sunhee Chutima et Nang Kamthieng ; un garçon qu’ils nommèrent Naï Yong (นายย่ง) (1900-1964) (2443-2507) mais que les indigènes appelleront par la suite Naï Phaet Yong, (นายแพทย์ย่ง) c’est-à-dire le docteur Yong.

 

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Photo 1 : Nang Kimhaw Nimmanhaemin (1894-1981) (2437-2524) la fille aînée de Nang Kamthieng et Naï Sunhee Chutima à l’âge de 16 ans. Nang Sao Kimhaw épousera Naï Ki Nimmanhaemin et sera la mère de six enfants : quatre garçons et deux filles,1/ Naï Kraïsri (นายไกรศรี) - 2/ Naï Phisut (นายพิสุทธิ์) - 3/ Naï An (นายอั้น) - 4/ Naï Ruang (นายเรือง) - 5/ Nang Chemchit (นางแจ่มจิตร) - 6/ Nang Oun (นางอุณณ์). (Photo de Luang Anusarn).

Photo 2 : Un cortège d'éléphants de la royauté siamoise venant de passer devant le magasin ‘’Chua Yong Seng‘’. Le magasin est marqué d’un rond rouge. (Photo de Luang Anusarn).

Photo 3 : Nang Kamthieng tenant dans ses bras son fils cadet le petit Yong Hua qui deviendra Naï Phaet Yong Chutima ou le docteur Yong Chutima (1900-1964) (2443-2507). Il se mariera deux fois, et n’aura de descendance qu’avec sa deuxième épouse. (Photo Luang Anusarn)

 

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Arbre généalogique de Sunhee Chutima prenant en compte 6 générations. Les deux précédant la sienne, et les trois descendant de la sienne. Cet arbre devrait permettre au lecteur de mieux comprendre les événements qui vont suivre.

 

 

Tandis que Naï Sunhee Chutima vivait des événements familiaux de première importance, à Chiang-Mai la vie sociale suivait son cours. C’est ainsi que fin 1899 débarque à Chiang-Mai Luang Janya Yutakrit (หลวงจรรยา ยุตกฤตย์) le futur Luang Charoen Rachamaitri. Ses femmes et ses enfants l’accompagnent.

 

Luang Charoen Rachamaitri de son nom de naissance Jamnong Amatayakul (จำนง อมาตยกุล) (*) était alors le nouveau gouverneur spécial de la justice pour la région du Laos, ainsi que le chef de la justice pour Chiang-Mai.

 

Il avait donc deux responsabilités, à savoir superviser les affaires locales, mais aussi et surtout devoir régler les différends entre les compagnies forestières et les princes de Chiang-Maï dont les relations tournaient à la farce et/ou à la tragédie. Certaines parcelles forestières étaient louées deux, voire trois fois !...

 

Malgré ces cas délicats, Phraya Charoen Rachamaitri, en bon diplomate va lier des liens de sympathie avec la famille royale de Chiang-Maï et ses proches, d’autant qu’il avait, comme certains membres de ladite famille royale, la passion, voire le vice du jeu.

 

(*) Jamnong Amatayakul (จำนง อมาตยกุล) parfois écrit Chamnong Amatyakul, (1869-1944) est né de l’union libre de Jerm Amatayakul, (1847-1922) un fils de Mode Amatayakul (1819-1896) le premier photographe Siamois, et de Nang Plian (นาง เปลี่ยน), le 27 juillet 1869 (2412) à Bangkok sur la rive Ouest du Chao Phraya non loin du Wat Liap (วัดเลียบ) appelé aussi Wat Rat Bamrung (วัดราษฎร์บำรุง) ou encore Wat Liap Rat Bamrung (วัดเลียบราษฎร์).

 

Son père, Jerm Amatayakul (เจิม อมาตยกุล), porta les titres de Phraya Phetpichai (พระยาเพชรพิชัย) ou Phraya Phit Chon Phichaï (พระยาพิชรพิชัย) ; son grand-père, Khun Mode Amatayakul (ขุน โหมด อมาตยกุล) celui de Phraya Krasaponkit Kosol (พระยากระสาปนกิจโกศล). Quant à son arrière-grand-père Pom (ป้อม) il était connu sous le nom de Phraya Maha Amataya Thibodi (พระยามหาอำมาตยาธิบดี). Autrement écrit, Jamnong Amatayakul descendait d’une très grande famille Siamoise.

 

Après sa naissance son père prend officiellement une seconde femme, Nang Sawanthanom (นางสาวถนอม อมาตยกุล). Par la suite, cinq autres femmes viendront se joindre aux deux premières. Les mœurs Siamoises de l’époque permettaient ce genre de statut. De ce fait Jamnong Amatayakul aura vingt-deux demi-frères et sœurs.

 

Vers l’âge de huit ans (1877) son père le scolarise et lui fait apprendre l’anglais. Son professeur, le docteur McDonald (หมอแมคโดแวน) (*) un missionnaire presbytérien finira par lui donner une bonne maîtrise de cette langue.

 

(*) Le révérend Noah Abraham McDonald (?- ?) est arrivé au Siam en 1860, l’année suivante il avait la responsabilité de l’imprimerie de l’Américan Presbytérien Mission. Maîtrisant le Siamois il se consacra, tout en enseignant l’anglais, à la traduction, l’imprimerie, et l’édition pour diffuser les saintes écritures auprès des Siamois et des Chinois.

Par ailleurs, lorsqu’un consul des Etats-Unis en remplaçait un autre, McDonald assurait l’intérim en tant que vice consul. (1868-69 – 1881-82 – 1885-86). Un ministre des Etats-Unis d’alors, un certain Jacob Child, disait de lui : ‘’McDonald est le vice-consul le plus efficace et le plus populaire. Il a le respect et la confiance de tous‘’. Ce qui sous-entendait que c’était loin d’être le cas avec les consuls en titre.

        

L’impétrant, fort de sa bonne connaissance de l’Anglais, huit ans plus tard, vers l’âge de 16 ans part pour l’Angleterre afin d’y étudier le droit. (*) Il est alors hébergé par une famille d’accueil, et le jeune homme met à profit ses heures de loisirs pour s’initier à la photographie et à l’hypnose, deux disciplines très en vogue à l’époque.

 

(*) Jamnong Amatayakul sera l’un des dix premiers étudiants Siamois à aller étudier à l’étranger. Parmi ces dix élèves il y avait quatre princes et six fils de nobles.

 

(En 1885 naissait en Angleterre avec Peter Henry Emerson (1856-1936) le pictorialisme, un mouvement qui voulait faire de la photo un art à l’égal de la peinture, et en France, entre 1882 et 1892, l’intérêt pour l’hypnose de la part de neurologues comme Jean-Martin Charcot (1825-1893) et Hippolyte Bernheim (1840-1919) suscita une espèce d’engouement pour l’expérimentation auprès du grand public tant en France que dans les pays voisins comme l’Angleterre.)

 

Après cinq ans d’études de 1885 à 1890 (2428-2433) et son diplôme en poche, le jeune Jamnong Amatayakul, alors âgé de 21 ans rentre au Siam ; quelques mois plus tard, il prend une femme d’origine chinoise, Nang Sao Morakot (นางสาวมรกฎ). Cette dernière est la fille de Naï Phanich (นายพาณิชย์) un commerçant de Bangkok ayant pignon sur rue.

A Bangkok, Jamnong Amatayakul commence son activité professionnelle par un stage au ministère de la justice, lequel se terminera en 1896 (2439) par l’obtention d’un examen d’entré au barreau Siamois, ce qui va lui ouvrir les portes du ministère de la justice dès 1897 (2440).

 

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Photo : Nang Sao Morakot (นางสาวมรกฎ บุตรีเจีสัว), dont le nom se traduit par ‘’Emeraude‘’. la première femme de Luang Charoen Rachamaitri de son nom de naissance Jamnong Amatayakul (จำนง อมาตยกุล). (Photo de Luang Anusarn)

A Bangkok, durant son stage, Jamnong Amatayakul prend une deuxième femme, Nang Plueng (นางเปลื้อง), ce qui le conduira à être père de quatre enfants : Khun Jelim (คุณเฉลิม), Khun  Pouia (คุณปุ๋ย), Khun Lamaï (คุณละไม) et Khun Lek (คุณเล็ก). Il est alors âgé de 28 ans

A 29 ans, en 1898 (2441) il est nommé juge principal de Chanthaburi avec le titre de Luang Janya Yutakrit (หลวงจรรยา ยุตกฤตย์). Chanthaburi est une ville au Sud-Est de Bangkok, et à quelques 200 kilomètres de cette dernière. Sa mission consistait alors à mettre en place un tribunal de région devant chapeauter les différentes cours locales de ladite région.

Au cours de cette première mission, il prendra une troisième femme, Nang Pluangmi (นางเปลื้องมี) qui lui donnera au fil des ans quatre nouveaux enfants : Khun Po (คุณโป๊ะ), Khun Dontri (คุณดนตรี), Khun Jaran (คุณจรัล) et Khun jarin (คุณจริณ).

En 1899 (2442), alors qu’il est toujours à Chanthaburi en tant que juge principal, il est muté comme ‘’Gouverneur spécial de la province de Phayap‘’ (ข้าหลวงพิเศษ มณฑลพายัพ) avec le titre de Phraya Charoen Rachamaitri (พระยาเจริญราชไมตรี). Sa destination est alors la ville de Chiang-Mai, une ville à plus de 900 kilomètres de Chanthaburi.

Cette même année de 1899 (2442) sa première femme, Nang Sao Morakot (นางสาวมรกฎ) décède. Elle sera ‘’remplacée‘’ par une parente de sa deuxième femme devenue, par la force des choses, sa première femme.

A Chiang-Maï, pour ne pas déroger à ses habitudes il prend une quatrième femme, Khun Nuanthong (คุณนวลทอง) dont il aura deux garçons Naï Jamlong (นายจำลอง) et Naï Sak (นายศักดิ์).

Sa deuxième femme, devenue la première, Khun Pluang (นางเปลื้อง) déjà mère de quatre enfants, va accoucher d’un cinquième, Naï Jarun (จรูณ) ; et lorsque ce nouveau-né atteindra les 6 mois, courant 1901 (2544) Phraya Charoen Rachamaitri quittera Chiang-Maï avec armes et bagages car Rama V avait d’autres missions à lui confier.

 

Il s’est écrit beaucoup de ‘’choses‘’ sur Luang Charoen Rachamaitri, d’abord qu’il avait enseigné la photographie à Luang Anusarn. Or nous avons vu que chronologiquement ce n’était pas possible. Ensuite qu’il avait fait découvrir aux habitants de Chiang-Maï la première voiture automobile. Là encore il y a une impossibilité matérielle.

 

La première voiture à rouler sur le sol du Lanna en général et de Chiang-Mai en particulier aurait été une voiture française de chez ‘’De Dion Bouton‘’, (1883-1968) et les photos de cette voiture permettent à Messieurs Michael Edwards et Nick Jonckheere, deux membres actifs et très sympathiques, du club anglais ‘’de Dion Bouton‘’ (*) d’affirmer, sans la moindre hésitation, qu’il s’agit d’une ‘’populaire‘’ de type V 8hp fabriquée entre décembre 1903 et octobre 1904.

 

(*) Pour plus de précision il est possible d’accéder au site de ces deux personnes au ‘’De Dion Bouton UK club‘’ : https://www.dedionboutonclub.co.uk/.

 

Autrement dit, là encore il n’était pas possible matériellement que Luang Charoen Rachamaitri ait pu se trouver au volant de cette voiture fin 1899, cependant, Luang Charoen Rachamaitri (*) était bien à Chiang-Mai à cette période.

 

(*) le 17 mars 1900, pour éviter tous risques d’incendies, il a été promulgué une interdiction d’envoyer des Khom Wan (โคมควัน) et des Khom Faï (โครมไฟ) dans les airs dans la province de Phayap. Tout contrevenant était alors passible d’une amende de 20 bahts (somme très importante à l’époque). Ce décret était signé du haut-commissaire Phraya Narisara Ratchakit et du commissaire-spécial Luang Janya Yutakrit.

 

Pour la suite de l’histoire : la population demanda à Rama V l’annulation de cette disposition. Ce dernier, considérant sans doute qu’il fallait lâcher un peu de lest et ménager les deux parties, répondit que tout décret devait lui être signifié six mois avant leur application. Le délai étant dépassé, les ‘’khom-faï‘’ purent prendre leur envol à l’occasion du Loï Kraton 1900. Ce qui n’empêcha pas par la suite … leur interdiction. Ces ballons ont repris droit de cité depuis peu et dans le seul but d’attirer … les touristes.

 

Pour conclure sur le sujet et donner une date sur l’arrivée de cette automobile à Chiang-Maï, il est probable, mais pas certain, qu’elle ait roulé sur le sol du Lanna, au plus tôt vers juin/Juillet 1904, compte tenu des trois mois nécessaires à un scorpion pour remonter la Mae Ping jusqu’à Chiang-Mai.

 

Khun Somchoti Ongsakul, auteur de nombreux livres sur Chiang-Mai nous a suggéré qu’il pouvait, peut-être, s’agir d’un véhicule de fonction, voire protocolaire, que le gouvernement Siamois aurait mis à disposition de ses hauts-fonctionnaires et nobiliaires à/ou de passage à Chiang-Maï ?! …

 

 

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Photo 1 : L’une des rares, ou la plus rare des photos de Luang Charoen Rachamaitri (1869-1944). Cet homme de deux ans plus jeunes que Luang Anusarn vint au monde sous le nom de Jamnong Amatayakul (Chamnong Amatayakul) puis porta successivement les titres de :  Luang Janya Yutakrit, et Luang Charoen Rachamaitri.

Il fut l’un des dix premiers étudiants Siamois à aller étudier en Angleterre, le mari de cinq épouses et le père de 11 enfants.

En 1889 il fut nommé ‘’Gouverneur spécial de la province de Phayap‘’ (Photo d’un auteur inconnu)

Photo 2 : Cette photo trouvée sur le site ‘’39970-siam-thailand-bangkok-old-photo-thread‘’ à la page 160 en tant que 20è photo, sous-titrée ‘’1899 Chiang-Mai early vehicle‘’, n’est pas sans me poser des questions. En effet si la date est exacte il n’est pas impossible que Luang Charoen Rachamaitri soit arrivé à Chiang-Maï à son bord d’autant que le qualificatif d’alors pour désigner ce genre de véhicule étaient : voiturette et quadricycle, ce qui désignaient de légers véhicules facilement transportables en scorpion. Alors, si ce véhicule date vraiment de 1899, que la photo vient de Chiang-Maï il est possible que Luang Charoen Rachamaitri l’ait conduite. Le débat est ouvert.

 

 

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Photo 1 : Luang Charoen Rachamaitri (Jamnong Amatayakul) ou plus précisément Luang Janya Yutakrit à bord, soi-disant, de la première voiture automobile ayant été importée à Chiang-Maï.

D’après la légende de cette photo, il est précisé qu’elle a été tirée à partir d’un négatif sur plaque de verre datant de 1889-1890 (2432-2433) ce qui, matériellement, n’est pas possible concernant la date. Car la voiture en question n’a pu être importée à Chiang-Maï, au plus tôt, qu’en 1904, soit 14 ans plus tard ?! … et par ailleurs, Luang Janya Yutakrit, pas encore Luang Rachamaitri, n’a été en poste à Chiang-Mai que de 1899 à 1901. Cherchez l’erreur ou … les erreurs ?! …  (Photo de Luang-Anusarn)

Photo 2 : Luang Charoen Rachamaitri (Jamnong Amatayakul) assis, au milieu de quelques officiers à Chiang-Maï. (Photo de Luang Anusarn). 

Photo 3 : Cette sœur jumelle de la ‘’de Dion-Bouton‘’ de la série ‘’La populaire‘’ de type V 8hp fabriquée entre décembre 1903 et octobre 1904 s’offre au regard du public au ‘’Muséo Nazionale dell’Automobile‘’ de Turin en … Italie. (Photo sans nom d’auteur)

 

La première voiture automobile qui roula à Chiang-Maï serait peut-être, française. Si c’était le cas, ce serait une ‘’de Dion-Bouton‘’ (1883-1968), une voiture de la série ‘’La populaire‘’ de type V 8hp fabriquée entre 1903 et 1904.

 

Le propriétaire de la deuxième voiture automobile à Chiang-Maï fut Chao Inthawarorot Suriyawong (1859-1901-1910) le 8è et avant dernier souverain de Chiang-Mai.

 

Le troisième propriétaire d’une voiture automobile à Chiang-Mai fut Sunhee Chutima, le futur Luang Anusarn. Comme il avait une préférence pour le made in England, il acheta, (chez un concessionnaire de Moulmein ?), une voiture anglaise, une ‘’Rover 6‘’ (1905-1912) sortie d’usine en 1906, mais acquise vers 1908.

Luang Anusarn utilisa cette voiture (*) pour relier les deux ports d’expéditions qu’il utilisait pour son commerce, celui du Wat Ket, à Chiang-Maï, ‘’Ton Lam Long‘’ ou Tha rua Wat Ket (ท่าเรือวัดเกต) et celui de Lamphun à Tha rua Ban Sop (ท่าเรือบ้านสป).

 

(*) Cette voiture a été cachée durant la seconde guerre mondiale pour éviter ‘’qu’on‘’ vienne y chercher des pièces de rechange. Elle est aujourd’hui toujours en état de rouler. D’ailleurs pour le 200ème anniversaire de Bangkok en 1982, c’était la voiture de Luang Anusarn qui roulait en tête du défilé des anciennes voitures venues de toute la Thaïlande. C’est donc bien la plus ancienne voiture de Thaïlande en état de rouler encore aujourd’hui. Il est possible de la voir dans sa cage de verre, gratuitement, non loin du Wat Upakut.

 

La première voiture automobile de l’écurie Royale du Roi Chulalongkorn était Allemande. Il s’agissait d’une Mercedes Benz de 28 chevaux. Elle arriva à Bangkok en pièces détachées le 19 décembre 1904. 

 

 

 

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Photo 1 : Luang Anusarn au volant de sa ‘’Rover 6 ‘’ avec à ses côtés son épouse Nang Kamthieng et son fils Yong Hua qui deviendra Naï Phaet Yong Chutima ou le docteur Yong Chutima. (Photo Luang Anusarn)

Photo 2 : La voiture de Luang Anusarn, toujours bon pied bon œil en 2020. Cette voiture anglaise, une ‘’Rover 6‘’ (1905-1912) est équipée d’un monocylindre de 780 cm3 à soupape latérale, et refroidie par eau.

C’est elle qui ‘’caracola‘’ en tête du défilé des voitures anciennes, organisé en 1982 à l’occasion du bicentenaire de Bangkok. Elle portait alors, et encore maintenant, le titre pratiquement imprenable de la voiture la plus ancienne des anciennes voitures du Lanna et … de Thaïlande.

Photo 3 : Cette sœur jumelle de la ‘’Rover 6‘’ de la série 1904 s’offre au regard du public. (Photo sans lieu d’origine et sans nom d’auteur)

 

Ces quelques lignes, concernant tout à la fois la première voiture automobile et les premières photos à Chiang-Maï, portent un coup fatal aux dernières légendes urbaines concernant Chiang-Mai, mais … elles ont l’avantage de rétablir une certaine vérité historique et de confirmer que Sunhee Chutima, n’était pas un homme ordinaire, mais un être hors du commun. Ce jeune touche-à-tout aux doigts d’or, s’était rendu maître d’une technique inconnue à Chiang-Maï, l’avait développée, devenant ainsi le pionnier de la photo à Chiang-Maï sans que Luang Charoen Rachamaitri, malgré tout son savoir en la matière, y fut pour quelque chose, à moins que !...

 

C’est donc parce qu’il possédait le savoir et le matériel adéquate que Sunhee Chutima après avoir posé la dernière tuile sur le toit de son magasin, le ‘’Chua Yong Seng‘’ (ชัวย่งเส็ง) y intégra un studio photos, (*) le tout premier à Chiang-Mai ; ce qui ne pût que lui attirer une clientèle de haut rang et d’étrangers.

 

(*) A cette époque il n’était pas possible de prendre plus de cinq photos par jour et le traitement des films demandait deux mois. Une photo était facturée 50 satangs. Comparativement : 2 bols de nouilles ou 1 bol de riz se vendaient 1 satang. Le satang est la centième partie du baht, notre centime d’euro en quelque sorte.

 

Mais où, quand et comment a-t-il acquis ce savoir ?! … là est la question comme dirait Shakespeare ?! …

 

A ces questions, il y a forcément une ou des réponses. Ce qui va suivre n’est qu’une hypothèse et elle est à prendre comme telle. Il ne s’agit pas de prouver et encore moins d’affirmer quoique ce soit, mais d’essayer, sans peut-être y réussir, de percer ou d’apporter quelques éléments de réponses à ce … ‘’mystère‘’ … afin d’en savoir un peu plus sur Luang Anusarn.

 

Parmi les photos contenues dans ‘’Mueang Chiang-Maï‘’, le livre qui accompagnait l’exposition, il y en a trois qui ont attiré mon attention. Ce sont les trois photos dites … ‘’prises au cours du XIXe siècle‘’ et suivi de l’énigmatique : ‘’Là encore, ce détail à son importance, vous verrez par la suite pourquoi.‘’ 

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La première mettait en scène la population de Chiang-Maï exprimant sa joie à la naissance de la petite princesse Vimolnaka Naphisi, la petite fille de SAR la princesse Dara Ratsami. (1889).

 

La seconde fixait pour l’éternité le cortège organisé par le consul anglais de Chiang-Mai, pour célébrer le jubilé de diamant de la reine Victoria. (1897)

 

La troisième montrait l’aéropage des représentants du roi Chulalongkorn dit Rama V à Chiang-Maï posant devant le parvis du viharn du Chédi Luang. (1899).

 

On peut avancer, sans trop faire d’erreur, que la photo la plus ancienne, a été prise, au plus tôt en 1890, laissons du temps au temps. Ce qui revient à écrire que, non seulement Luang Anusarn photographiait dès 1890, (*) mais possédait déjà, dès l’âge de 23 ans, soit trois ans après l’ouverture de son magasin en association avec Boonma Nikornphan, le matériel adéquate pour prendre des photos, à moins qu’il l’ait emprunté ?! ...

 

(*) Les trois photos appartenant au … ‘’XIXe siècle‘’ vont à l’encontre d’une idée reçue et en apportent la preuve. Charoen Rachamaitri n’a pas appris la photo à Luang Anusarn, contrairement à ce que stipule cette idée. Pour s’en convaincre il suffit de prendre en compte les années propres aux photos et les années pendant lesquelles Charoen Rachamaitri a vécu à Chiang-Mai. Non seulement ces années ne se superposent pas, mais il y a jusqu’à dix ans d’écart entre la photo la plus ancienne et l’année de l’arrivée à Chiang-Maï de Charoen Rachamaitri.

 

Les tenants de l’idée reçue pourraient objecter que la fille de Sunhee Chutima, Nang Kimhaw, (1894-1981) a écrit dans son journal que son père avait appris la photographie avec Luang Phraya Charoen Rachamaitri. C’est vrai !... ils ont raison.

 

Cependant, l’emploi du temps des deux hommes ne permet pas la moindre rencontre entre eux avant 1900 ; ensuite avec le temps, il arrive que la mémoire joue des tours à des … ‘’témoins‘’ les plus sincères, d’autant que lorsque les deux hommes se côtoyaient pratiquement tous les jours Nang Kimhaw n’était pas là pour les voir puisqu’à cette époque elle n’était pas encore née ?! … elle ne naîtra que … sept ans plus tard ?! …

 

Bref, Nang Kimhaw n’a pas connu Luang Phraya Charoen Rachamaitri, elle en a seulement entendu parler et n’a fait qu’écrire en toute bonne foi que ce qu’on a dû lui raconter. Or la bonne foi n’exclue pas l’erreur, à moins que Nang Kimhaw écrive vrai en omettant de préciser un détail d’importance qui ne lui aurait pas été signifié ! …

 

A cette époque Sunhee Chutima n’était, semble-t-il, jamais allé à Bangkok, c’est vrai, mais rien ne dit qu’il ne soit pas allé à Moulmein, d’abord par curiosité et ensuite pour le commerce qu’il avait ouvert avec son associé depuis un bon lustre. Moulmein n’était qu’à quinze jours de Chiang-Mai, et Moulmein colonie anglaise vivait à l’heure de la Malaisie et de Singapour, c’est-à-dire dans la modernité. Moulmein n’avait alors rien, mais rien, à envier à Bangkok, bien au contraire. Moulmein a été une grande métropole, et jusqu’en 1856 la capitale de la Birmanie-Britannique.

 

Avec l’arrivée des Britanniques en Birmanie des photographes de guerre, c’est-à-dire attachés à l’armée britannique sont arrivés.  (*) Puis des civils ont suivi.

 

(*) Le médecin militaire John McCosh (1805-1885) est considéré avec sa photo de 1843 et la centaine de suivantes, comme le premier photographe de guerre. Ses premières photos en Birmanie datent de 1852/1853. Ces années correspondent à la seconde guerre Anglo-Birmane. A Bangkok, en 1851 le roi Mongkut dit Rama IV était intronisé, et allait ouvrir le Siam aux Occidentaux.

 

Parmi ces civils il y avait une communauté allemande dont les individus étaient plus particulièrement spécialisés dans l’horlogerie, l’optique et la photo. La fabrication de lentilles était à cette époque une des spécificités allemandes.

 

Un photographe sortira des rangs de cette communauté ; l’allemand Philip Adolphe Klier (1845-1911) (*) qui exerça à Moulmein de 1865 à 1880, soit pendant 15 ans, pour ensuite aller s’installer à Rangoun et devenir un photographe de renom.

 

(*) Klier alors associé avec un certain Hinrich Murken, allemand lui aussi, était inscrit, avec Murken, sur le ‘’Thacker’s Directory 1872 de Moulmein‘’ comme ‘’horloger, opticien et photographe‘’.

 

Au fils des ans Rangoun, il est vrai, prit le pas sur Moulmein ; mais Moulmein resta néanmoins une ville active et le deuxième port de Birmanie, en raison du commerce du teck avec le Lanna. Donc, ni les commerces et ni la population n’ont migré vers Rangoon, loin s’en faut. C’est pourquoi à Moulmein, et peut-être une décennie avant Bangkok des studio photos se sont ouverts ; des studios qui prenaient des clients en photos, mais aussi qui développaient des clichés et vendaient du matériel photo. Luang Anusarn aurait-il été en cheville avec un ou plusieurs de ces studios pour acheter du matériel et, dans un premier temps, développer ses prises de vues ?! …

 

C’est loin d’être impossible, d’autant que, comme par hasard, Luang Anusarn demandait deux mois pour développer une photo ?! ... (*)

 

(*) Ces deux mois pourraient se décomposer comme suit : un mois pour aller et revenir de Moulmein ? … et un mois pour permettre au laborantin de programmer dans son emploi du temps les travaux confiés par Sunhee Chutima, et de les développer.

 

Bref, Luang Anusarn ne serait-il pas, tout simplement, aller apprendre la photographie et acheter son matériel du côté de Moulmein ? … difficile à dire, mais … ce serait peut-être une possibilité, qui certes … reste à établir !... Mais … cette possibilité est tellement logique qu’elle coule de source ! …

 

Cependant, prendre une photo est une chose, mais la développer en est une autre. Tout un chacun peut ‘’photographier‘’, n’importe qui et n’importe quoi, mais combien de ces photographes d’avant le numérique, pouvaient ou étaient capables de développer la pellicule sur laquelle étaient enregistrés ses clichés ?! …

 

Alors, plutôt que d’apprendre à photographier à Sunhee Chutima, Phraya Charoen Rachamaitri ne lui aurait-il pas appris à développer ses photos ?... Ce qui alors pourrait expliquer ce qu’a écrit Nang Kimhaw à ce sujet dans son journal ?! ...

 

Phraya Charoen Rachamaitri n’aurait pas appris la photo à Sunhee Chutima mais à développer ses clichés photographiques ?! …

 

Mais là encore, cela reste à établir ?! …

 

 

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Photo 1 : Portrait de John McCosh (1805-1885). Ce chirurgien de l’armée écossaise, stationna en Inde et en Birmanie. Il y fit de la photo en amateur, y compris lors des guerres, guerre Anglo-Sikh (1848-1849) et guerre Anglo-Birmane (1852-1853). Des historiens s’intéressèrent à ses clichés et dès lors, il fut considéré comme le premier reporter de guerre. (Photo auteur inconnu).

Photo 2 : Cliché d’un ‘’paddy Boat‘’ pris en 1890, en Birmanie. (Photo de Philip Adolphe Klier)

Photo 3 : Portrait du Major-Général Linnaeus Tripe (1822-1902). Ce capitaine s’intéressa à la photo fin 1854 alors qu’il était en garnison en Inde. Ses clichés attirèrent l’attention de Lord Dalhousie qui lui demanda de se joindre à une expédition officielle partant pour Ava en Birmanie afin de photographier des scènes de la vie quotidienne et nombre de constructions. Linnaeus Tripe continuera dans cette voie. (Source British Llbrary – document 612)

 

Mais, qu’en est-il exactement de l’art de la photo, au Siam puis au Lanna à cette époque ?

 

C’est probablement un français, l’abbé Louis François Larnaudie (1819-1899) qui aurait introduit la photographie au Siam. Ce missionnaire débarqua à Bangkok le 25 juillet 1845 (*) avec tout un équipement photographique appartenant à Jean Baptiste Pallegoix (1805-1862) alors vicaire apostolique depuis 1841 du Siam oriental.

 

(*) La photo arrive à Bangkok six ans après la présentation du ‘’Daguerréotype‘’ (1839) à l’académie des sciences. Pour la première fois l’image ne s’effaçait pas de son support. L’obtention de ce résultat était dû à Joseph Nicéphore Niepce (1765-1833) et Louis Daguerre (1787-1851).

 

Monseigneur Pallegoix s’était lié d’amitié avec le supérieur du Wat Borom Nivat (วัดบรมนิวาส) près duquel il habitait. Ce supérieur qui prit ses fonctions en 1836, et qui apprendra le latin avec son voisin français, deviendra en 1851, le roi du Siam, c’est-à-dire le roi Mongkut dit Rama IV (1824-1851-1868).

 

Le roi Mongkut était un homme à l’esprit ouvert sur le monde, contrairement à son prédécesseur Rama III. Il se passionnait pour la science et les techniques modernes dont … la photographie.

 

De ce fait il va ouvrir les portes de son palais aux photographes venant, pour la plupart, d’occident, et faire de la photographie un moyen de communication avec les ‘’grands‘’ de l’époque, Franklin Pierce, Pie IX, napoléon III et la reine Victoria en leur adressant son portrait. (*)

 

(*) Le portrait de Mongkut pris par l’abbé Louis François Larnaudie fera le tour du monde

 

Son fils, Chulalongkhorn dit Rama V le relayera et ira même jusqu’à encourager son entourage, y compris la gente féminine, dont ses 153 concubines, à pratiquer la photographie. Parmi ces dernières, Chao Chom Erb (เจ้าจอมเอิบ) et Chao Chom Uen (เจ้าจอมเอื้อน), deux sœurs de la maison des Bunnag (บุนนาค) feront preuve d’un réel talent pour la photo. De ce fait Chao Chom Erb Bunnag suivra Rama V dans tous ses déplacements pour enregistrer ses faits et gestes ; ce qui constituera, avec les photos de ses successeurs une importante collection de clichés. (*)

 

(*) Aux archives de Bangkok il y aurait 35.427 négatifs en plaque de verre, et 50.000 impressions couvrant les années allant de 1855 à 1935.

 

Durant les premières années de cet engouement photographique, un Siamois, qu’on n’attendait pas, allait se rendre maître de cet art et rivaliser avec les photographes les plus aguerris. Cet homme, Khun Mode Amatayakul (ขุนโหมด อมาตยกุล) (1819-1896) descendait d’une riche famille nobiliaire.

 

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Photo 1 : Chao Chom Erb Bunnag, (เจ้าจอมเอิบ บุนนาค) (1879-1944) (2422-2487) une des concubines de Rama V, devenue de par son talent la photographe officielle du roi. Sur ce cliché elle est entrain de photographier son père Chao Phraya Suraphan Phisut (Tet Bunnag) (เจ้าพระยาสุรพันธ์พิสุทธิ์) (เทศ บุนนาค) (1841-1907) (2384-2450) alors gouverneur de Petchaburi. (Source inconnue)

Photo 2 : Un autoportrait de Khun Mode (ขุนโหมด) (1819-1896) le grand père de Phraya Charoen Rachamaitri (พระยาเจริญราชไมตรี). (Photo de Khun Mode)

Photo 3 : Rama V dans les rues de Bangkok faisant de la photo. (Source inconnue)

 

Khun Mode se vit décerner le titre de Phra Wisut Yothamad (พระวิสูตรโยธามาตย์) en 1860, par Rama IV et celui de Phraya Krasaponkitkoson (พระยา กระสาปนกิจโกศล) en 1868 par Rama V. Son nom de famille était ‘’Amatayakul‘’ (โหมด อมาตยกุล) comme celui de Phraya Charoen Rachamaitri (พระยา เจริญราชไมตรี) dont il était … le grand-père. Hélas, les archives ne disent pas si la photographie fut exercée de conserve par les deux hommes, ou si le grand-père initia son petit fils ?! ...

 

Khun Mode Amatayakul était un touche-à-tout génial, qui ne parlait que le Siamois. Cet unilinguisme (*) ne l’empêcha pas d’apprendre la mécanique auprès de missionnaires venus des Etats-Unis et ainsi de devenir le réparateur de l’irréparable à la cour de Bangkok.

 

(*) Quelques chercheurs auraient établi le contraire ; Mode aurait été au moins bilingue ?! ...

 

Ses exploits commencent dès son plus jeune âge, alors qu’il n’était encore qu’un gamin, le jeune garçon, curieux de tout, fréquentait les différents chantiers de la ville et se permettait de donner des conseils techniques, j’ai bien écrit ‘’techniques‘’, à ses aînés en certaines occasions ; ce qui, d’après les ouï-dire évita quelques catastrophes.

 

Plus tard, entre autres anecdotes, alors qu’il était d’âge mûre, Khun Mode Amatayakul remplaça haut la main un ingénieur anglais, foudroyé par le choléra. Ce malheureux homme accompagnait une machine venue d’Angleterre, qu’il devait installer et mettre en service. Grâce à Khun Mode Amatayakul, les premières pièces de monnaie Siamoises, et les suivantes, furent fabriquées par cette presse, et se répandirent dans tout le royaume.

 

C’est encore grâce à l’intervention de Khun Mode Amatayakul que le roi Mongkut dit Rama IV prit possession d’un cadeau de la reine Victoria, en parfait état de fonctionnement.

 

Depuis Londres, l’objet en question, voyagea dans une caisse qui, à Singapour, lors de son transfert pour Bangkok tomba à l’eau. La caisse fut récupérée mais tout son contenu ruissela d’eau, y compris le cadeau de la reine.

 

Comme il s’agissait d’un … appareil photo, autant dire que le mécanisme en souffrit. Mais Khun Mode Amatayakul, tel un magicien, remit l’appareil en état. 

 

Peut-être que cette réparation, sans rien connaître sur la photo, a été pour lui l’occasion de rencontrer l’abbé Larnaudie ; car ce serait auprès de ce prêtre Français que Khun Mode Amatayakul aurait découvert la photographie et apprit l’art de photographier.

 

Quoi qu’il en fût, Khun Mode Amatayakul est aujourd’hui considéré comme étant le premier photographe Siamois, puis, après 1939 … le premier photographe Thaïlandais. (En 1939, le Siam a été renommé … Thaïlande.)

 

Dans son livre ‘’Evolution de la photographie en Thaïlande‘’ Sakda Siriphan (ศักดา ศิริพันธุ์), écrit que dans le passé, à Chiang-Maï, les trois personnes qui se sont distinguées en tant que photographes sont, Luang Anusarn Sunthorn, les japonais Morinosuke Tanaka (โมริโน๊ะซุเกะ ทานากะ) et Shojo Hatano (นาย โซโจ ฮาตาโน). Je rajouterai qu’un peu plus tard viendra Boonserm Satrabhaya (1928-2017) (บุญเสริม ศาสตราภัย) (2471-2560) dont on ne peut pas ne pas évoquer le nom quand il est question de photos et de Chiang-Maï.

 

En 1900, le docteur James William McKean, aidé de son collaborateur Pauliang Chantah Indravude, entreprit un vaste programme de vaccination antivariolique. Il concernera plus de 200.000 sujets. La variole et le paludisme étaient alors les deux maladies endémiques du Lanna. 

 

 

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Photo 1 : Cette photo montre une des séances de vaccination antivariolique dans la région de Chiang-Maï aux environs de 1900. Il s’agit de la grande campagne lancée par le docteur James William McKean et son collaborateur Pauliang Chantah Indravude. Cette grande campagne a été rendue possible parce que les doses de vaccin étaient produites sur place et non plus importées. (Photo Luang Anusarn)

Photo 2 : Il semblerait que cette photo se rapporte à la léproserie, que va ou qu’à déjà créé le Docteur McKean. Car les maisons qui existent encore aujourd’hui ressemblent comme deux gouttes d’eau à celle de cette maquette. L’individu debout à droite serait, d’après la légende de la photo, Naï Pauliang Chantah Indravude. (Photo d’un auteur inconnu.)

 

En 1901, tandis que les séances de vaccinations se poursuivaient, qu’un laboratoire de production de vaccins antivarioliques devenait opérationnel, les foyers de révoltes s’éteignaient les uns après les autres.

Mais en 1902 à Phrae, une autre capitale du Lanna, de nouvelles révoltes éclatèrent. Le mécontentement des populations à majorité Thai Yaï et Ngiao (Shan) allait y atteindre son paroxysme. Comme à Chiang-Maï la rébellion se fit dans un bain de sang, vingt fonctionnaires furent tués et le gouverneur de la ville, Phraya Chaiyabun (Thongyou) (พระยาไชยบูรณ์) (2445) décapité par les révoltés. Un monument a été dressé pour honorer son souvenir.

 

Vers les années 1900/1910, voire plus tard, Naï Sunhee Chutima, à Bangkok, dans le cadre de ses activités commerciales et extra commerciales va être amené à rencontrer des missionnaires Français de la congrégation de Saint Gabriel. Ces missionnaires dirigeaient le collège de l’Assomption. Impressionné par leur type d’enseignement il inscrira son neveu et futur gendre Naï Ki Nim dans leur collège. Du fait de cette inscription, Naï Ki sera le premier étudiant de Chiang-Maï à aller étudier à Bangkok.

 

En 1904, le 8 avril, à l’occasion de la signature de l’entente cordiale, l’Angleterre et la France s’engagent à nouveau à assurer l’intégrité du Siam comme en 1896.

 

A Chiang-Maï, convaincu que l’anglais est une langue facilitant les rapports commerciaux Sunhee Chutima, demande à Mom Luang Manit (หม่อมหลวงมานิจ) d’ouvrir une école d’anglais. Ce sera la première école de langue étrangère qui sera ouverte à Chiang-Mai.

 

Cette école prendra tout d’abord le nom d’école Mong Chuai To de Chiang-Mai (โรงเรียนหม่องช่วยต่อ เชียงใหม่) puis celui d’école Chuai Yong Seng Anukun Wittaya de Chiang-Maï (โรงเรียนช่วยย่งเส็งอนุกุลวิททยา เชียงใหม่) et enfin celui d’école Chuai Yong Seng Anusarn Bamrung Wittaya (โรงเรียนช่วยย่งเส็งอนุสารบำรุงวิททยา เชียงใหม่).

 

De son côté, en 1906, le Chao Inthawarorot Suriyawong, encourage et patronne la fondation de la première école publique de filles ‘’L’Ecole Watthanothaï Phayap‘’ (โรงเรียนวัฒโนทัยพายัพ) qui ouvre ses portes.

 

La même année, le comte Edmondo Roberti de Castelvero (คอมต์ โรเบอร์ติ) (1876-1942) un ingénieur de la section provinciale des travaux publics de Bangkok (1) met en œuvre la construction d’un pont en bois de teck reliant la rue Tha Phae, située rive Ouest de la Mae Ping et aboutissant sur le débarcadère n° 6, à la rue Charoen Muang, qui se trouve sur la rive Est. Ce pont en bois de teck sera le prédécesseur du pont Navarat actuel. (2)

 

(1) Alors que de nombreux architectes transformaient Bangkok, Rama V avait créé une équipe d’ingénieurs provinciaux chargés de la construction de ponts en provinces. Ces trois ingénieurs s’appelaient Edmondo Roberti, A. Spigno et M. Sala. Ils étaient aidés par six assistants : L. Baghini, P. Coletti, A. Facchinetti, L. Giacone, G. Guasco et G. Levi. 

(2) Ce pont en teck sera remplacé par un pont dont l’ossature sera en acier. Sa construction aurait été commencée dans les années en 1921/1922 et elle aurait été terminée vers 1923 ; l’ingénieur Italien Marques Gambiero en a dirigé les travaux. Ce pont dit en fer, à son tour dans les années 1965, cèdera sa place au pont en béton que nous connaissons aujourd’hui et que tout un chacun appelle le pont Nawarat.

 

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Photo 1 : le pont de Teck ou pont Khua Kula (สะพาน ขัว ครูหล้า) construit par le docteur Cheek entre 1887 et 1892 (*). Ce pont fut le premier pont ‘’durable‘’ dans le temps (une quarantaine d’années) qui enjamba la Mae Ping. Il reliait la rive Ouest où se tenait le Kad Luang (Grand marché) à la rive Est en face du Chédi Phra Chula Mani du village de Wat Ket. Lors d’une grande inondation en 1932 ce pont passa de vie à trépas, car la dérive des troncs de teck descendant vers le Sud fut alors incontrôlable. Un pont de bambous le remplaça temporairement. Mais … fort heureusement l’ancêtre du pont Nawarat, lui aussi en teck, palliait déjà à la déficience du pont Khua Kula. (Photo de Luang Anusarn).

(*) Je ne reviens pas sur la polémique concernant les dates de construction.

Photo 2 : Un portrait du constructeur en chef du pont Khua Kula, le docteur Cheek.

Photo 3 : Une scène montrant l’activité sur le pont Khua Kula. Le pont est alors emprunté par des gens des tributs voisines qui sont à deux heures de marche de Chiang-Maï. Ces personnes viennent vendre ou acheter tout près du cimetière royal. Au fil des ans ce marché va grandir et donner naissance au marché Kad Luang. Mais l’expansion du marché Kad Luang va sonner le glas de deux marchés, à savoir en n° 1, celui qui se tenait entre les deux portes Tha Phae (*) tout au long de l’actuelle rue Tha Phae, et en n° 2, le ‘’Thiphayanetra‘’ près de l’embarcadère Tha Phae, l’embarcadère n° 6. Ces deux marchés étaient aux mains des Ngiao et Thaï Yaï (Shan).

(Photo de Luang Anusarn)

 

(*) Il y avait à cette époque deux portes Tha Phae. La porte Tha Phae Chann Noï (porte Tha Phae d’aujourd’hui) qui donnait directement accès à la ville, et la porte Tha Phae Chann Nok, qui n’existe plus, et qui se situait tout à côté du Wat Saen Fang. Un premier rempart de terre protégeait alors la ville.

 

Aujourd’hui, une passerelle piétonne en béton nommée ‘’Chansom Mémorial‘’ a remplacé celle de 1966. Cette nouvelle passerelle a été inaugurée le dimanche 14 aout 2016.

C’est un homme d’origine Pakistanaise, propriétaire d’un grand magasin de tissus au talat Warorot, Naï Motiram Kosaraphiron, (นาย โมตีราม โกศราภิรมณ์) qui en finança, pour une grande part, la construction. Le prénom de son épouse, ‘’Chansom‘’ fut donné à l’ouvrage. Le mot mémorial fut rajouté parce que l’épouse de ce mécène décéda l’année même de la construction. Ce pont piétonnier a donc été reconstruit ‘’A la mémoire de Chansom‘’, l’épouse de Naï Motiram Kosaraphiron.

 

L’année suivante, en 1907, la France ouvre un consulat à Chiang-Maï et nomme au poste de vice-consul Pierre Louis Emile Roy (1873- ?) qui précédemment occupait la charge de consul à Nan.

 

Cette même année le Chao Luang Inthawarorot Suriyawong fait don au docteur James William McKean de 300 raï de terrain pour lui permettre de créer une léproserie la ‘’Leper Asylum‘’ qui, un an plus tard verra le jour. En raison de la tâche qu’il s’est donnée, James W. McKean démissionnera de ses fonctions de directeur de l’hôpital McCormick. Ce poste qu’il occupa pendant près de vingt ans (1888-1908) sera repris par le docteur Edwing Charles Cort (1879-1950) aidé de son épouse Madame Mabel Gilson Cort (1872-1955). 

 

1909 marque l’année de la construction du nouveau cimetière royal (กู่เจ้านายฝ่ายเหนือ) tout près du Wat Suan Dok et l’élévation en son sein de nouveaux ‘’ku‘’ (*) dépositaires des cendres des différents princes ou Chaos du Nord.

 

(*) Le Ku est une bâtisse funéraire de dimensions et de formes variables à l’intérieur de laquelle sont déposées les cendres d’un, ou de plusieurs défunts.

 

Les terres sur lesquelles s’élevaient pêle-mêle les ‘’ku‘’ royaux, (*) devenues disponibles vont permettre la naissance spontanée d’un petit marché, lequel au fils des ans va devenir un vaste marché … le talat Warorot (ตลาดวโรรส).

 

(*) Ce cimetière royal, était autrefois séparé du Wat Saen fang (วัดแสนฝาง) par un rempart de terre et un klong, la Mae Ka. La Mae Ka est toujours là, mais le rempart de terre a été remplacé par une route qui porte le nom de Kuang Men road (ข่วงเมรุ) ce qui veut dire la rue de la cour (ข่วง) du crématoire (เมรุ). A mon avis la rue devait s’appeler à l’origine ‘’ข่วงเมรุมาศ‘’ c’est-à-dire la rue du crématoire royal.

Le Méru (เมรุ) désigne aussi la montagne qui, dans la mythologie bouddhique se trouve au centre de la terre ; quant au mot ‘’ข่วง‘’ s’il signifie ‘’cour‘’, un mot presque semblable, c’est-à-dire sans l’accent sur le ‘’Kh‘’ (), donc ‘’ขวง‘’ se rapporte lui … aux esprits, aux fantômes et aux revenants ?! …  Quelle coïncidence ?!...

 

Avant la création du talat Warorot vers 1910, il existait en cet endroit un petit marché que les indigènes désignaient sous plusieurs noms. Parmi eux il y avait le marché de la cour du Men (ตลาดข่วงเมรุ), ou Khuang Meru, c’est-à-dire le marché du crématoire ; il y avait aussi le marché de la Mae Ka, c’est-à-dire le marché près du Klong (petit cours d’eau) appelé Mae Ka.

 

Le Chao Intawaroros Suriyawong, (*) le huitième et avant dernier roi de Chiang-Mai, étendit et rénova quelque peu ce petit marché. Pour ces deux actions l’histoire retiendra son nom pour nommer le futur et grand marché qui le remplacera quelques années plus tard.

 

(*) Le marché Warorot (ตลาดวโรรส) est une contraction du terme ‘’marché du roi Intawaroros‘’ qui alors, venait tout juste de rendre l’âme. En thaï le ‘’s‘’ final se prononce ‘’t‘’ d’ou : Warorot. De ce fait, les Thaïs ne disent pas Pariss mais Parite pour … Paris … mais vous l’aviez compris.

 

Ce marché, que les touristes connaissent sous le nom de talat Warorot (ตลาดวโรรส) et que les indigènes appellent Kad Luang (กาดหลวง), aménagé en partie sur les terres de l’ancien cimetière royal et bien au-delà, a été, avec le transfert des cendres des souverains du Lanna au Wat Suan Dok, l’œuvre de SAR la princesse Dara Ratsami, (1) durant les six mois qu’elle passa à Chiang-Maï en 1909. (2)

 

(1) SAR la princesse Dara Ratsami (1873-1933) avait été l’une des épouses de Rama V, la fille du Phra Chao Inthawichayanon (อินทวิชยานนท์) (v.1817-1870-1897) le 7ème souverain de Chiang-Mai et du Lanna, et la sœur de Phra Chao Intawaroros Suriyawong (เจ้าอินทวโรรสสุริยวงศ์) (1859-1901-1909) le 8ème et avant-dernier souverain de Chiang-Maï et du Lanna, lequel succéda à son père.

(2) Dara Ratsami profita du passage de son demi-frère Keaw Navarat à Bangkok pour obtenir la permission de ‘’monter‘’ et de rester quelque temps à Chiang-Maï en sa compagnie. Six mois plus tard elle retourna seule à Bangkok.

 

Outre le fait d’avoir largement agrandi et modernisé les lieux, ces transformations, grâce à la perception de loyers, vont permettre de faire entrer régulièrement des espèces sonnantes et trébuchantes dans les caisses des princes de Chiang-Maï, qui en avaient grand besoin.

 

Keaw Nawarat, (1862-1910-1939) le 9ème et dernier souverain de Chiang-Maï, le demi-frère de SAR la princesse Dara Ratsami créa une entreprise pour la gestion de ce marché. Deux mille cinq cents actions seront alors mises en vente. Une partie d’entre elles seront achetées par la ‘’Anusarn Parteners Ship‘’.

 

Plus les années passent et plus le couple Chutima, contribue à sa manière à l’essor et au développement de Chiang-Maï. Pour ces actions en faveur de Chiang-Maï (Le Roi, le Bouddhisme et la Nation) Naï Sunhee Chutima se voit décerner le 27 janvier 1910, le titre de ‘’Khun‘’ par le roi Chulalongkorn dit Rama V.

 

Naï Sunhee Chutima devenait alors Khun Anusarn (ขุนอนุสสรณ์). La mort ayant emporté le roi Rama V avant la remise officielle de cette distinction, ce sera son fils et successeur Vajiravudh dit Rama VI qui la lui fera remettre quatre mois plus tard avec une charge de conseiller municipal et provincial. Cette double fonction consistait à veiller sur le bien-être de la population et au ‘’bon comportement‘’ des fonctionnaires de Bangkok vis-à-vis d’elle ?!

 

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Photo 1 : Une sortie solennelle du prince Intawarorot Suriyawong, le 8è Chao Luang de Chiang-Maï (1859-1897-1910) (Ce Chao régna de 1897 à 1910 mais il ne reçut l’investiture de Bangkok qu’en 1901). Lors de cette sortie, il est accompagné de fonctionnaires locaux portant insignes et décorations, qui indiquent leur rang, ainsi que quelques objets de culte. (Photo de Luang Anusarn)

Photo 2 : Une scène telle qu’on pouvait en voir dans les années 1910 au Kad Luang appelé aussi talat Warorot. (Photo de Luang Anusarn)

Photo 3 : Une autre scène du Kad Luang appelé aussi talat Warorot, montrant la grande activité de cet endroit à cette époque. (Photo de Luang Anusarn)

 

A Bangkok, un an plutôt en 1909, le richissime Naï Lert Sreeshthaputa (*) révolutionne le transport en commun, dont il détenait déjà le quasi-monopole. Anticipant sur l’avenir il remplace ses chevaux en chair et en os par des chevaux vapeur. Conséquemment les calèches cèdent la rue aux bus qui vont connaître un énorme succès, et faire qu’en 1933 Bangkok sera desservi par un réseau de transport en commun satisfaisant toutes les bourses et répondant aux besoins des habitants.

 

(*) Naï Lert Sreeshthaputa (นาย เลิศ เศรษฐบุตร) (1872-1945) était le fils d’une famille chinoise au service du roi Chulalongkorn dit Rama V. Ce garçon, après quelques années d’études à l’école Suan Ananta (สวนอนันต์), puis Suan Sunanthalaï (สวนสุนันทาลัย) et un acquis de la langue anglaise, au lieu de suivre la voie de ses parents, très jeune se fait engager comme commis dans différentes compagnies liées au commerce. Il va jusqu’à travailler au sein de la ‘’Windsor Trade Compagny‘’ sans être payé, dans le seul espoir d’être engagé ?!... Ce qui ne se fera pas !...

En 1894, à 22 ans, il ouvre son premier et grand magasin, le ‘’Naï Lert Store‘’ un magasin de sept étages, dont la spécialité est de vendre des produits importés d’Europe et de Singapour, (*) qui sont introuvables chez ses concurrents. Cependant, bien que son commerce fût prospère, le jeune homme connut des hauts et des bas, dont la ruine. Mais, loin de se décourager, il finit par se retrouver à la tête d’une entreprise florissante que le titre de Phraya Bhakdi Noraset (พระยาภักดีนรเศรษฐ์) ou Phraya Phakdi Noraset, remis par le Roi Chulalongkorn courant 1907, fut comme le couronnement de sa carrière dont l’itinéraire cependant, était loin d’être terminé.

 

(*) Naï Lert fut engagé 3 ans par la ‘’Singapore Strait Compagny‘’ future ‘’Fraser & Neave‘’ une compagnie anglaise de Singapour, commercialisant des boissons non alcoolisées. A sa demande, cette compagnie l’envoya travailler durant un an dans sa maison mère de Singapour. Durant ce séjour il se constitua un carnet d’adresses, et s’initia aux méthodes de ventes occidentales.

 

Fondateur de la première fabrique de blocs de glace à Bangkok, (*) des blocs qu’il faisait livrer dans toute la ville, et importateur d’alcool, il avait aussi acquis une écurie de calèches ou ‘’rotma‘’ (รถม้า), c’est-à-dire des véhicules tirés par des chevaux de couleur blanche et conduites par des cochets en tenue blanche. Ces véhicules hippomobiles étaient alors loués à l’heure, 75 satangs pour ceux d’une place et 1 baht pour ceux de deux. C’était la naissance, avant l’heure, des premiers taxis.

 

(*) Au Siam, le commun des mortels n’avait jamais vu de glace et n’imaginait même pas que l’eau puisse ‘’durcir‘’. En thaï le glaçon se traduite par ‘’eau dure‘’ (น้ำแข็ง). Les blocs de glace étaient auparavant importés de Singapour et arrivaient par bateau à Bangkok.

 

Trois ans après l’avènement du Roi Vajiravudh dit Rama VI, en 1913 Naï Lert fait construire ses propres voitures. Il acquiert d’abord, venant d’Angleterre, des châssis conçus pour recevoir trois roues, une roue à l’avant et deux roues à l’arrière. Sur ces châssis il fait monter des voitures en bois de teck, qu’il a fait fabriquer à Shanghai, selon ses plans, et qui étaient équipées sur leur longueur de deux banquettes parallèles. Jusqu’à 10 passagers, au total, pouvaient prendre place dans ces voitures qui furent peintes en blanc, tirées elles-aussi par des chevaux de couleur blanche aux ordres de cochets en vêtements blancs. Comme le bruit de ces équipages, d’après les indigènes, n’était pas sans évoquer le stridulement des grands criquets, la population les baptisa ‘’aïkrogn‘’ (อ้ายโกร่ง) c’est-à-dire ‘’grand criquet‘’ ou ‘’djignkrogn‘’ (จิ้งโกร่ง), un autre nom de cet insecte. Les plus conformistes se contentèrent de les appeler ‘’Rotme Naï Lert‘’ ou ‘’Rotme Blanc Naï Lert‘’ (รถเมล์นายเลิศ - รถเมล์ขาวนายเลิศ).

 

En France ce type de véhicule de couleur blanche ?! ... pour ceux appartenant à la compagnie de la Dame Blanche ?! ... que dirigea  le pionnier et empereur des transports urbains Nantais puis Parisiens, Stanislas Baudry (1777-1830) reçut le nom d'omnibus par ce dernier, car l'arrêt principal de sa toute première ligne était situé tout près du magasin d'un chapelier nommé ... ''OMNES'' ?! ... le latin fera le reste !...

 

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En 1828, soit 85 ans avant que le ‘’grand criquet‘’ de Naï Lert, il existait en France des châssis pour trois roues portant des voitures pour voyageurs. Ce type de véhicule, inventé par Robert Besnier du Chaussais portait le nom ‘’d’omnibus-tricycle‘’. Besnier pensait alors qu’avec un trois roues il payerait moins de taxe qu’avec un quatre roues ?! … 

La présente gravure du lithographe Denis Auguste Marie Raffet (1804-1860) représente un ‘’omnibus-tricycle‘’. (Source : musée Carnavalet – histoire de Paris – Réf. G.17155)

 

Dix ans plus tard, en 1920, Naï Lert va importer des cars d’Europe (*) qui seront eux-aussi peints en blancs et conduits par un équipage d’hommes en blanc.

 

(*) La marque Fiat revient souvent concernant ces bus importés d’Europe. Il doit s’agir des autobus Fiat 15 ter construits entre 1913 et 1922 et pesant 4 tonnes, à moins qu’il s’agisse de l’autobus Fiat 18 BL construit entre 1914 et 1921 mais qui lui, pesait quelques 7 tonnes ?!...

 

Très vite, Naï Lert fut imité par un autre opérateur : ‘’Piras bus‘’, et en 65 ans de 1910 à 1975, 26 opérateurs, totalisant 3.773 bus se partageront le marché des transports en commun de la ville de Bangkok.

 

Entre 1973 et 1975 l’inflation obligera les opérateurs à augmenter le prix de leurs billets, laissant ainsi les plus pauvres sur le bord des routes sans pouvoir user du moindre transport.

 

Le premier ministre d’alors, qui ne l’aura été que durant un an, (*) Kukrit Pramoj, décida de créer un service de bus gratuit pour les plus pauvres. Cette compagnie de transport à but non lucratif la ‘’Mahanakhon Transport Compagny Limited‘’ sera créé en Octobre 1975 en regroupant en son sein toutes les compagnies privées de bus, existantes. Un an plus tard cette compagnie deviendra la BMTA c’est-à-dire la ‘’Bangkok Mass Transit Authority‘’.

 

(*) Kukrit Pramoj (กฤทธิ์ ปราโมช) (1911-1995) a été premier ministre du 4 mars 1975 au 20 avril 1976.

 

 

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Photo 1 : Une des calèches ou ‘’rotma‘’ (รถม้า) (Véhicule tiré par des chevaux) qui en l’absence de chevaux se transformera en ‘’Rotmet‘’ devant l’une des écuries de Naï Lert.

Photo 2 : Le portrait de Naï Lert Sreeshthaputa (นาย เลิศ เศรษฐบุตร) (1872-1945) 

Photo 3 : L’un des tout premier bus blanc de Naï Lert. Cette ligne emblématique reliait Phra Khanong au pont Yot Se ou Kasatsuek (พระโขนง – สะพานยศเส ou กษัตริย์ศึก)

 

A Chiang-Maï, à vouloir tout vendre et répondre à tous les besoins de ses clients, le ‘’Chua Yong Seng‘’ (ชัวย่งเส็ง) devint très vite trop petit et de ce fait le couple Chutima chercha à s’agrandir mais, pour s’agrandir, et construire un nouveau magasin encore fallait-il trouver un terrain, et si possible rue Tha Phae car, depuis 1906 la rue, grâce à un pont en bois de teck enjambant la Mae Ping, se prolongeait au-delà de la rive Est en direction de San Kamphaeng.

 

C’est alors qu’une occasion unique se présente à eux. Derrière leur magasin un grand terrain, appartenant tout à la fois à la famille Khun Sri Buri (ขุน ศรีบุรี) Bulyalert (บุญยเลิศ) ainsi qu’à des marchands de bois birmans, est à vendre. Mais curieusement aucun acheteur ne cherche à l’acquérir, car les lieux, d’après le qu’en-dira-t-on du voisinage, seraient peuplés d’esprits maléfiques. L’origine de cette rumeur se rattachait à la mort du propriétaire qui ruiné, empoisonna sa famille et se pendit.

 

Faisant fi des préjugés et des éventuelles malédictions, Naï Sunhee Chutima et son épouse achètent ce terrain, et un bon prix puisque personne n’en voulait.

 

Alors entre 1921 et 1923, ce qui correspond toujours à la deuxième période architecturale de Chiang-Mai, celle associée à l’arrivée des missionnaires, Khun Anusarn entreprend la construction d’un deuxième bâtiment, prêt de la Mae Ping, et rue Tha Phae. Il s’agit du Teuk Deng (ตึกแดง) (*) ou bâtiment rouge, consacré cette fois encore au commerce mais … de grand prestige et destiné à sa fille Nang Kimhaw (นางกิมฮ้อ).

 

(*) Le mot Teuk (ตึก) sert à désigner un bâtiment, un immeuble et dans le cas présent une construction en briques assez conséquente, et en tout cas pas en bois.

 

La particularité de ce nouvel ouvrage, c’est qu’au premier étage destiné à l’habitation, avec un matériel importé tout spécialement du Royaume-Uni il a été créé une salle de bain avec baignoire et douche, et un cabinet de toilette équipé d’un système à chasse d’eau ; sous la terrasse une fosse septique a été installée. Des lanternes à paraffine et des lampes à pétrole font aussi parti des nouveautés équipant cet étage voué à l’habitation. Toutes ces innovations en font la résidence la plus moderne de la ville d’autant que Khun Anusarn va même jusqu’à mettre au point un système automatique d’ouverture et de fermeture des ventilations.

 

Ce bâtiment, fut en son temps, le premier grand magasin moderne en dehors de Chiang-Mai intra-muros. Il est devenu à l’heure actuelle, car il existe toujours, une galerie d’art et occupe un linéaire qui va du 26 au 44 de la rue Tha Phae, juste en face du Wat Upakut.

 

 

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Le deuxième magasin construit par et sur les instructions de Khun Anusarn (Naï Sunhee Chutima), en face du Wat Upakut, devenu aujourd’hui une galerie d’art.

 

Cette montée au firmament de la réussite du couple Khun Anusarn (Naï Sunhee Chutima), n’a pas été sans susciter des commentaires, dont des plus farfelues. C’est ainsi qu’on racontait dans le … ‘’landerneau‘’ de Chiang-Mai que Khun Anusarn (Naï Sunhee Chutima) serait l’un des heureux bénéficiaires des largesses d’un certain Phra Upakut.

 

Ce ‘’racontar‘’ sur fond de légende est devenu, auprès d’une population croyant encore aux esprits et aux choses de l’au-delà, une telle certitude qu’il a souvent été répété à l’ethnologue Gehan Wijeyewardene (*) lors de son passage à Chiang-Maï. Il y était précisément venu pour étudier les us et coutumes et enquêter auprès de la population.

 

Pour rapporter ces témoignages au sujet de Luang Anusarn, Wijeyewardene a fait paraître courant 1992, un texte qui peut se résumer comme suit, sans que ce chercheur soit trahi.

 

‘’L’histoire de Luang Anusarn est un phénomène culturel et historique à Chiang-Maï‘’ … Cet homme était un entrepreneur et un philanthrope très riche qui, non seulement a posé les bases d’un vaste empire financier, avec comme pièce maîtresse le principal marché de Chiang-Maï, mais est entré dans le folklore local de manière incroyable. 

 

Le futur Luang Anusarn, parti de Chine, avait rejoint Chiang-Maï par voie terrestre, et à pied ; il gagna sa vie comme colporteur dans les rues de Chiang-Maï, et en les parcourant il a eu la chance, comme le raconte une légende, d’être le premier, un soir de la pleine lune du neuvième mois (Bouddhique), à avoir fait une offrande à Phra Upakut qui passait par-là. Ce geste a été le début de sa brillante carrière.

 

Puis l’histoire de Luang Anusarn se termine en précisant que son bâton de colporteur, incrusté de bijoux, a été déposé dans l’Ubosot du Wat Upakut.

 

Nota : Nous sommes allés dans l’Ubosot en question, que nous conseillons d’aller visiter, car il est devenu une merveille, tant intérieurement qu’extérieurement, mais … nous n’y avons pas vu ce fameux bâton ?! ….

 

(*) Le docteur Gehan Eardly Thomas Wijeyewardene (1932-2000), est originaire de Ceylan. Il est né dans une famille protestante de la haute société qui lui donna une solide éducation à l’anglaise et le destinait à la médecine. Lui s’engagea dans la voie des arts, ce qui le conduisit à l’anthropologie et l’ethnologie dont il deviendra l’un des éminents chercheurs et plus particulièrement un pionnier concernant ses études au sujet de la Thaïlande. 

 

Quelques mots sur Phra Upakut :

 

Ce Phra Upakut était un moine de la forêt, un Sarvātivādin que la tradition lie à la pluie, à l’abondance des récoltes, au commerce et … à la richesse.  Il jouit d’une grande popularité en Birmanie, surtout auprès des shans, et dans le nord de la Thaïlande, c’est-à-dire le Lanna et le Laos.

 

Dans les temps anciens Upakut aurait été un disciple de Bouddha, voire son fils, mais sa légende et l’histoire de sa ‘’vraie‘’ vie constituent un tel nœud gordien qu’il est impossible de démêler le vrai du faux. Toujours est-il qu’on raconte que le saint homme, le soir de la pleine lune du neuvième mois de l’année bouddhiste, ou du calendrier du Lanna, parcourt les rues de Chiang-Maï pour y recevoir l’aumône ; et que le premier quidam à lui faire une offrande voit, au bout d’un certain temps la fortune lui sourire et forcer sa porte. Il se manifesterait sous l’aspect d’un tout jeune moine, voire d’un novice.

 

Pour nombre de personnes, il est certain que Khun Anusarn a été l’un de ces élus de la pleine lune du neuvième mois ; d’autant que, sans doute en gage de remerciements (?) la famille Chutima n’est pas la dernière à s’engager quand il s’agit de subvenir à l’entretien et au bon fonctionnement du Wat Upakut (*) situé, comme par hasard ?!... juste en face de la ‘’maison de commerce de la firme ‘’Chua Yong Seng‘’ de la rue Tha Phae, devenue aujourd’hui une galerie d’art.

 

(*) Dans le rapport de témoignages de Gehan Wijeyewardene il est question d’une fondation gérée par Luang Anusarn. Il nous a été dit que cette fondation n’existait pas mais que la famille Anusarn contribue bien aux besoins du Wat Upakut. Elle aurait même, selon une autre source, donné des terres au wat.

 

Par contre ce que ne nous a pas dit notre interlocuteur, sans doute par modestie, Khun Somyot Nimmanhaemin c’est qu’il était le président de la fondation Bouddhique de Chiang-Maï.

 

Pour conclure ce passage consacré à Phra Upakut, et pour que le lecteur ne se fasse pas trop d’illusions, il faut savoir que la rencontre avec Phra Upakut est liée aux mérites acquis, c’est-à-dire à l’accumulation des bonnes actions. Autrement écrit, plus vous avez de mérites et plus vous avez de chance de le rencontrer. Mais dans le cas contraire n’y comptez surtout pas ?! …

 

Les prodigalités des époux Khun Anusarn envers le Wat Upakut leur ont valu d’avoir leur portrait, (*) peint par Naï Bunpan Phongpradit sur les murs intérieurs du Viharn. Comme Khun Anusarn est à droite en entrant et Nang Kamthieng à gauche, les deux époux se font … presque face, sinon pour l’éternité, du moins pour de nombreuses années encore.

 

(*) Il est très rare que des donateurs ayant participé au coût d’une construction vouée au culte bouddhique aient leur portrait sur les murs intérieurs de la bâtisse. Lorsque c’est le cas, ces philanthropes ont été plus que généreux, et sont représentés au sein des fresques, ou à part d’elles comme c’est le cas pour les époux Anusarn. Car il semblerait que les époux Anusarn aient entièrement financé la construction du Viharn du Wat Upakut dont les embellissements depuis cette époque ne cessent de se succéder ; et je ne parle pas du nouvel Ubosot qui vaut le déplacement, tant pour l’extérieur de la bâtisse, que pour l’intérieur. (Bis repetita – Je sais, mais cela vaut le déplacement).

 

Dans la partie de sa thèse, consacrée au ‘’financement des peintures bouddhiques dans les monastères de la province de Chiang-Maï‘’, (t) Sébastien Tayac n’a relevé que quatre temples, sur les 871 qu’il a visités, où sont représentés des mécènes. Il s’agit du Wat Upakut, (วัดอุปคุต) du Wat Phan On, (วัดพันอ้น) du Wat Tha Kradat (วัดท่ากระดาษ) avec le portrait d’Anatole-Roger Peltier (1945-2018) et de la sala du Wat Ton Kaeo. (วัดต้นแก้ว).

 

(t) Cette thèse en trois volumes est un remarquable travail dont je me sers souvent, car Sébastien Tayac m’a permis de pouvoir la posséder. Pour ceux qui seraient intéressés, il est possible de la consulter à L’EFEO de Chiang-Mai.

 

En tout cas, ces fresques sont caractéristiques du début de la modernité au Lanna puisqu’elles ont été peintes entre 1927 et 1933. Elles sont donc … à protéger des affres du temps ?! … car elles sont les témoins d’une époque remontant à presqu’un siècle … déjà !...

 

Par ailleurs, l’auteur de ces peintures murales, Naï Bunpan Phongpradit (นายบุญปั๋น พงษ์ปะดิษฐ์) (1895-1977) mérite que quelques lignes lui soient consacrées.

 

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Les fresques de Naï Bunpan Phongpradit :

 

L’un des thèmes favoris des artistes peintres du Lanna est la dernière vie de Bouddha. Ce récit populaire ou jataka s’intitule : ‘’Wessandorn le prince Charitable‘’. Naï Bunpan n’échappe pas à cette tradition picturale mais, contrairement à ses confrères, il transpose ce conte en faisant du Lanna le cadre du récit, tout en gardant aux personnages leurs spécificités indiennes. L’association de ces deux conceptions ne manque ni de charme ni de réalisme.

 

Wessandorn est un prince Indien qui a tout donné par amour pour autrui, conformément à l’engagement qu’il a pris auprès du Dieu Indra. Alors avec sa famille, au sein d’un ermitage, il vit dans le plus grand dénuement ; Néanmoins, il lui reste encore la possibilité de faire don de ses enfants, de sa femme et de sa personne si le dieu Indra lui demandait.

Les scènes qui vont suivre, mettent en scène le processus imaginé par le dieu Indra pour savoir jusqu’où peut aller l’abnégation du prince. Cette fois c’est un certain Jujok ou Chuchok qui vient demander au prince de lui donner ses enfants ?! …

 

Photo 1 : Au Chapitre V, Chuchok, un riche brahmane a fort affaire avec son épouse Amittada qui lui réclame des esclaves pour lui épargner les tâches du quotidien. Chuchok, tout à la fois avare et cupide a alors l’idée d’aller demander au prince Wessandorn, de lui faire don de ses enfants. 

Photo 2 : Au chapitre VI, Chuchok est arrêté par les chiens du Chasseur Chetabut dont la tâche est de ne laisser personne approcher le prince. Le chasseur agit sur l’ordre du père du prince qui tente de protéger son fils de sa folie, celle de tout donner aux autres et à Indra. Chuchok, aussi menteur que cupide va réussir à convaincre le chasseur de le laisser passer.

Photo 3 : Au chapitre VIII, Chuchok est arrivé à l’ermitage et demande au prince de lui faire le don de ses deux enfants.

 

Nota bene : A remarquer que le nom des scènes est écrit tout à la fois en Kham Muang, la langue du Nord, et en Siamois, la langue du Sud, malgré l’interdit de 1913 de Rama VI.  

 

Naï Bunpan Phongpradit dit ‘’L’artiste aux capsules de bière‘’ :

 

Ce sobriquet lui a été donné parce qu’au lieu de se servir d’une palette pour préparer ses couleurs Naï Bunpan préférait utiliser des capsules de bouteilles de bière, lesquelles pouvaient atteindre la centaine lorsqu’il peignait certains tableaux.

 

Avec tout le respect que je dois à cet homme il semblerait qu’il ait été durant son enfance un sale gosse, mais au bon sens du terme. Car c’était sa curiosité et son besoin de s’ouvrir au monde qui le conduisaient à n’en faire qu’à sa tête.

  

Très jeune il montra des aptitudes pour la peinture. Mais dès qu’il entra dans la vie professionnelle il enchaîna toutes sortes de métiers qui n’avaient rien à voir avec l’art. Il exerça successivement les emplois d’Inspecteur des écoles, de policier, d’employé à la British Bornéo Cie, et même d’agriculteur ce qui lui valut une distinction gouvernementale.

 

Il fut aussi le responsable des métiers à tisser de SAR la princesse Dara Ratsami dont il épousa la cousine Chao Chamrat Na Chiang-Maï, en secondes noces.

 

Sa carrière de peintre, commence vraiment à l’âge de 32 ans, en 1927, lorsque Luang Anusarn lui confie la tâche de peindre sur les murs du Viharn du Wat Upakut, la dernière vie de Bouddha.

 

En réalisant chacune de ses fresques Naï Bunpan va rendre à Bouddha ses traits caractérisant son origine Indienne et le faire évoluer dans des décors tels qu’on les trouve au Lanna.

 

Lorsque sa mission sera terminée et qu’il trempera pour la dernière fois son pinceau dans une capsule de bière, outre les compliments de son commanditaire, Naï Bunpan recevra la somme de 450 roupies et … verra arriver des commandes auxquelles il ne s’attendait pas.

 

Upakut est imprévisible ! … Si Upakut y est pour quelque chose, bien sûr ?! …

 

Alors, victime de son talent et de son succès, pendant une trentaine d’années, il va aller peindre de Wat en Wat. Puis l’âge va le contraindre à rester en sa demeure. Mais comme il a pris goût à la peinture il va continuer d’exercer son art, tant pour le plaisir de peindre que pour mettre sur toile un Lanna cher à son cœur.

 

En 1962, il est alors âgé de 67 ans, sa vie artistique va prendre un tour nouveau. Kraïsrï Nimmanhaemin, (1912-1992) le petit fils de son premier mécène, Luang Anusarn, lui commande trois toiles ayant chacune un thème différent : Une maison Lanna, une embarcation sur la Mae Ping et des éléphants au travail, bref ! de la routine artistique mais aussi des sujets qui lui vont droit au cœur.

 

A leur achèvement les trois œuvres suscitèrent un tel enthousiasme que les commandes, une fois encore, affluèrent de tous les côtés. D’après les dires de son ami le professeur et poète Mani Payomyong (มณี พยอมยงค์) (1930-2009) Naï Bunpan aurait réalisé plus de mille toiles avant de rendre son dernier souffle. Aujourd’hui, certaines de ces œuvres seraient exposées dans des musés du monde entier, des musées Allemands, Coréens, Etats-Uniens, Français et bien d’autres encore.

 

 

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Le Viharn du Wat Upakut tel qu’il se présente aujourd’hui en 2020. (Photo du 12 aout 2018)

 

 

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Photo 1 : Le portrait de Nang Kamthieng tel qu’il figure sur le mur gauche, en entrant par l’entrée principale, du Viharn du Wat Upakut. (Photo du 12 août 2018)

Photo 2 : Le Viharn du Wat Upakut Lanna tel qu’il se présentait du temps de l’existence des deux Wats Upakut, voisin l’un de l’autre, le Wat Upakut Birman et le Wat Upakut Lanna à qui l’on donnera aussi le nom de Wat Upakut Lanna Thaï. (Photo de Luang Anusarn)

Photo 3 : Le portrait de Luang Anusarn tel qu’il est peint sur le mur de droite, en entrant par l’entrée principale, du Viharn du Wat Upakut. (Photo du 12 août 2018) 

 

 

En 1912 un certainTanaka, photographe de son état, s’installe à Chiang-Mai.

 

Le photographe Morinosuke Tanaka (田中 カ 子) (1875-1963) ou Tanaka (ทานาคา) tout autant au service de la photographie qu’à celui de son gouvernement, a baigné dès son plus jeune âge dans l’univers de la photo.

 

Son père possédait un magasin de photos (*) dans la ville de Tenmonkon (île de Kyushu au Japon). De ce fait, vers 18 ans, voire plus tôt, il devint l’assistant de son père. Puis en 1896, il a alors 21 ans, il décide, au grand étonnement de ses proches, de partir pour Taiwan.

 

(*) L’Italien, et photographe Felice Beato (1832-1909) resta 20 ans au Japon (1863-1884) après avoir couvert les guerres en Inde (1858), et en Chine (1860). Au Japon son travail connaîtra un certain succès, d’une part parce qu’il a mis au point une technique réduisant le temps d’exposition pour prendre une photo, et d’autre part parce qu’il produira les premières photographies coloriées à la main. Après son départ du Japon cet infatigable bourlingueur et reporter de guerre, naturalisé Britannique en 1850, s’installera en Birmanie. A Rangoun il ouvrira un studio photos et à Mandalay un magasin de souvenirs. Il retournera s’éteindre dans son Italie natale.

 

Taiwan sera le départ d’une série de voyages, dont le dernier, en 1902, se terminera à Bangkok. Il paraîtrait que quelques passionnés d’histoires et … d’espionnages chercheraient à percer le mystère de ces six années de déplacements pour le moins énigmatiques ?! …

 

Toujours est-il qu’en 1902, à Bangkok, Tanaka va œuvrer avec l’un des grands photographes d’alors, l’allemand Robert Lenz (ร้านโรเบิร์ต เลนส์) (1864-1939) ; lequel est installé à Bangkok depuis 1894. Le roi Rama V comptait parmi sa clientèle.

 

Après trois ans chez Lenz, il rejoint un compatriote, possédant un studio photos depuis 1895, un certain Kaishu Isonaga, (1860-1925) qu’il quittera deux ans plus tard, en 1907 pour se rendre au japon. Là-bas, il ira rendre visite à sa famille … pour la forme diront certaines gens, puis, pour différentes raisons dont celle d’acheter du matériel photographique gagnera Tokyo.

 

Dans cette ville il tombera d’abord gravement malade, puis amoureux d’une infirmière qu’il épousera en juin 1907. Sa femme mettra au monde un enfant qu’il ne connaîtra jamais, car il naîtra un mois après son départ pour Bangkok, en janvier 1908 ; et il décèdera à la suite d’un accident de chemin de fer en 1954 à l’âge de 46 ans alors qu’il s’apprêtait à rejoindre en Thaïlande un père qu’il n’avait jamais vu. (Tanaka serait toujours resté en contact avec sa famille japonaise et aurait même régulièrement subvenu à ses besoins financiers.).

 

Dès son arrivée à Bangkok, en 1908 donc, Tanaka retourne chez son confrère Isonaga, mais il n’y restera que peu de temps car le prince de Lampang le sollicite pour qu’il vienne s’installer dans sa ville. Tanaka répond favorablement à la demande et va ouvrir dans le centre-ville de Lampang le ‘’magasin Tanaka - photos‘’ (ร้านทานากะถ่ายรูป).

 

Malgré la prospérité de son commerce, Tanaka ne restera que trois ans à Lampang, car un docteur de la mission presbytérienne, exerçant alors à Lampang et qui par la suite rejoindra l’équipe médicale de l’hôpital McCormick, Edwin Charles Cort (1908-1949) (ดร. เอ็ดวิน ชารลส์ คอร์ท) l’aurait convaincu qu’à Chiang-Mai son entreprise serait plus florissante ?! …

 

De ce fait, vers 1912, faute d’un moyen de transport adequate, Tanaka enfourche un cheval et avec armes et bagages arrive ainsi jusqu’au village de Ban Wat Ket ; et là, il va ouvrir son premier studio de photos, à l’enseigne de : ‘’Magasin de Photos de Chiang-Mai‘’ (ร้านเชียงใหม่ถ่ายรูป).

 

Deux ans plus tard, en 1914, et toujours à Ban Wat ket, Tanaka fonde une seconde famille en épousant Nang Thongdi Pin’yo, (นางสาวทองดี ภิญโญ) une femme originaire de Lamphun.

 

Comme ses affaires marchent plutôt bien, Morinosuke Tanaka se rend propriétaire d’un terrain à bâtir en bordure de la route de Lamphun, tout à côté de l’église presbytérienne, de Daniel McGilvary. Sur ce lieu, il fait construire un habitat et contigüe à cette demeure un magasin d’un étage, pour exercer sa profession. Ingénieusement, à l’arrière de son magasin, Tanaka crée une salle de prises de vues privilégiant l’arrivée de la lumière du soleil venant du Nord, car les professionnels vous diront que c’est la meilleure des lumières pour réaliser des portraits.

 

Le studio Tanaka, très vite, deviendra le second studio de photographies de Chiang-Maï mais sans jamais réussir, malgré tout son talent à détrôner le studio ‘’Chua Yong Seng‘’ (ชัวย่งเส็ง) de Khun Anusarn, ex Sunhee Chutima.

 

Au fil des ans, en 1915, Tanaka et son épouse deviendront les parents d’une petite fille, Nang Kham Pun (นางคำปุ่น) ou Cheiko (チェイコ) de son prénom Japonais. Deux ans plus tard le couple divorce. L’épouse retournera à Lamphun où elle refera sa vie avec un habitant de cette ville, et Tanaka gardera leur fille qui, quelques années plus tard, épousera l’assistant de son père Morinosuke Tanaka. Cet assistant, un certain Naï Shojo Hatano (นายโซโจ ฮาตาโน) était originaire d’Hirochima au Japon.

 

Le couple, Cheiko et Hatano, reprendra l’entreprise de Morinosuke Tanaka à son décès alors qu’il avait 86 ans, et non 88 comme l’indique sa pierre tombale près du Wat That Satoï (วัดท่าสะต๋อย) non loin du Wat Ket Karam.

 

A noter : Comme je l’écrivais au tout début de ce chapitre, Morinosuke Tanaka était tout autant au service de la photographie qu’à celui de son gouvernement. C’est ce qui explique, sans doute (?), que lors de la deuxième guerre mondiale (1940-1945) Morinosuke Tanaka fut de 1942 à 1945, le maire de Chiang-Maï ?! ….

 

Dans l’une des biographies de Morinosuke Tanaka, j’ai lu qu’il aurait ouvert à Chiang-Mai, la première salle de cinéma ; et que cette dernière aurait fermé ses portes à cause de la concurrence du cinéma Seng Tawan (โรงหนังแสงตะวัน) ; un cinéma situé au carrefour des rues Changkhlan et Loï Khro ?! poursuit l’auteur.

 

Je ne sais pas où cet auteur est allé chercher ces/ses sources mais la première salle de cinéma de Chiang-Maï, le Pattanakarn, (พัฒนาการ) une salle dont les murs étaient en bois et la toiture recouverte de tôles en zinc, s’est ouverte en 1923. Elle avait été bâtie au début du marché de nuit, (*) là où s’élevait, il y a encore peu de temps, un mur d’escalade détruit par un éclair, lors d’un violent orage. C’était une salle propre à la communauté chinoise Haw.

 

(*) Ce que nous appelons aujourd’hui ‘’le marché de nuit‘’, était à l’époque occupé par des communautés d’origines diverses venant vendre leurs produits de fabrication locale. La zone autour du cinéma Pattanakarn regroupait les Haw (Ho - Hor) c’est-à-dire des commerçants chinois musulmans appartenant aux caravanes reliant Dali à Chiang-Mai et Moulmein, qui commerçaient traditionnellement en cet endroit. Ces Haw et quelques autres communautés comme les Indo-Pakistanais sont donc à l’origine du fameux ‘’Night Bazar‘’.

Par la suite, ces caravaniers de la première heure, les Haw, seront rejoints par des compatriotes fuyant les communistes de Mao Tsé-toung. Pour renforcer leurs liens communautaires, très tôt, ils ont construit des bâtiments pour se réunir entre eux, comme une mosquée, qui est toujours là, et ce cinéma dont les ‘’films‘’ n’intéressaient que ceux pour qui ils étaient ‘’tournés‘’ et projetés. Car il s’est d’abord agi, pour la plupart des films, d’une ‘’production‘’ très aléatoire d’amateurs Haw et non de professionnels.

 

Quant au cinéma Saeng Tawan (โรงหนังแสงตะวัน) il n’est pas situé au carrefour des rues Changkhlan et Loï Khro, mais Chang Klan et Sri Donchaï.

 

Il fut la propriété, comme d’autres cinémas, de Chao Chai Suriwongse Na Chiang-Mai (เจ้าชายสุริยวงศ์ ณ นครเชียงใหม่) (1913-2004), un prince et artiste qui n’avait d’intérêts que pour l’imprimerie, l’hôtellerie et le cinéma. Ce dernier confia la réalisation de cette salle à l’architecte Chulathat Kitibud ou Jullat Kitibud (จุลทัศน์ กิติบุตร) né en 1944.

 

Le saeng Tawan accueillit ses premiers spectateurs en 1978, soit 55 ans après l’ouverture du Pattanakorn, (พัฒนาการ), considéré comme le premier cinéma de Chiang-Mai, et que notre auteur, situe dans le temps, peu après la création du cinéma de Morinosuke Tanaka ?! …

 

Bref, si le cinéma de Morinosuke Tanaka a vraiment existé, encore faudrait-il en avoir des preuves, et, de toute façon, le ‘’Saeng Tawan‘’, compte tenu de tous les cinémas qui se sont créés entre temps, n’a été pour rien dans la fermeture de ce soi-disant cinéma de Tanaka.

 

Cependant, si l’existence du cinéma de Morinosuke Tanaka reste à prouver, par contre celle du ‘’Saeng Tawan‘’ ne l’est pas, car il est toujours debout mais … dans un bien triste état ! ...

 

Ce cinéma est un véritable témoin de son époque ; peut-être qu’en lui redonnant une seconde vie et son éclat d’antan pourrait-il redynamiser un quartier qui semble en avoir grand besoin depuis que la vie nocturne s’est déplacée dans le Nord-Ouest du côté de la rue ‘’Nimmahemin‘’ ?!...

 

Le petit plus : Prane Sirithorn (ปราณี ศิริธร) a publié "บุกเบิกแห่งเชียงใหม่‘’ (Le pionnier de Chiang Mai), en 2523 (1980). Le pionnier n’est autre que Luang Anusarn Sunthorn.

Sakda Siriphan (ศักดา ศิริพันธุ์) est lui, l’auteur de : "วิวัฒนาการการถ่ายภาพในประเทศไทย‘’(L’évolution de la photographie en Thaïlande) (1992)

 

 

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Photo 1 : Un portrait du photographe Morinosuke Tanaka (田中 カ 子) (1875-1963) (Photo d’un auteur inconnu)

Photo 2 : Le deuxième magasin du photographe Tanaka. Il était en bordure de la Mae Ping, tout à côté de l’église presbytérienne. (Photo de 1928 - Auteur inconnu)

Photo 3 :  Vraisemblablement Naï Shojo Hatano, l’assistant de Tanaka et son épouse, Nang Kham Pun, la fille de Tanaka. Ils sont en contre-bas de leur magasin en ayant les pieds dans l’eau de la Mae ping. En comparant avec la photo de gauche, la façade, sur laquelle on peut lire :  en anglais : Photographer et en Siamois : Tanaka photographe (ทานาคา ช่างถ่ายรูป) semble avoir subi de légères modifications.

 

En 1913 le roi Vajiravudh dit Rama VI qui sera à l’origine du nationalisme Thaï, impose aux enseignants de donner leurs cours en siamois et leur interdit l’emploi du Kham Muang, la langue usuelle du Lanna. Un an plus tard, en 1914 il répond favorablement à la demande de SAR la princesse Dara Ratsami de rentrer définitivement à Chiang-Maï.

 

C’est vers cette époque, 1912/1913 que les chinois ne vont plus porter de tresse.

 

Deux ou trois ans plus tard, vers l’âge de cinquante ans, Khun Anusarn prend une seconde épouse, (*) Nang Anocha Suwannarangsee (นางอโนชา สุวรรณรังษี). Elle était un peu plus jeune que l’aîné de son premier lit, Nang Kimhaw Chutima (นางกิมฮ้อ ชุติมา), et la fille du chef de village de Ban Kham Luang (บ้านคำหลวง), près de Lamphun.

 

C’était auprès de ce chef de village que Khun Anusarn allait embaucher les hommes dont il avait besoin pour constituer les équipages de ses convois de Scorpions, qui faisaient la navette entre Chiang-Mai et Bangkok.

 

(*) Les mœurs de l’époque permettaient aux hommes d’avoir plusieurs épouses. Ainsi le roi Chulalongkhorn dit Rama V, eut 92 épouses. Trente-six d’entre elles lui donnèrent 77 enfants. Par contre son fils Vajiravudh dit Rama VI, plus attiré par les hommes que par les femmes, en eut successivement quatre pour tenter d’avoir une descendance. Les trois premières se révélèrent stériles et la dernière mit au monde une fille quelques heures après sa mort. Vajiravudh ne connut donc pas sa fille.

 

Alors au sein de la famille, Nang Kamthieng Chutima, ou Nang Anusarn continua à gérer, de conserve avec son mari, les affaires familiales, tandis qu’Anocha Suwannarangsee s’attacha au bien être des membres de la famille et mit au monde cinq enfants, quatre garçons et une fille. (*)

 

(*) Les enfants de Nang Anucha et de Naï Sunhee Chutima portaient les noms suivants : 1/ Naï Sa-ngat Banjongslip Chutima (นายสงัด บรรจงศิลป์ ชุติมา) (*) - 2/ Naï Cheua Anusarn Sunthorn Chutima (นายเชื้อ อนุสารสุนทร ชุติมา) - 3/ Nang Sao Krongthong Chutima (นางสาวกรองทอง ชุติมา) - 4/ Naï Phiwat Chutima (นายพิวัฒน์ ชุติมา) - 5/ Naï ChatChawan Chutima (นายชัชวาล ชุติมา)

 

(*) En compagnie de quatre autres personnes dont son cousin germain Kraïsri Nimmanhaemin, Sa-ngat Banjongslip Chutima, journaliste et romancier, fonda le 1er janvier 1953, le premier journal de Chiang-Mai le ‘’journal Khon Muang‘’ (หนังสือพิมพ์คนเมือง) et en juillet 1954, le premier mensuel de Chiang-Maï ‘’ (ฉบับดำหัว). Tout s’arrêta après 22 ans d’activité ; mais ils furent dans leur domaine des pionniers de la presse locale.

 

A la fratrie du premier lit qui comptait deux enfants, Nang Kimhaw et Naï Yong Chutima (ชุติมา) vint s’ajouter celle du second lit, dans laquelle il y avait cinq enfants.

 

Nang Kimhaw Chutima en épousant son cousin Naï Ki Nimmanhaemin donnera naissance à la lignée des Nimmanhaemin.

 

Naï Yong Chutima avec ses demi-frères vont donner naissance aux lignées des Chutima.

 

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Photo 1 : Représentation graphique de l’arbre généalogique concernant la descendance de Luang Anusarn en deux lignées ; la lignée Nimmanhaemin descendant de Kimhaw la fille de Luang Anusarn et de Nang Kamthieng, et les lignées des Chutima dont l’une descend du docteur Yong le fils de Luang Anusarn et de Nang Kamthieng et les autres des enfants de Luang Anusarn et de Nang Anucha Suwannarangsee.

Photo 2 : Mise en couleurs d’une carte de Chiang-Mai datant de 1913. Le rond rouge signalé ‘’campement de McGilvary‘’ indique le lieu où McGilvary s’installa provisoirement après son débarquement à Chiang-Mai en 1867, année lors de laquelle naquit Luang Anusarn du côté de Lamphun.

 

Le 22 Juillet 1917, Vajiravudh dit Rama VI, se met du côté des alliés et déclare la guerre à l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, alors que son état-major pro-Allemand lui conseillait le contraire ; puis il lance une souscription pour financer le départ de 1284 volontaires mis sous le commandement du général Phya Pijaijarnrit (พระยาพิไชยชาญฤทธิ์).

 

Le 21 septembre 1919, 1.264 d’entre eux rentreront au Siam sains et saufs, les cendres de 19 autres seront réunies dans un Ku, place Sanam Luang à Bangkok, tandis que celles du sergent Major Charem Pirod (จ่านายสิบ เจริญ พิรอด) seront déposées dans un ku (Mémorial) s’élevant dans la cour de l’Hôtel de police de Den Chaï (เด่นชัย).

 

En cette année 1917 un riche commerçant de Bangkok originaire du Chaozhou, et de … ‘’passage‘’ à Chiang-Maï, Naï Ti Yong Sae Tae (นายตี่หย่ง แซ่แต้) (*) (Yi Ko Hong - ยี่กอฮง) appelé aussi Hong Ton Trakun techa Wanit (ฮง ต้นตระกูล เตชะวณิช) après avoir consulté, et s’être mis d’accord avec Naï Sunhee Chutima, Naï Hiao Hok Sae Hègn (นายเอียวฮก แซ่เฮง) et Naï Ouïe Sae Lieaw (นายอุ่ย แซ่เหลี่ยว), tous des commerçants ayant pignon sur rue, fait un don pour acquérir un terrain rue Charoen Rat près du Wat Ket afin d’y créer une école Chinoise de langue Chaozhou, la ‘’Hua Hua school‘’. Ce sera la première école Chinoise de Chiang-Maï et de langue Chaozhou (Teochiu).

 

(*) Le nom de Sae Tae n’est pas sans évoquer des Origines Teochiu. Et le second nom de cet homme n’est pas sans rappeler que sous Rama II certains Teochiu ont fui Bangkok et changé de nom, comme les ancêtres de Sunhee Chutima. Par contre d’autres, comme les ancêtres de cet homme sont restés à Bangkok mais … en changeant de nom ?! … et, dans le cas de son père seraient retournés en Chine pour ensuite revenir à Bangkok.

 

Bref s’il est certain que cet homme était d’origine Teochiu, il est difficile de connaître son parcourt exact avant son installation à Chiang-Mai. Car Yi Ko Hong (1851-1936) après avoir vécu quelque temps à Bangkok est venu s’établir quatorze ans durant à Chiang-Mai où il aurait épousé Nang Chian Kitfueangfu la fille du plus riche Chinois de Chiang-Mai. Ce n’était donc pas un inconnu à Chiang-Maï, loin de là, même en y revenant à l’âge de 66 ans et en homme très puissant.

 

Yi Ko Hong était un leader de triade, et a été vingt ans durant fermier (ayant la charge d’un département fiscal) du gouvernement pour la loterie et les jeux ce qui lui a permis d’accumuler une fortune colossale. Lorsque que le 1er avril 1916 le roi Vajiravudh dit Rama VI interdit la loterie des 36 lettres, une loterie qui utilisait les 36 lettres de l’alphabet, la fortune de Yi Ko Hong était faite depuis longtemps et c’est peut-être ce qui l’a conduit à ‘’repasser‘’ à Chiang-Mai en 1917 ?! …  pour de multiples raisons. La Chine bougeait beaucoup à cette époque et un certain Sun Yat-Sen (1866-1925), un ami de Yi Ko Hong, tenait le haut de l’actualité.

 

Toujours est-il que Yi Ko Hong est aussi connu sous le nom de Cheng Chih-Yung, qu’il a été anobli par Rama VI sous le nom de Phra Anuwat Ratchaniyom (พระ อนุวัติราชนิยม) et que ce même Rama VI qui adorait donner des noms de famille, comme cela se faisait en Occident, lui donna en 1918, celui de ‘’Techawanich‘’, Hong techawanich, (ฮง เตชะวณิช).

 

A noter que Yi Ko Hong possédait un passeport … Français et qu’il était un protégé français pour s’être inscrit le 3 mai 1896, pour des raisons trop longues à expliquer, et comme grand nombre de chefs de triades au consulat général de France.

 

En raison de son succès l’école va devenir trop petite, alors Sunhee Chutima (*) négociera auprès d’un certain Naï Phae Po (นายแป๊ะป๊อ) qui donnera un terrain sur Chang Klan road, une aire où se trouve aujourd’hui le marché de nuit. Suite à ce don Sunhee Chutima et ses deux confrères collecteront des fonds auprès des Chinois ce qui permettra la construction d’une grande et belle école. Quelques années plus tard, entre 1937/1941, cette école Chinoise sera obligée de fermer ses portes car le nationalisme, tel un vent dévastateur soufflait alors sur tout le royaume, comme en de nombreux pays à cette époque.

 

(*) Il est à noter que Sunhee Chutima donna à ses petits-enfants une éducation en siamois et en anglais, non en Teochiu ou en mandarin. Ainsi, alors qu’il était à Bangkok, Nang Kamthieng fut démarchée par Chua Chin Sae, un enseignant de l’école Hua pour qu’elle inscrive ses petits-enfants en son école. A son retour, l’apprenant, Sunhee Chutima se serait fâché car il entendait que ses petits enfants fréquentent l’école Anusarnbamrung Wittaya et utilisent la langue Thaïe centrale (Siamois), conformément à ses idées d’intégrations. Il a donc aidé à l’édification d’une école chinoise tout en militant pour l’intégration. 

 

Toujours en 1917, tandis que SAR la princesse Dara Ratsami est à Bangkok pour un court séjour, Mae Chao Thiphanet (แม่เจ้าทิพเนตร) (1859-1917) (2402-2460), l’épouse d’Intrawarorot Suriyawong, le 8ème et avant dernier roi de Chiang-Maï décède le 13 mars 1918 à l’âge de 58 ans.

 

Son fils unique, Chao Lao Keaw (เจ้าเลาแก้ว) décide d’organiser des obsèques Royales au double sens du terme, alors qu’il n’a pas un sou. A défaut de pouvoir financer les funérailles de sa mère, il demande alors à son oncle Chao Keaw Nawarat (เจ้าแก้วนวรัฐ), alors le 9ème et dernier souverain de Chiang-Maï, d’emprunter la somme nécessaire à Khun Anusarn Sunthorn et en contrepartie d’hypothéquer le marché de Warorot. Un ‘’marché‘’ se conclut entre les deux hommes.

 

Mais le moment venu, Chao Keaw Nawarat n’est pas en mesure de rembourser le prêt que lui avait fait Khun Anusarn Sunthorn.

 

Ce sera SAR la princesse Dara Ratsami qui, à son retour de Bangkok sauvera la situation en sollicitant auprès de Rama VI un emprunt de 250.000 bahts. Avec cet argent, qui lui sera versé par le ministère au Trésor, elle remboursera le prêteur, Khun Anusarn Sunthorn, et deviendra propriétaire du talat Warorot.

 

De ce fait, elle va améliorer les conditions d’accueil du marché en faisant recouvrir le sol au moyen de briques, et construire des abris qui vont permettre le stockage et la protection des marchandises. Alors ce marché qui ne fonctionnait que le matin avec les fruits et légumes, va aussi se tenir en après-midi avec la vente d’articles non périssables comme, par exemple des vêtements.

 

Comme il y aura des bénéfices, ces derniers seront partagés en huit parts. Les six premières sont affectées à l’entretien et au bon fonctionnement du Wat du Doï Suthep ; la septième est versée au budget de l’école de filles que patronne son SAR la princesse Dara Ratsami, et la dernière part revient à la famille royale.

 

Par la suite les héritiers de la princesse, la famille ‘’Na Chiang-Maï‘’ créeront une société commerciale, la ‘’Chiang-Mai commerciale compagnie‘’ (บริษัทเชียงใหม่พาณิชย์) et mettront à sa direction Arthur Lionel Queripel, (*) un ancien directeur de la Bombay Burmah Corporation de 1900 à 1914.

 

(*) Arthur Lionel Queripel (1878-1947) (นายคิวริเปิล) ou ‘’Uncle Q‘’. Cet homme d’origine anglaise, parlant couramment le Kham Muang, était le propriétaire de la maison colonial se trouvant dans le musée des maisons du Lanna. Cette demeure, construite en 1922 d’après les plans de l’architecte birman Mong Tun s’élevait sur un terrain de 16 hectares où vivaient en toute liberté, Vaches, buffles et chèvres, et où Queripel cultivait des fleurs et des fruits dont … des fraises. Il aurait été celui qui aurait introduit la fraise au Lanna et en Thaïlande. A l’occasion de Chaque nouvel ans il en offrait, parait-il, à l’un des ministres d’alors Luang Praditmanutham (หลวงประดิษฐ์มนูธรรม) appelé aussi Pridi Banomyong (ปรีดี พนมยงค์) ainsi qu’au roi Rama VII qui, lors de sa visite à Chiang-Mai en 1927, a tenu à visiter son domaine. Ses descendants furent expropriés en 1963 en raison du rattachement de la propriété à l’Université naissante. 

 

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Photo 1 : Nang Kamthieng au côté de Nang Anocha Suwannarangsee (นางอโนชา สุวรรณรังษี), la deuxième épouse de Luang Anusarn et ses trois aînés. A gauche le second, Naï Cheua Anusarn Sunthorn, au centre la plus jeune Nang Sao Krongthong Chutima et à droite l’aîné Naï Sa-ngat Banjongslip. (Photo de Luang Anusarn)

Photo 2 : Cette charmante demeure coloniale, un peu à l’écart de la ville est celle qu’Arthur Lionel Queripel fit construire par l’architecte Birman Mong Tun. Elle est la seule maison qui s’élève au sein du musée des anciennes maisons du Lanna qui n’ait pas été démontée pour être remontée ! … (Photo du 16 janvier 2014)

Photo 3 : Mae Chao Thiphanet Na Chiang-Maï (แม่เจ้าทิพเนตร ณ เชียงใหม่) (1859-1917) (2402-2460), l’épouse officielle de Chao Inthawarorot Suriyawong (เจ้าอินทวโรรสสุริยวงศ์), (1859-1910) le 8ème et avant dernier Chao de Chiang-Maï (1901-1910). Elle était la mère d’un fils unique Chao Lao Keaw (เจ้าเลาแก้ว) ou Chao Leaw Keaw, (1877-1944) qui n’a eu ni demi-frère et ni demi-sœur, né des huit autres épouses de son père.

Mae Chao Thiphanet Na Chiang-Maï, décédée à l’âge de 58 ans, était la fille de Chao Mahotaraphrathet (เจ้ามโหตรประเทศ) (? -1854) appelé aussi Chao Mahawong (เจ้ามหาวงศ์). Ce père fut le 5ème Chao de Chiang-Maï (1847-1854) et l’arrière-grand-père de Dara Ratsami. (Photo d’un auteur inconnu)

 

 

Parallèlement aux affaires profanes, en 1920 une affaire religieuse va défrayer les conversations. C’est l’affaire Phra Sri Vichaï.

 

Bien avant 1920 déjà, le sangha (*) de la province de Lamphun avait fort à faire avec un certain Phra Sri Vichaï (พระศรีวิไชย) (1878-1938) ; un moine que ses ouailles portaient aux nues, mais dont le charisme faisait beaucoup trop d’ombre à ses confrères.

 

(*) Le sangha sert à désigner la communauté des moines bouddhistes.

 

D’un côté, Phra Sri Vichaï entendait vivre son sacerdoce comme il l’avait toujours vécu, c’est-à-dire selon la tradition propre au Lanna, à savoir en étudiant des textes en pali et en utilisant comme langue d’usage le Kham Muang, tandis que de l’autre côté les moines de sa province, observaient les réformes préconisées par Bangkok, ce qui les avait conduits à étudier des textes en Siamois, au détriment du pali, et à adopter la langue siamoise. (*)

 

(*) Avant l’avènement du roi Chulalongkorn dit Rama V, lorsqu’il existait une école c’était au sein d’un Wat, et l’enseignement qui s’y donnait se résumait le plus souvent à l’apprentissage de la langue palie et à l’initiation au Dharma (enseignement religieux). En 1870, ce Roi fonde dans son palais une école pour l’éducation des princes ; quelques temps plus tard, l’anglais y sera enseigné par Francis George Patterson. Très vite le français, les mathématiques, l’histoire et la géographie de l’Europe intégreront son enseignement. Patterson aura parmi ses meilleurs élèves le prince Damrong Rajanubhab (พระยาดำรงราชานุภาพ) (1862-1943) futur grand ministre et le prince Wachirayan, (พระยาวชิรญาณ) (1868-1921) futur Sangharaja, celui-là même qui rencontrera Phra Kruba Sri Vichaï.

 

Rama V, freiné dans ses réformes par la ‘’vieille garde‘’, hostile à tout ce qui venaient d’ailleurs, a besoin d’une élite formée aux idées nouvelles. C’est pourquoi, courant 1884, il confie aux Princes Damrong et Wachirayan la charge de mettre en place un enseignement primaire ouvert à tous ses sujets, riches ou pauvres. Les moyens financiers faisant défaut, ces princes décident de fonder ces premières écoles dans les Wats royaux, (*) et de substituer au programme traditionnel un enseignement de style occidental. Des moines attachés à ces Wats royaux, et ayant reçu une formation adéquate en siamois, sont alors chargés de l’enseignement.

 

(*) En Thaïlande il existe cinq types de Wats, dont les Wats royaux qui sont financés par le roi. Il était donc difficile aux supérieurs de ces Wats de se soustraire aux demandes royales.

 

Les moines du Lanna, très attachés à leurs traditions sont d’abord hostiles à ces réformes (*) qui se font en siamois au détriment du Kham Muang et, du Pali. Puis avec le temps, les mentalités changent, parce que les promotions … hiérarchiques, entre autres les ‘’gratifications‘’, que peu d’homme dédaigne, se décident à Bangkok ?!...

 

(*) En 1912 il fut créé un nouveau programme d’études concernant le Dharma, lequel n’exigeait pas un apprentissage préalable du pali et s’enseignait en langue du Sud, c’est-à-dire en langue Thaïe. 

 

Alors qui faisait siennes des nouvelles règles, bénéficiaient des ‘’avantages‘’ qu’elles procuraient et, qui les refusait était condamné à rester dans l’ombre de Bouddha. Phra Kruba Sri Vichaï préféra modestement l’ombre aux avancements hiérarchiques.

 

Mais le fait d’adopter une pratique différente de la pratique traditionnelle va non seulement perturber les moines au sein du Sangha mais aussi, et surtout les fidèles ?! … Lesquels vont se tourner en grand nombre vers Phra Sri Vichaï et du même coup, tourner le dos aux moines favorables à Bangkok. De là va naître le rejet de Phra Sri Vichaï par sa communauté, sans doute peu fière de ce qu’elle était devenue, et par ailleurs victime, vraisemblablement, d’une baisse de ses ressources financières en raison de la désertion de ses fidèles ?! ….

 

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Quelques photos concernant Phra Kruba Sri Vichai :

 

Photo 1 : Il n’y a pas un temple au Lanna, qui n’ait pas une image de Phra Kruba Sri Vichaï quelque part. Le Wat Phra Singh l’honore tout particulièrement parce qu’il a contribué à sa rénovation lors des années 1924 – 25 et 26 et au-delà. Le bâtiment dans lequel il se retirait pour méditer a été conservé. (Photo du 12 mai 2013)

Lorsque Phra Sri Vichaï résidait au Wat Phra Singh il était fréquent d’y croiser Khun Anusarn en compagnie de sa fille Nang Kimhaw. A l’occasion de cette rénovation Khun Anusarn fit don de quelques raï au Wat.

Luang Anusarn finança aussi la construction du deuxième Hot Traï (*) ou Hot Darma (หอธรรม) appelé aussi Ho Traï Kruba Chao Sri Vichaï du Wat Phra Singh. Il s’agissait alors de protéger des manuscrits sur feuilles de palmier. La construction de ce Hot Traï aurait commencé le 10 Aout 1926 et il aurait été rénové le 19 mai 2001.

(*) Le Hot Traï est une bibliothèque. Le Hot Traï en question se situe à cent mètres environ derrière le Hot Traï principal à droite du Viharn.

Photo 2 : Cette photo prise en Avril 1935, montre Phra Kruba Sri Vichaï, debout sous un parasol lors de la construction de la route qui conduit au Wat du Doï Suthep. Le charisme de cet homme était tel qu’il réussit à rassembler chaque jour, entre 4 et 5.000 fidèles pour déboiser, défricher, dynamiter et empierrer cette route qui aujourd’hui porte son nom. Comme les travaux ont duré 5 mois et 22 jours, du 9 novembre 1934 à 10 heures au 30 avril 1935, jour de l’inauguration, cela signifie que plus de 800.000 personnes y ont pris part. (Photo d’un auteur inconnu)

Photo 3 : Cette photo date de 1920. Elle montre Phra Kruba Sri Vichaï alors âgé d’environ 42 ans, prisonnier dans sa cellule du Wat Sri Donchaï. (Photo de Morinosuke Tanaka).

 

A plusieurs reprises déjà, les chefs du Sangha de Lamphun avaient cherché, mais en vain, à faire défroquer Phra Sri Vichaï. D’échec en échec, ces derniers montèrent cette fois, un dossier avec huit chefs d’accusation et pour la seconde fois portèrent l’affaire devant le patriarche suprême du sangha, le Sangharaja (*) siégeant au Wat Bowonniwet à Bangkok.

 

Avec le contenu de leur requête ils étaient quasiment certains que Phra Sri Vichaï serait convoqué et condamné à quitter les ordres pour toujours.

 

(*) Le Sangharaja était alors, et encore maintenant, le patriarche suprême de la communauté des moines du Siam et du Lanna ; un Lanna encore vassal du Siam. Le Sangharaja, le dixième de l’ère Rattanakosin, était alors le prince Wachirayan (พระยาวชิรญาณ) l’un des deux brillants élèves de l’anglais Francis George Patterson.

Le prince Wachirayan était le demi-frère du Roi Rama V, lequel lui avait demandé de se préparer à la dignité de Sangharaja. Mais, lorsque décéda, beaucoup plus tôt que prévu, le 9è Sangharaja, Rama V s’abstint de nommer son demi-frère à cette dignité ; non pas parce qu’il n’en avait pas les capacités, bien au contraire, mais parce que sa jeunesse, il avait alors une trentaine d’années, risquait de mettre en ébullition la ‘’vieille garde‘’ des conservateurs. Alors pour cette seule et unique raison le siège de Sangharaja resta vacant une dizaine d’années.

 

Emporté prématurément par la maladie, Rama V de son vivant n’aura pas pu mettre à exécution nombre de ses projets à cause, précisément, des conservateurs qu’il devait ménager. Alors ce sera son fils, Vajiravudh dit Rama VI qui nommera son oncle, âgé seulement d’une quarantaine d’années, au siège de patriarche suprême.

Le prince Wachirayan parlait couramment, en plus du siamois, le pali, le sanscrit, l’anglais et le Français ; c’était un homme très au fait de la situation politique en plus des questions religieuses.

 

Le nom du prince Wachirayana se trouve aussi écrit Vajirananavarorasa, et en tant que Sangharaja il était appelé : Somdej Phra Maha Som Chao Somdej Krom Phraya Wachirayannawarorot (สมเด็จพระมหาสมณเจ้า กรมพระยาวชิรญาณวโรรส). Entre autres noms il y a encore celui de Phra Manụsyanagamanob (พระองค์เจ้ามนุษยนาคมานพ มนุสฺสนาโค) (1860-1911-1921).

 

Dans l’attente de sa convocation, Phra Sri Vichaï était retenu prisonnier au Wat Pa Kluai, (วัดป่ากล้วย) aujourd’hui le Wat Sri Donchaï (วัด ศรีดอนไชย) où il resta trois mois et huit jours. Ses conditions de détention, mijotés par ses confrères, ne pouvaient être que le pire du pire, ce qui aurait été le cas ; car d’après certains dires même un chien ne serait pas allé nicher là où il était incarcéré

 

Loin de passer inaperçue, son arrestation mobilisa les foules. Et des personnalités comme Khun Anusarn et Phaya Kam (*) qui avaient de l’estime, voire de l’amitié pour cet homme, veillèrent à rendre plus humaines les conditions de son incarcération. C’est pourquoi la prison aurait été ‘’bricolée‘’ pour que Phra Sri Vichaï souffre le moins possible des intempéries. Mais ils ne pouvaient faire guère plus, car Sri Vichaï était le prisonnier des religieux et non des civils qui alors, n’avaient pas leur mot à dire.

 

(*) Phaya Kham ou Phaya Kamwichitthurat (พญาคำวิจิตรธุระราษฎร์) (1852-1938) (2395-2481) était le chef du village de Ban Hom (บ้านฮ่อม). Il avait étudié le droit et était entré au service des souverains du Lanna. Cet homme d’origine Hmong et fortuné fut nommé "Krom Na" (กรมนา) sous le règne du roi Rama V. C’était donc une personnalité très importante et très respectée dans Chiang-Maï. L’une de ses grandes réalisations a concerné la communauté paysanne. Car il mit en place un système d’irrigation en faisant construire un barrage sur la Mae Ping à la hauteur de Ban Tha Sala (บ้านท่าศาลา) et percer un fossé de 5 mètres de large menant les eaux de la Mae Ping pratiquement jusqu’à Lamphun, irrigant ainsi une grande surface de terres.

 

Néanmoins, Khun Anusarn, au titre de sa fonction de conseiller municipal et provincial adressa à Bangkok et à la demande de Bangkok, un rapport qui blanchissait Phra Sri Vichaï ; et chaque matin Khun Anusarn au guidon de son tricycle, (*) allait déposer quelques aliments dans le bol à aumônes ou bat (บาตร) du saint homme tandis qu’il méditait en position de Samadith, l’esprit libre et dégagé de toute contrainte matérielle. (Végétarien Phra Sri Vichaï ne prenait qu’un repas par jour).

 

(*) Khun Anusarn fut le premier individu de Chiang-Maï, à posséder un tricycle et à rouler à tricycle. Comme ce trois roues fit sensation il en vendit un très grand nombre car il en fut … le premier … ‘’importateur‘’ … à Chiang-Maï.

 

 

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Photo 1 : Phra Kruba Sri Vichaï (Photo de Luang Anusarn)

Photo 2 : Le tricycle que Khun Anusarn fut le premier à introduire à Chiang-Maï. C’est aussi ce tricycle qu’il enfourchait chaque jour pour apporter quelques légumes à Phra Sri Vichaï, retenu prisonnier au sein du Wat Sri Don Chaï.

 

A Bangkok, on ne saura jamais ce que les deux hommes se sont dits. Mais le Sangharaja comprit que Phra Sri Vichaï n’était pas un chantre de la dissidence et qu’il continuerait, envers et contre tous, à rester fidèle au pali et aux traditions du Lanna, pour suivre au mieux l’enseignement de Bouddha ; quant à Phra Sri Vichaï, il fut d’avis que le Lanna et le Siam devaient faire cause commune pour que ‘’son‘’ Lanna échappe aux appétits occidentaux. (*)

 

(*) Ce n’est peut-être pas par hasard si Phra Kruba Sri Vichaï fut à l’origine de la rénovation de plus de cent temples ?! … Un moyen comme un autre -peut-être – pour donner un coup d’arrêt aux conversions chrétiennes ?! ...

 

Bref, aucune sanction ne fut prononcée contre Phra Sri Vichaï, (*) mais d’après Khun Somyot notre interlocuteur, il lui aurait été rapporté que le Sangharaja aurait demandé, comme une faveur et non un ordre, à Phra Sri Vichaï, qui lisait et écrivait le pâlit le Kham Muang et maîtrisait quelques langues tribales comme le Méo le Yao et le Karen, de bien vouloir apprendre à lire et écrire … le Siamois ?! … ce que Phra Kruba Sri Vichaï aurait, paraît-il, fait dès son retour ?! ...

 

Cet apprentissage ‘’tardif‘’ du Siamois, commun à Luang Anusarn et à Phra Sri Vichaï, mais à des époques différentes, aurait été l’une des causes qui auraient renforcé la bonne intelligence entre les deux hommes. 

   

(*) Pour clore cet événement sur quelques notes plus légères, il convient de rapporter que le 12 aout 1920 le roi Rama VI aurait rencontré Phra Sri Vichaï ; et qu’un journaliste ayant eu vent de ‘’l’affaire Sri Vichaï‘’ en rendit compte dans son journal en prenant fait et cause pour Phra Sri Vichaï. De ce fait, ce qui devait rester une affaire locale prit un tour national en faveur de Phra Sri Vichaï, ce qui déconsidéra ses détracteurs, lesquels, loin de déposer les armes continuèrent à le harceler ?! …. Mais leurs mesquineries et leurs persécutions finiront par profiter au saint homme, car ses fidèles, pour lui marquer leur attachement et leur dévotion le qualifièrent de ‘’Kruba‘’, Phra Kruba Sri Vichaï.

Phra Kruba Sri Vichaï est aujourd’hui considéré comme le grand Saint patron du Lanna, il a son effigie dans la plupart des temples du Lanna, y compris ceux de Lamphun. Un grand monument au départ de la route du Wat du Doï Suthep, lui est dédié pour son action concernant la construction de cette route ?!.... Bref !... Les marques de considération et d’estime ne manquent pas, ce que n’ont pas ses détracteurs dont tout le monde a oublié les noms ?! …

 

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Dans l’une des pièces de la première maison construite par Naï Sunhee Chutima il y a une œuvre dont l’auteur n’est autre que Naï Bunpan Phongpradit. Il s’agit d’une fresque, d’une hauteur d’environ 1,5 mètre, qui s’étend, à partir de la base du plafond, sur tout le pourtour des murs. Cette peinture murale se compose d’une suite de tableaux rappelant quelques-uns des épisodes qui marquèrent l’existence de Naï Sunhee Chutima qui, sans eux, ne serait jamais devenu le richissime philanthrope Luang Anusarn.

 

Cette fresque est comme un testament qui semble vouloir dire aux générations futures, ce qu’un certain Jean de La Fontaine écrivait déjà en son temps : ‘’Travaillez, prenez de la peine : C’est le fonds qui manque le moins ‘, et, ‘’De leur montrer avant sa mort Que le travail est un trésor ‘’. (Livre V – fable IX)

 

Photo 1 : Pour aller de Chiang-Maï à Bangkok, et vice-versa, la Mae Ping donnait souvent du fil à retordre aux équipages des Scorpions. Le scorpion en premier plan porte un drapeau rouge avec un éléphant blanc, marque du roi rama VI, alors que celui de gauche est visiblement anglais.

Photo 2 : Un convoi d’éléphants comme il en existait tant à cette époque.

Photo 3 : Pour aller de Dali à Moulmein via Chiang-Maï, et vice-versa, les sentiers n’étaient pas toujours aussi tranquilles et aussi sereins.

 

En 1921 le Chemin de fer arrive à Chiang-Mai. (*) Par voie de conséquence, l’activité maritime diminue et la fermeture du port fluvial de Wat Ket n’est plus qu’une question de mois. Car toutes les sociétés commerciales qui auparavant utilisaient les scorpions adoptent, et sans le moindre regret, bien au contraire, le train. Car c’est un moyen de transport plus fiable, moins pénible, plus régulier, grâce auquel les prix ont baissé, et surtout, capable de transiter ce qui naguère était intransportable en scorpions.

 

(*) Le chemin de fer arriva à Chiang-Mai en 1921, mais la gare ne rentrera en fonction que le 22 janvier 1922.

 

Luang Anusarn met à profit cette nouvelle possibilité et va dorénavant proposer à ses clients du gros matériel comme des machines agricoles, des pompes, et des moulins à riz entre autres gros matériels.

 

Une autre conséquence, et non des moindres c’est la diminution des échanges commerciaux avec Moulmein, une ville Birmane sous domination anglaise ; ce qui signifie pour les Britanniques une perte de leur l’influence à Chiang-Maï et ses environs.

 

Notons qu’avec l’arrivée du train les scorpions, qui ne présentaient alors plus aucun intérêt, furent abandonnés et disparurent, pour la plupart victimes de la pourriture et du délabrement, mais … sans qu’on sache où ?!...

 

En 1923 outre l’ouverture du premier cinéma dont nous avons déjà parlé, le ‘’Pattanakarn‘’ et dont aujourd’hui il ne reste plus rien, ou presque, dans la mémoire collective, d’autres ouvertures se sont faites plus discrètes mais se sont inscrites durablement dans le temps.

 

Ce fut le cas de la toute première école de filles, celle que fonda Sophia Bradley McGilvary en 1875, avec seulement sept ou huit élèves. Comme ses effectifs augmentèrent, des institutrices furent demandées aux presbytériens de Bangkok ; et pour permettre à tout ce petit monde d’étudier dans de bonnes conditions, le Chao Luang Inthawichayanon, le 7ème Chao de Chiang-Mai, donna des terres et du teck. Alors en 1879 une école s’éleva, et s’élève toujours, là où se dresse encore aujourd’hui, comme défiant le temps, sur le bord de la Mae Ping, la première église de Chiang-Mai.

 

Durant cette période l’école s’appela tout d’abord ‘’école de filles de Chiang-Maï‘’ (Chiang Mai Girls'School) (โรงเรียนผู้หญิง), puis suite à la visite de la princesse Dara Ratsami en 1909, déjà marraine de l’établissement, il lui fut demandé que son nom soit accolé à celui de l’école. Son illustre mari, le Roi Chulalongkorn trancha pour ‘’Ecole de filles Prarachaya‘’ (Prarachaya Girl’s School) (โรงเรียนพระราชาย).

 

Puis victime de son succès, une fois encore, l’école compta plus d’élèves qu’elle ne pouvait en accueillir, alors Madame Julia A. Hatch, la directrice d’alors, fit prendre la décision par son conseil d’Administration de construire de nouveaux locaux.

 

Suite à cette décision, dès 1921, 57 raï (9 hectares 12) furent achetés dans le district de Nong Seng (หนองเส้ง) tout près de l’Hôpital McCormick et le projet d’élever deux bâtiments, l’un pour y aménager des salles de classes et l’autre un dortoir, fut confié à l’architecte Paul A. Reichel. Les travaux prirent fin après deux ans.

 

C’est donc en 1923 que s’ouvrit la nouvelle ‘’Prarachaya‘’ plus connu aujourd’hui sous le nom de ‘’Dara Académy‘’ ou ‘’Rongriane Dara Withaya Laï‘’ (โรงเรียน ดาราวิทยาลัย) dont Mlle Julia A. Hatch fut la première directrice tandis que sa collègue Mlle Lucy Niblock prenait la direction de l’école restée sur le bord de la Mae Ping. Les demandes d’autorisation pour qu’il en soit ainsi furent adressées en avril et mai 1924 et acceptées en juin 1924.

 

La ‘’Dara Academy‘’ dont le professeur Sawat Kiratiipal (คุณครู สวาท กีรติปาล) créa le célèbre logo, s’étend aujourd’hui sur plus de 77 Raï (12 hectares 32) et donne un enseignement à plus de 7.000 élèves. Comme il est loin le temps où ils n’étaient que … sept ou huit élèves ?! …

 

 

L’hôpital McCormick s’inscrivit aussi dans le cadre de ces ouvertures pérennes puisqu’il s’organisa pour accueillir, cette année-là, un nouveau type de patients ... des bébés. Alors tout spécialement pour eux, une nurserie a pris place parmi les autres locaux. Pour la financer un appel aux dons avait été lancé. Cette fois encore Khun Anusarn a su répondre généreusement à cet appel.

 

Le 1er janvier 1924, Khun Anusarn alors âgé de 57 ans se voit honorer du titre de Luang Anusarn Sunthorn, par le Roi Vajiravudh (วชิราวุธ) dit Rama VI (1880-1910-1925) (2423-2453-2468).

 

Ces titres sont donnés aux récipiendaires pour les remercier d’avoir soutenu le Bouddhisme et de s’être comportés en bons et loyaux sujets. C’était aussi une manière de s’assurer de leur loyauté dans le futur et d’avoir sur place, un œil attentif au sujet du comportement des fonctionnaires en place.

 

Il est vrai, avait alors souligné Khun Somyot, que Luang Anusarn a toujours été fidèle à Bangkok et qu’il a même toujours demandé, aux siens et à ses proches, de suivre son exemple, ce qui ne l’empêchait pas, poursuivit notre interlocuteur, avec un petit sourire en coin, qu’il désapprouvait Bangkok quand il donnait des terres aux étrangers.

 

Cette même année, Khun Anusarn fait construire, à l’intention de son fils, Naï Phaet Chutima aussi connu sous le nom de docteur Yong Chutima, une maison en bois de teck, la Pan-Ya ou maison Thaïe Pan-Ya (เรือนทรง ปั้นหยา).

 

Naï Phaet Yong Chutima (นายแพทย์ย่งชุติมา) (1900-1964) (2443-2507) ou le docteur Yong commença ses études de médecine à l’université de Santo Tomas à Manille ; puis il ira les poursuivre en Angleterre où il se maria. A son retour, vers 1924, le couple trouva une maison que Khun Anusarn Sunthorn et son épouse lui avaient fait construire en bordure de Chang Klan road, sur l’emplacement de l’actuel marché de nuit qui aujourd’hui porte le nom de … ‘’Marché Anusarn‘’ en mémoire de ses anciens propriétaires.

 

Après quelques années d’exercice comme médecin, Yong Chutima et son épouse se séparèrent. Cette dernière retourna en Angleterre, et le docteur ‘’descendît‘’ à Bangkok où il devint fonctionnaire au ministère de la Santé.

 

Les années passant, la maison sera donnée à l’Université de Chiang-Mai qui, en 2004, la fera reconstruire au sein de son musée des anciennes maisons du Lanna, tout à côté du centre culturel de Chiang-Mai.

 

 

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Photo 1 : La maison Pan-Ya marque un tournant dans l’architecture traditionnelle du Lanna ; car elle emprunte au style colonial tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Elle annonce la troisième période architecturale propre à Chiang-Maï, celle de 1927 à 1956. C’est pourquoi les matériaux d’assemblage traditionnelle comme les chevilles, ont disparu pour laisser place aux pointes et aux boulons … coloniaux. Cette photo montre l’une des deux pièces de cette maison. (Photo du 13 février 2013)

Photo 2 : La maison Pan-Ya se constitue d’un corps en bois de teck à base rectangulaire d’environ 10 mètres sur 15. Ce parallélépipède est recouvert d’un toit à quatre pans où il serait difficile d’installer tout au faîte un Kalae, symbole de la maison Lanna. Elle possède deux niveaux, un rez-de-chaussée qui tient lieu de débarras, voire de garage ?...  et un premier étage destiné à la vie familiale. (Photo du 12 juillet 2013)

Photo 3 : On accède au premier étage par un escalier couvert qui donne sur une terrasse abritée qui fait tout le tour du lieu de vie ; un lieu de vie qui se compose de deux pièces spacieuses et très agréables. (Photo du 13 février 2013)

 

 

Le 26 novembre 1925 (2475) à l’âge de 44 ans le roi Vajiravudh dit Rama VI décède. Malgré toute sa bonne volonté et toutes ses tentatives (*) il ne laisse aucun héritier. Alors c’est son frère cadet Somdej Chao Fa Prajadhipok Sakdidej (สมเด็จเจ้าฟ้าประชาธิปกศักดิ์เดชน์) (1893-1941) (2436-2484) qui va lui succéder sous le nom de Rama VII. Le couronnement se célèbrera le 25 février 1926.

 

(*) Rama VI était plus attiré par les hommes que par les femmes. Néanmoins par devoir royal, pour avoir une descendance, il épousera successivement quatre femmes dont seule la dernière, la princesse Phra Nang Chao Suvadhana (1906-1985) lui donnera un enfant, mais de sexe … féminin, la princesse Bejaratana Rajasuda (1925-2011) qui naîtra le 24 novembre 1925 alors que son père s’éteignait le 26 novembre 1925. Rama VI n’a jamais vu sa fille.

 

A peine vient-il de se faire couronner, que le roi Phra Pok Klao Chao Yuhua dit Rama VII (พระปกเกล้าเจ้าอยู่หัว) (1893-1941) entreprend, du 6 Janvier au 6 février 1927, (*) un voyage dans le Nord-Ouest de son royaume en compagnie de son épouse la princesse Rambai Barni Svastivatana (รำไพพรรณี สวัสดิ์วัตน์) (1904-1984). Il séjournera à Chiang-Mai du 23 au 25 janvier 1927. Un éléphanteau blanc lui sera offert en signe de bienvenue, et la rue reliant la porte Chang Phuak, à la porte Chiang-Mai recevra le nom de rue Phra Pok Klao en souvenir de cette visite royale.

 

(*) Souvent il est question pour ce voyage de l’année 1926, mais il s’agit en réalité de l’année 1927. Cette erreur est dû au décalage de trois mois qui existait à cette époque entre le calendrier grégorien et le calendrier bouddhique. Wikipédia donne bien comme date de couronnement le 25 février 1926. Comme ce voyage a été fait après le couronnement de Rama VII, il s’agit donc bien de 1927 comme nous l’écrivons, et l’avons toujours écrit.

 

1927 est aussi l’année où, pour la première fois, une banque du Sud, la ‘’Siam Commerciale Bank‘’ ou SCB, s’installe dans le Nord en ouvrant une succursale dans le quartier de Ban Ket. Le bâtiment qu’elle a loué appartenait à un certain Naï Chatri Chaimongkol (นายชาตรีชัยมงคล). En 2006, suite à la rénovation de cette ancienne construction, le prix ‘’Outstanding Conservation Building Award‘’ a été décerné à son propriétaire.

Lorsque la banque a déménagé, (*) les lieux sont restés inoccupés une bonne quinzaine d’années puis ‘’The British Council‘’ les a loués. Ce bâtiment s’élève au 198, Bumrungrai road ou Bumrun rajd road (บำรุงราษฎร์).

 

(*) Il existe dans les lieux un bâtiment en bois datant du temps de la SCB qui serait hanté par un de leur ancien employé. Celui-ci se serait tué à moto en venant travailler. Comme son esprit croit qu’il est toujours en vie, (sic.) il viendrait donc tous les matins à son travail et se manifesterait parfois au moyen de bruits insolites ?! …

 

Cette histoire amuse les occidentaux qui aujourd’hui occupent les lieux, et n’est pas sans rappeler l’achat du terrain de Naï Sunhee Chutima. Quoi qu’il en soit, personne n’ose raser ce bâtiment et la présence de ce soi-disant fantôme explique -peut-être- pourquoi la banque a déménagé, et pourquoi le bâtiment n’a pas été loué durant une quinzaine d’années ?!... D’ailleurs les nouveaux locataires ne sont pas des Thaïs mais, comme je l’indique au début de cet alinéa, des occidentaux, une espèce de gens qui ne croient en rien ou a pas grand-chose ! …

 

En cette même année, celle de 1927, à l’emplacement de l’actuel ‘’Samakkee Charity fondation‘’ rue Loï Khroh s’ouvre une deuxième école Chinoise l’école ‘’Hua Khieaw‘’ (โรงเรียนฮั่วเคี้ยว) dont le détenteur de la licence est Naï Nguan Chun Sae Tang (นายง่วนชุนแซ่ตั้ง). Cette école donnera un enseignement en Mandarin et sera destiné aux élèves sortant des écoles primaires comme l’école Hua Hua dont Naï Bunnak Chimplee (นายบุนนาค ฉิมพลีย์) est alors détenteur de la licence.

 

En 1932, suite au changement de régime politique les écoles Chinoises ne seront plus autorisées qu’à enseigner deux heures par jour. Puis comme nous l’avons déjà écrit, elles devront fermer leurs portes entre 1937/1941. 

 

 

Deux ans avant le passage de la monarchie absolue à la monarchie constitutionnelle, après soixante-deux ans d’une vie bien remplie, Nang Kamthieng, atteinte d’un cancer à la base de la langue, ferme les paupières pour la dernière fois. C’était le 24 novembre 1930 quelques jours plus tard elle fut incinérée et ses cendres reposent aujourd’hui au cimetière familial de Ban Weluwan Choeng Doï Suthep. (บ้านเวฬุวันเชิงดอยสุเทพ).

 

Pour honorer et perpétuer la mémoire de son épouse, Luang Anusarn décide alors de la construction de la ‘’bâtisse Kamthieng Narumit‘’ (ตึกคำเที่ยงนฤมิตร), qui va s’élever rue de la poste (ถนนไปรษณีย์), pour en faire une école de jeunes filles.

Le rituel pour l’édification de ce bâtiment (พิธีขึ้นบ้านใหม่แบบล้านนา) eut lieu le 3 mars 1930 sous la haute autorité de Krom Luang Phratchaburi Ratchasirinthon (*)

 

(*) Krom Luang Phratchaburi Ratchasirinthon (กรมหลวงเพชรบุรีราชสิรินทร) ex Phra Chao Phina Nang Teu Chao Phaying Wualay Yolongkorn (พระเจ้าพี่นางเธอ เจ้าฟ้าหญิงวไลยอลงกรณ์) (1884-1938), était la 43è fille de Rama V, une princesse qui consacra sa vie à l’éducation des femmes Siamoises.

 

A la fin des travaux, le 24 novembre 1932, c’est Son Altesse Royale la princesse Dara Ratsami qui inaugurait la nouvelle école, laquelle prendra le nom de : ‘’l’école Satree Kamthieng Anusarn‘’ (โรงเรียนสตรีคำเที่ยงอนุสรณ์).

 

Suite à cette inauguration, les élèves de l’école de filles de la province de Chiang-Mai, hébergées provisoirement depuis 1925 dans les locaux du Wat San Pa Koï (วัดสันป่าข่อย) intégrèrent leurs nouvelles classes.

 

Vers 1925, et peut-être un peu avant, Monseigneur René Marie Joseph Perros (1870-1952) évêque apostolique de Bangkok cherchait à acquérir un terrain à Chiang-Mai pour y construire des bâtiments, dont des écoles. Luang Anusarn (*) l’apprend et lui fait don de 20.000 m2 situés entre la rue Charoen Prathet et la Mae Ping.

 

(*) Entre 1928 et 1931, l’arrière-petit-fils de Luang Anusarn, Sirin Nimmanhaemin, le fils de Kraïsri Nimmanhaemin, étudiait au collège de l’Assomption de Bangkok.

 

Monseigneur Perros remet ce terrain à la congrégation des frères de Saint Gabriel du collège de l’Assomption de Bangkok et la charge des suites à donner pour conduire à terme un complexe destiné à la religion catholique et à l’éducation.

Une église, l’église du ‘’Sacré Cœur‘’ (1), et deux écoles ; une école primaire de filles, l’école Régina Cœli (2), et une école primaire de garçons, l’école primaire Montfort, (3) seront les trois fleurons de ce vaste projet.

 

(1) L’église du sacré Cœur sera reconstruite deux fois et deviendra la cathédrale de Chiang-Maï.

(2) L’école de filles ‘’Régina Cœli‘’ dédiée à la ‘’vierge du ciel‘’ sera confiée à l’ordre des Ursulines, un ordre qui a été fondé en 1535 par une italienne Sainte Angèle Merici (1474-1540). Les sœurs de cet ordre s’engagent dans l’aide aux plus pauvres, et dans les soins aux malades. Elles œuvrent aussi dans les domaines de l’éducation qu’ils soient scolaires ou spirituels.

(3) L’école Montfort tire son nom du nom du fondateur de la congrégation de Saint Gabriel à savoir, Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716).

 

Les deux écoles ouvriront leurs portes le 16 mars 1932.

 

En 1949 l’école primaire de garçons deviendra Collège, le collège Montfort. Parmi les personnalités ayant fréquenté le collège Montfort, signalons le Chao Wonglak Na Chiang-Maï l’héritier actuel de la dynastie Na Chiang-Maï, et Thaksin Shinawatra, un ancien premier ministre, aux côtés des quels figurent aussi de nombreux noms de sportifs et de stars du cinéma.

 

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Photo 1 : Rama VII en visite à Chiang-Mai :

La photo montre le Roi Phra Plokklao Chaoyuhua dit Rama VII portant toute son attention à un éléphanteau.

Ce petit animal vint au monde en mai 1926 au sein d’une harde appartenant à la British Bornéo, une compagnie forestière qui exploitait alors une concession dans la forêt de Fang. A sa naissance le jeune pachyderme montra quelques traits caractéristiques des albinos, alors il fut porté au rang de ‘’Chang Phuak‘’ nous dirions d’éléphant blanc c’est-à-dire d’éléphant sacré.

La ville de Chiang-Mai ne pouvait pas faire un plus beau cadeau au Roi Rama VII lors de sa visite officielle en janvier 1927.

L’enfant et sa mère ne quitteront Chiang-Mai pour Bangkok qu’en novembre 1927, le temps de leur construire une voiture ‘’Royale‘’ sur mesure avec ventilateurs, éclairage électrique, douche et même … téléphone ?! … ce dont se moqua l’éléphanteau qui, contrairement à sa mère, au moment du grand départ, refusa obstinément de monter à bord de la voiture Royale qui lui avait été construite. Faisant fi des prérogatives dont jouissait le tout jeune pachyderme, deux congénères, sans y mettre les formes, l’obligèrent à obtempérer comme s’il n’avait été qu’une vulgaire grume qu’il fallait coûte que coûte faire entrer dans un quelconque wagon ! …

Photo 2 : Ces deux bustes de Nang Kamthieng sont mis à l’honneur dans ‘’l’école Satree Kamthieng Anusarn‘’ (โรงเรียนสตรีคำเที่ยงอนุสรณ์), rue de la poste, que Luang Anusarn finança en souvenir de son épouse. Le buste de gauche trône dans la cour de récréation sur un scabellon qui s’élève au sein d’un ouvrage souvenir, et celui de droite, dans le petit musée qui a été aménagé en souvenir de Nang Kamthieng dans l’une des pièces du premier bâtiment, devenu aujourd’hui le plus ancien bâtiment de l’école.

Photo 3 : Au centre, le premier bâtiment de ‘’l’Ecole Satree Kamthieng Anusarn‘’. A droite, sous l’arbre l’ouvrage souvenir qui apparaît sous la forme d’un rond blanc, et à gauche, les nouveaux bâtiments de classes qui ont été construits après 1923.

 

En homme infatigable, en 1932 Luang Anusarn Sunthorn alors âgé de 65 ans, met en œuvre un troisième bâtiment, le Teuk Khao (ตึกขาว) ou ‘’le bâtiment blanc‘’ qu’il destine à son fils le docteur Yong Chutima.

La construction de ce bâtiment s’inscrit dans la troisième période architecturale de Chiang-Mai, celle qui va de 1927 à 1956 parce qu’elle fait appel à de nouvelles techniques dont celle du béton armé. (*)

 

(*) La technique du béton armé est apparue en occident vers les années 1880. Dès 1893 le ‘’Système Hennebique‘’ du Français François Benjamin Hennebique (1842-1921) fut incontestablement le numéro un sur le marché mondial. Les Italiens utilisèrent le dit système pour construire Bangkok mais avec l’accord de son inventeur … un Français dont Bangkok n’entretenait pas, avec la France, les meilleures relations. ?!... 

 

Ces nouvelles techniques de construction font leur apparition à Chiang-Maï grâce à l’arrivée du chemin de fer en 1921 ; car le train pouvait acheminer des matériaux comme les tiges de fer, les barres de ciment ou les sacs de ciment, qu’il était impossible, autrefois, de transporter par scorpions.

 

Donc, cette fois encore Luang Anusarn innove puisqu’il va édifier le premier bâtiment en béton armé de Chiang-Maï.

 

Le bâtiment sera plus large que les précédents, mais aussi plus haut puisqu’il comportera deux étages contrairement aux deux premières constructions qui n’en ont qu’un.

 

Des moustiquaires et des huisseries métalliques seront installées ainsi que des systèmes coupe-feu qui feront que le bâtiment respectera les normes de sécurité alors en vigueur.

 

La même année Luang Anusarn Sunthorn fait bâtir une cuisine géante pouvant préparer suffisamment de repas pour servir jusqu’à 50 convives. Cet édifice de deux niveaux était alors équipé d’un grand réservoir à eau en acier spécial. Il fut, là encore, le premier grand réservoir de Chiang-Maï.

 

En conclusion, tous ces bâtiments ont été construits avec la technologie la plus avancée et la plus innovante du moment. Et de tous ces bâtiments, seule la grande cuisine est aujourd’hui désaffectée.

 

Au fil du temps, toutes ces constructions, sont devenues la propriété des héritiers de Luang Anusarn Sunthorn, lesquels subviennent aux réparations et engagent parfois, quelques travaux d’aménagement.

 

Ce qui signifie que les nouveaux propriétaires se font un devoir de bien entretenir les bâtiments légués par leur ancêtre. Ils ont aussi à cœur de prendre grand soin du mobilier qui s’y trouve ainsi que de tous les objets qui peuplaient le quotidien de leurs aînés et qui sont devenus avec le temps des pièces de musée comme par exemple les équipements photographiques de Luang Anusarn Sunthorn.

 

Ces trois bâtiments, le tout premier en briques, le Teuk Rouge et le Teuck Blanc, ont reçu en 2013 le prix ‘’Outstanding Conservation Building Award‘’.

 

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La troisième et dernière construction de Luang Anusarn dans les années 1932. C’est une bâtisse de deux étages, élevée avec la technique du béton armé.

 

Dans les faits, Luang Anusarn aurait fait construire un quatrième bâtiment. Car comme à son habitude, Luang Anusarn avait anticipé la révolution dû à l’arrivée du chemin de fer, et fait édifier, à deux pas de la gare un entrepôt. (*)

 

(*) Un auteur a écrit que Khun Anusarn aurait en fait, non loin de la gare à San Pa Koï, acheté un entrepôt au Chao Luang Nawarat ?!.... S’agit-il du même bâtiment ou de deux bâtiments différents et distants l’un de l’autre, rien, pour le moment ne nous permet de le dire ?! …

 

Depuis 1921 donc, le train relie régulièrement Bangkok à Chiang-Maï et vice-versa ; un peu après cette date, car seul le train pouvait acheminer les véhicules dont il va être question, Luang Anusarn va créer, comme Naï Lert l’avait fait à Bangkok en 1920, la première entreprise de transport en commun de la région. Pour cela, il va importer des cars allemands qui vont faire la navette entre Chiang-Maï et Lamphun, une liaison qui sera la toute première ligne auto-routière du Nord.

 

Aujourd’hui, ces bus ont été remplacés par une flotte de songtheaws de couleur bleue dont la station se trouve à deux pas du petit pont en fer.

 

 

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Photo 1 : Cette photo d’un bus circulant à Lampang, quelques années après l’initiative de Luang Anusarn à Chiang-Maï peut donner une idée de l’aspect des bus de cette époque. (Photo d’un auteur inconnu)

Photo 2 : Ce bus est un extrait de la fresque peinte par Naï Bunpan Phongpradit dans une des pièces de la maison construite en 1827, rue Wichayanon par Sunhee Chutima (Luang Anusarn). Si le peintre s’est montré fidèle à la réalité, ce bus, en plus d’être au centre d’une œuvre artistique est aussi un document historique. (Photo du 7 octobre 2019) 

Photo 3 : En 2020 il n’y a plus de bus qui font la navette, entre Chiang-Mai et Lamphun ; toute une flotte de songtheaws bleus les a remplacés. (Photo d’octobre 2007)

 

 

Le 24 juin 1932 (2475), le parti du peuple, qui n’avait de peuple que le nom car tous les membres étaient des fils de la bourgeoisie, à la faveur d’un coup d’état, le premier d’une longue série, (il y a eu à ce jour 18 tentatives dont 12 de réussies), remplace la monarchie absolue par une monarchie constitutionnelle ; dès le 27 juin, Rama VII signera une constitution provisoire dont l’auteur, Pridi Banomyong a fait ses études de droits … en France, à Caen puis à Paris. La plupart de ces ‘’révolutionnaires‘’ s’étaient connus dans les années 1920 à Paris, où ils fondèrent en 1924 une association appelée ‘’S.I.A.M‘’ c’est-à-dire, association Siamoise Intellectuelle et d’Assistance Mutuelle. Qui aurait pensé à l’époque que les intellectuelles de cette association mettraient fin à la monarchie absolue du Siam ?! …  

 

Trois ans plus tôt, en 1929, l’infatigable et bienfaiteur Luang Anusarn fait imprimer en Kham Muang, trois mille exemplaires d’une brochure concernant le tubercule de la Pueraria mirifica ou Kwao Khrua (กวาวเครือ) ; une plante médicinale dont la racine aurait des effets thérapeutiques miraculeux d’où son nom de ‘’mirifica‘’ qui en latin signifie tout à la fois miraculeux et merveilleux.

 

La rédaction de ce manuel faisait suite à la découverte par Luang Anusarn, dans une chambre secrète d’un temple en ruine sur le site de Pagan en Birmanie, d’un manuscrit sur oles (feuilles de palmier). (*)

 

(*) Certains textes parlent de la découverte de ce manuscrit dans un temple du nord de la Thaïlande (Lanna) en cours de rénovation mais … sans autre précision, et sans même citer le nom de Luang Anusarn que certains, quand ils le citent en font le gouverneur du Nord ?! ... Bref, seul Luang Anusarn pourrait dire d’où venait ce manuscrit … peut-être d’un Wat rénové par Phra Kruba Sri Vichaï ?! …. Qui sait ? …

 

Ce manuscrit, âgé d’une dizaine de siècles, fut traduit en Kham Muang. Alors Luang Anusarn vérifia la véracité de ce qui était écrit, et tira la conclusion que les différentes manières d'utiliser la racine de cette plante comme herbe médicinale étaient fiables, d’où le tirage de ce manuscrit en 3.000 exemplaires et sa distribution à tous ceux qui en faisaient la demande.

 

Suite au succès de l’édition en langue Lanna, et à la demande de gens du Sud, Luang Anusarn, en collaboration avec le docteur Phaya Vinij (พญาวินิจ), fit tirer, en 1931, une nouvelle édition de 3.000 exemplaires de son texte, mais cette fois en langue Siamoise ?! ... (*) Son essai, encore aujourd’hui, fait référence dans le monde de la recherche concernant les plantes.

 

(*) Suntara A. The remedy pamphlet of Kwao Krua tuber of Luang Anusarnsuntarakromkarnphist, Chiangmai. Upati-pongsa Press: Chiangmai, Thaïlande; 1931. (Il s’agit d’une réédition parce qu’en 1931 la Thaïlande n’existait pas.)

 

Nota : La Pueraria mirifica, ou Kwao Khrua (กวาวเครือ) au Lanna, est une plante qui ne retint l’attention des botanistes qu’en 1952 parce qu’elle ne pousse qu’en Birmanie du Nord, au Lanna et en Issan et, que les occidentaux arrivèrent dans ces régions reculées beaucoup plus tard que sur les côtes Indiennes ou de l’Asie du Sud-Est.

Les indigènes du Lanna lui donnèrent le nom de Kwao Khrua, un nom qui recouvrait plusieurs espèces de plantes ayant un aspect voisin mais dont seule la couleur de la fleur faisait la différence. Il y avait la fleur noire, grise, rouge (Butea Superba) et blanche d’où Kwao Khrua Kao (กวาวเครือขาว) ou, depuis 1952, ‘’Pueraria candollei variété Mirifica Airy Shaw et Suvat‘’ ; l’année de son entrée dans le répertoire botanique dû au botaniste anglais Herbert Kenneth Airy Shaw (1902-1985) (*) et son collaborateur le professeur thaïlandais Kasin Suvatabhandu.

 

(*) Herbert Kenneth Airy Shaw fut le directeur de la section botanique de la revue ‘’Siam Society ‘’.

 

Lorsque Luang Anusarn entre dans sa soixante-septième année, quatre ans après le décès de Nang Kamthieng il va lui aussi tirer sa révérence, et s’éteindre le 9 Octobre 1934. Comme son épouse, il sera incinéré quelques jours plus tard pour permettre à tous ses amis et sympathisants de lui rendre un dernier hommage. L’incinération aura lieu le 15 octobre. Ses cendres seront déposées dans le cimetière familial de Ban Choeng Doï Suthep (บ้านเชิงดอยสุเทพ) au pied du Doï Suthep, c’est-à-dire au pied d’une montagne conformément à la tradition Teochiu mais en conformité avec la tradition Bouddhique dont Luang Anusarn fut un fidèle … et fidèle mécène ! …

 

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Les cendres de Luang Anusarn et de ses descendants sont réunies dans une nécropole familiale qui se situe au pied du Doï Suthep. La sobriété des lieux, associée à des soins permanents, dégagent une grande sérénité et force au respect et au recueillement.

En épousant le versant de la montagne, il a été créé, l’une à la suite de l’autre, quatre plateformes, d’où s’élèvent dans un bel ordonnancement des ku de différents aspects et de diverses tailles selon qu’ils renferment les cendres d’un ou de plusieurs défunts. Ce berceau funéraire, reposant au milieu des bois ne semble accueillir que les cendres de personnes liées au Bouddhisme. Pas une tombe ne rappelle les origines teochiu de Luang Anusarn.

 

Photo 1 : Sur la plateforme la plus élevée se dresse le ku le plus important, et celui où sont réunis les cendres du plus grand nombre de descendants de Luang Anusarn. Cependant, d’après les portraits et les noms portés en façade il s’agirait plus particulièrement de ses petits-enfants, puisqu’il y a son gendre et neveu Ki à la droite duquel figure Naï Ruang (4), Naï Phisut (2) et à sa gauche Naï Kraïsri (1), Naï An (3).

Apparemment, les cendres de Naï Kraïsri ont été partagées parce qu’on retrouve son nom sur un autre ku. (Photo du 15 janvier 2020)

Photo 2 : Sur la deuxième terrasse, derrière un bassin semi-circulaire, qu’agrémentent de nombreuses couronnes du Christ (*) se dressent avec magnificence quatre stèles. Elles concernent le couple Anusarn et ses deux enfants. Celle de gauche porte le nom et le portrait du docteur Yong Chutima, la seconde en suivant rappelle le souvenir de Nang Kamthieng, son nom est gravé en Siamois et en Kham Muang, la troisième, légèrement plus haute que les trois autres et dont les noms se sont effacés, mais pas le portrait, est celle de Luang Anusarn et la dernière, celle de droite la stèle de Kimhaw. (Photo du 15 janvier 2020).

 

(*) La couronne du christ est une espèce de plante qui en botanique porte le nom de : Euphorbia milii Des Moul. 1826. (Des Moul est l’abréviation botanique du français Charles Des Moulins 1798-1875) 

Photo 3 : La troisième aire, plus petite, plus austère et clôturée ne recèle que trois stèles. Celle du milieu arbore sur sa face avant le portrait et le nom de Kraïsrï Nimmanhaemin et sur sa face arrière ceux de son épouse Nang Janya (นาง จรรยา). Dans le ku de droite repose les cendres de leur deuxième fils Sirin, celui qui devint le Président de la Krung Thaï Bank. Le Ku de gauche ne comporte aucune inscription. Peut-être est-il destiné à recevoir les cendres de leur premier enfant, Tarin (1945) toujours en vie, et ancien ministre des finances de la Thaïlande à deux reprises. (Photo du 15 janvier 2020)

 

Comme nous l’avons écrit, bien avant sa mort déjà, Luang Anusarn était entré dans la légende urbaine. Son nom était associé à de nombreuses activités commerciales, comme la photo, les premiers bus, les caravanes marchandes, les prêts sur gage, les expéditions sur la Mae Ping et bien d’autres encore. Mais cette saga Luang Anusarn, loin de se figer dans le temps, se poursuit grâce à sa nombreuse descendance qui, avec le même souci que leur ancêtre agit pour le plus grand bien de Chiang-Mai, sa renommée et ses habitants, confirmant ainsi, si besoin en était, et en toute discrétion, que le nom de Luang Anusarn est lié à tout jamais à celui de Chiang-Maï.

 

 

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Ce plan indique l’emplacement des trois bâtiments construits par Luang Anusarn. Ils sont numérotés 1, 2, 3. Le plan a été réalisé à partir d’un plan datant de 1940. Les quadrilatères blancs intitulés ‘’Théâtre‘’ pour deux d’entre eux et ‘’Wat Pakluai‘’ ainsi que le Wat Upakut Birman ont aujourd’hui disparu.

 

C’est ainsi qu’en 1953, une vingtaine d’années après sa disparition que, conformément à ses idées sur la nécessité d’éduquer le peuple, sa fille Kimhaw et son époux Ki, le neveu d’Anusarn, lancent l’idée de créer une université pour le Nord, une Maha Withaya Laï (มหาวิทยาลัย). A l’époque les seules universités existantes se trouvaient à Bangkok, tout le reste de la Thaïlande n’était qu’un désert universitaire.

 

Déjà, les missionnaires presbytériens avaient adressé au ministère de l’éducation une lettre pour demander l’autorisation de créer une université confessionnelle à Chiang-Mai. Il leur avait été alors répondu qu’un tel projet relevait du seul privilège gouvernemental.

 

Mais les missionnaires, loin de se décourager, adressèrent relance sur relance pour obtenir satisfaction. De guerre lasse, le premier ministre et dictateur d’alors, Plaek Phibun Songkhram (แปลก พิบูลสงคราม) (1897-1948/1957-1964) qui dirigeait le royaume d’une main de fer, (*) finit par accepter leur demande le 29 mars 1960.

 

(*) Plaek Phibun Songkhram était alors à la tête des plus grands ministères, à savoir les ministères de la défense, de l’intérieur et des affaires étrangères, tout en étant le chef des armées et … premier ministre.

 

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Photo 1 : Nang Kimhaw et son époux Naï Ki Nimmanhaemin. (Photo Luang Anusarn)

Photo 2 : Les quatre garçons de la fratrie des époux Nang Kimhaw et Naï Ki Nimmanhaemin.

Debout et seul derrière les trois autres Naï Ruang, le quatrième enfant de la fratrie et dernier garçon, suivaient deux filles. Côte à côte et en partant de la gauche pour le lecteur : Naï Phisut, né en second, Naï An, le troisième enfant et Naï Kraïsri, l’aîné. (Photo Luang Anusarn).

 

Alors les époux Nimmanhaemin, Naï ki et Nang Kimhaw, proposèrent sans plus attendre un terrain de 100 raïs (environ16 hectares) au pied du Doï Suthep pour la construction de cette université du Nord.

 

Bangkok les refusa, car il jugea plus adéquate un terrain de 2.000 raïs (environ 320 hectares), qu’il avait acheté à Mae Rim pour bâtir cette université du Nord.

 

Puis, comme tout fini par arriver, dix ans plus tard (*) en Janvier 1964 la première université du Nord mais aussi la première université de province ouvrit ses portes au pied du Doï Suthep, tandis que l’armée hérita des terres achetées à Mae Rim.

 

(*) Plaek Phibun Songkhram n’est plus au pouvoir depuis 1957. Il décédera le 11 juin 1964 en exil au Japon. C’est le Field Marshal Sarit Thanarat qui est alors au pouvoir depuis 1959. Il sera remplacé, suite à son décès, en 1963 par un autre militaire Thanom Kittikachorn qui gouvernera de 1963 à 1973. Le ministre de l’éducation d’alors était le professeur et écrivain Mom Luang Pin Malakul (1903-1995) (หม่อมหลวงปิ่น มาลากุล). Il occupa ce ministère de 1957 à 1969. Il fut donc au centre des tractations qui conduisirent à la construction de cette université.

La presse locale avec ‘’le journal Khon Muang‘’ s’est aussi investie dans l’ouverture de cette université. Elle lança campagne sur campagne et, par exemple, en 1953, du 6 juin au 24 juillet, à la une de chacun de ses numéros apparaissait en gros titre : ‘’Faut-il créer l’Université du Nord ? ...‘’ Des arguments en faveur de cette ouverture communiqués la veille par les lecteurs, faisait suite au gros titre. (Ce journal était financé par la famille Nimmanhaemin, faut-il le rappeler ?! …).

 

Moyennant trois conditions, la famille Nimmanhaemin va donner et céder à bas prix une parcelle de 45 hectares (*) pour permettre l’édification et le développement de l’Université. Ces trois conditions furent :

1/ L’ouverture rapide de la faculté de médecine qu’elle va largement financer, et pour laquelle elle a contracté un partenariat avec le gouvernement Sarit Thanarat.

2/ La création d’un institut de recherche concernant les maladies tropicales comme le paludisme.

3/ L’acceptation que les donateurs puissent parrainer huit boursiers se destinant à la médecine.

 

(*) Alors qu’il avait été envisagé de construire l’université à Mae Rim, ce sera un vaste espace d’environ 579 raï, (93 hectares) sis au pied du Doï Suthep qui sera choisi.

Le couple Ki et Kimhaw Nimmanhaemin cèdera 112 acres (45 h.), Khun Bunyoo Posawat (คุณ บุญอยู่ โปษะวัฒน์), un riche commerçant de Ton Lam Yai, 127 raïs (Env. 20 h.) et divers petits propriétaires les 243 raïs (39 h.) restants. (*)  

 

(*) je ne garantis pas les chiffres entre parenthèse parce que les convertisseurs du net donnent des correspondances différentes. La somme de leurs données indique une différence de 11 hectares par rapport aux 93 donnés au départ ?! ...

 

Tandis que le ministre de l’éducation d’alors Mom Luang Pin Malakul attachait beaucoup d’importance à la bibliothèque, un ancien ministre de l’éducation, Naï Charat Mahawat (นายจรัส มหาวัจน์) supervisa le bon déroulement des travaux. Pour assumer leurs coûts il fut prévu deux enveloppes, une de vingt millions de bahts et l’autre de quinze millions qui, dans les deux cas furent insuffisante puisque dix millions se rajoutèrent à la première et vingt-cinq à la seconde ?! ...

 

Cette même année le couple Nimmanhaemin fait don à la ville de Chiang-Mai de quelques raïs supplémentaires. Ces terres vont permettre l’ouverture de deux rues parallèles entre elles et perpendiculaires aux rues Suthep et Huay Kaew. La plus connue est la rue Nimmanhaemin et sa jumelle Sirimang Kalajarn. 

 

Les noms de Nang Kimhaw et Naï Ki Nimmanhaemin sont aussi liés, involontairement mais liés quand même, à la création du Zoo de Chiang-Maï. Derrière l’université, dans le village de Ban Weluwan Choeng au pied du Doï Suthep, le couple avait fait construire une résidence secondaire en pleine forêt. Un certain Harold Mason Young (1901-1975), de passage à Chiang-Maï, fut séduit par la demeure et son environnement, alors il demanda à la louer. Ce qui lui fut accordé. L’aîné du couple, Kraïsri se chargea des formalités.

 

Harold Mason Young était le fils d’un pasteur originaire des Etats-Unis qui s’était établi avec son épouse près de Kengtung en Birmanie du Nord. Harold y naquit et y passa toute son enfance en fréquentant tous les gamins de son âge. Grâce à eux il apprit différents dialectes et langues dont le Khan Muang qu’il parlait couramment.

 

Il alla poursuivre ses études aux Etats-Unis où il obtient un diplôme de sciences naturelles. Puis il y eut la deuxième guerre mondiale.

 

A Chiang-Maï il fut connu pour accueillir des animaux, alors on lui en apporta, il en acheta et très vite il se trouva à l’étroit là où il était et dû, avec l’aide de Kraïsri Nimmanhaemin, trouver un autre endroit pour héberger sa gent animale.

 

Le nouveau site, les adoptions et les achats furent autant de prémices qui annonçaient la naissance d’un Zoo ; non sans l’aide du gouverneur d’alors Naï Prasert Kanchanadul (นายประเสริฐ กาญจนดุล) cet espace animalier s’ouvrit le 6 avril 1957 soit sept ans avant l’université.

 

En 1965 Ki Nimmanhaemin décède dans sa soixante-dix-septième année.

 

En 1975 le ministère de l’éducation s’engage dans un programme d’écoles spécialisées devant permettre à des handicapés de s’intégrer dans la vie active. Nang Kimhaw et ses enfants fondent alors ‘’L’Anusarn-Sunthorn‘’ pour donner cette possibilité à des individus atteints de surdité, et dotent leur fondation de 120.000 bahts.

 

Ensuite, la fondation, et le Rotary-Club transforment une maison en école, ‘’l’école Anusarn‘’ qui va commencer par accueillir douze élèves. Un an plus tard, la famille Nimmanhaemin fait don à leur fondation d’un terrain rue Sotsueksa (ถนนโสตศึกษา) afin d’y construire une véritable école qui dès 1977 va ouvrir ses portes et aura pour première directrice la fille de Nang Kimhaw, Nang Chemchit (Jamjit) Nimmanhaemin épouse Nang Chemchit Laohavad (นางแจ่มจิตต์ เลาหวัฒน์) (1921-2003).

 

En 1981, l’école Anusarn change de nom et devient l’école Sot Seuksa Anusarn Sunthorn (โรงเรียนโสตศึกษาอนุสารสุนทร).

 

En 1990 l’école comptait 360 élèves et 36 classes et se fixait un objectif de trente nouveaux élèves chaque année. Les niveaux d’enseignements vont de la maternelle à l’enseignement supérieur en passant par le secondaire.

 

Aujourd’hui, en 2020, la directrice de l’établissement est Nang Yupin Khampan (นางยุพิน คำปัน) et le président du comité de la fondation Anusarn Sunthorn pour les sourds, Khun Somyot Nimmanhaemin (คุณสมยศ) notre interlocuteur.

           

De son côté Kraïsri Nimmanhaemin va faire don au ministère de l’éducation d’un terrain de 24 raïs, environ 3 hectares 84, pour construire un stade sportif ; le terrain de sport ou le stade de la municipalité de Chiang-Maï (สนามกีฬาเทศบาลนครเชียงใหม่) qui se situe tout à côté du Wat Ku tao.

 

A son tour, le jeudi 30 avril 1981, Nang Kimhaw, (นางสาวกิมฮ้อ) quitte notre monde à l’âge de 87 ans.

 

Nang Sao Kimhaw (นางกิมฮ้อ) avait épousé son cousin Naï Ki Nimmanhaemin (นายกี นิมมานเหมินท์) et de leur union étaient nés six enfants, quatre garçons et deux filles dont le parcours professionnel fut pour chacun et chacune une carrière exemplaire, et brillante pour certains.

 

 1/ Naï Kraïsri (นายไกรศรี) - 2/ Naï Phisut (นายพิสุทธิ์) - 3/ Naï An (นายอัน) - 4/ Naï Ruang (นายเรือง) - 5/ Nang Chemchit (นางแจ่มจิตร) - 6/ Nang Oun (นางอุณณ์).

 

1/ Naï Kraïsri Nimmanhaemin (นายไกรศรี (ชื่อจีน - คัยสุย) นิมมานเหมินท์)

(1912-1992) (2455-2535) deviendra un éminent et érudit et professeur. (*)

2/ Naï Phisut Nimmanhaemin (นายพิสุทธิ์ (ฮะสุย) นิมมานเหมินท์) (1915-1995)

(2458-2508) fut le 8ème gouverneur de la banque de Thaïlande entre 1971 et 1975, (2514-2518) en pleine crise monétaire. Il deviendra ‘’impopulaire‘’ à cause des mesures drastiques qu’il sera amené à prendre pour faire face à cette crise.

3/ Naï An Nimmanhaemin (นายอัน - ศาสตราจารย์อัน (อันสุย) นิมมานเหมินท์)

(1917-1997) (2460-2540) fut tout à la fois un éminent Architecte, et          professeur à la Faculté d’Architecture de Chulalongkorn.

4/ Naï Ruang Nimmanhaemin (นายเรือง (เหลี่ยงสุย) นิมมานเหมินท์) (1919-

1988) (2462-2531) a été maire de Chiang-Maï à deux reprises de 1958 à

1960 (2501 à 2503) et de 1974 à 1976 (2517 à 2519).

5/  Nang Jamjit épouse Laohawat (นางแจ่มจิตต์ (เช็งซิม) เลาหวัฒน์) (1921-

 2003) (2464-2546) outre la direction de l’école pour sourd créée par sa

 mère Kimhaw assura la présidence de la chambre de commerce.

6/  Nang Oun Chutima (นางอุณณ์ (อุนซิม) ชุติมา) (1923-) (2466- ) Fonda le

Centre culturel de Chiang-Maï.

 

(*) Naï Kraïsri Nimmanhaemin et son épouse Nang Chanya SriAphon (นาง จรรย ศรอาภรณ์) auront deux enfants : Naï Tarin (นายธารินทร์) (1945-) et Naï Sirin (นายศิรินทร์) (1947 -2018).

Tous les deux iront suivre des études aux Etats-Unis et réaliseront, chacun à leur manière une carrière hors des sentiers battus, l’aîné dans la politique et le cadet dans la banque.

 

Tarin : diplômé de Harwad (1968) et de Stanford (1970) occupera, entre autres fonctions celles de :

- Ministre des finances de la Thaïlande de septembre 1992 à mai 1995

- Ministre des finances de la Thaïlande de novembre 1997 à février 2001. 

1997 fut l’année de l’effondrement du Baht. Non sans courage Tarin accepta la rude tâche de le relever, ce qui lui valut une cote d’impopularité hors norme.

Sirin : Après des études au Montfort Collège de Chiang-Mai et du collège de l’Assomption de Bangkok (1928 à 1931) diplômé de l’Université de Michigan (1936) et de Stanford (1938) exercera, entre autres fonctions elles de :

- Président de la Krung Thaï Bank (1992-1999).

 

 

Sukit Nimmanhaemin, (1906-1976) (2449-2519) (นายสุกิจ นิมมานเหมินท์).

 

Entre autres membres éminents comptant parmi les descendants de Luang Anusarn, mais indirect cette fois, il convient de citer le Professeur Sukich ou Sukit Nimmanhaemin, le petit-fils de sa sœur aînée Nang Buajan. Sukit était aussi le neveu de Naï Ki, le frère de son père et le mari de Nang Kimhaw laquelle était la fille de Luang Anusarn.

 

D’abord ingénieur, puis professeur à l’université de Chulalongkorn, Sukit Nimmanhaemin fut aussi le secrétaire général du département des arts et sciences de cette université, puis en 1938 le secrétaire général de l’université de Chulalongkorn.

 

Ensuite, il mena une carrière politique en tant que député de Chiang-Maï, réélu à plusieurs reprises, et chef du parti Sahaphum (สหภูมิ) ce qui le conduisit à être ministre de l’industrie de 1949 à 1952, des affaires économiques de 1957 à 1958, puis de l’éducation.

 

A cette carrière politique succéda une carrière diplomatique. Alors il fut ambassadeur en Inde, au Népal, en Afghanistan, au Sri Lanka et aux Etats-Unis.

 

Toutes ces fonctions, y compris celle de membre de l'Institut royal, vice-Premier ministre, membre de la Chambre des représentants de Chiangmai, la liste est longue, firent de lui un homme hors du commun dont le décès donna lieu à la demande de Rama IX à des funérailles royales.

 

Sukit était le fils de Naï Yi (นายหยี) (*) Nimmanhaemin et de Nang Chanthip (นาจันทร์ทิพย์).  

 

(*) Naï Yi était le sixième enfant de la sœur aînée de Luang Anusarn, donc le neveu de Luang Anusarn, le frère de Ki marié à Nang Kimhaw sa cousine.

Le couple Naï Yi et Nang Chanthip auront onze enfants dont le deuxième sera Naï Sunkich contracté en Sukit, ce qui en fait le cousin germain de Kraïsri et le petit neveu germain de Luang Anusarn.

 

Sukit se maria une première fois avec Nang Anong Isornpakdee (นางอนงค์ อิศรภักดี) il eut trois enfants : Nang Orsa (นางอรสา), Naï Usum (นายอุสุม) et Naï Asawin (นายอัศวิน).

Il se remaria avec Nang Mon Luang Buppha Nimmanhaemin (นางหม่อมหลวงบุปผา นิมมานเหมินท์) anciennement Kunchorn (กุญชร) un écrivain qui décéda sans lui donner de descendance.

Il contractera un troisième mariage avec Nang Jinda Sukanason (นางจินดา สุกัณศีล) dont il aura un fils unique, Naï krisada (นายกฤษดา).

 

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Photo 1 : Nang Kamthieng, en compagnie de deux baby-sitters, entourée des trois aînés de sa fille Kimhaw (K) et des trois aînés de Nang Anocha (A)(n°1) Naï Kraïsri (K1)(n°2) Naï Cheua Anusarn Sunthorn (A.2) -   (n°3) Nang Sao Krongthong (A3)(n°4) Naï Sa-ngat Banjongslip  (A1)(n°5) Naï Phisut (K2)(n°6) Naï An (K3).

Photo 2 : Cet arbre généalogique prend en compte la lignée de Nang Buajan, la sœur aînée de Luang Anusarn et la grand-mère de Sukit Nimmanhaemin.  

Photo 3 : La famille du petit fils de Luang Anusarn et de Nang Kamthieng : Naï Kraïsri Nimmanhaemin et son épouse Nang Chanya Sri Aphon avec leurs deux enfants : Tarin futur ministre des finances Thaïlandais. (*) et Sirin futur Président de la Krung Thaï Bank.

(*) Tarim fut ministre des finances à deux reprises. La seconde fois, 1997-2001, ce fut pour gérer la grande crise financière de 1997, ce qui lui valut une impopularité sans précédent. 

 

 

La maison Kamthieng :

Le nom de Nang Kimhaw est aussi intimement lié à la maison Kamthieng. Une maison traditionnelle du Lanna dont la particularité familiale était la transmission par filiation matrilinéaire, un mot qui signifie que seule l’ascendance maternelle est prise en compte quand il s’agit d’héritage, qu’il soit immatériel comme le nom de famille ou matériel comme l’habitat.

Il existe dans le Yunnan, à quelques deux cent soixante kilomètres au Nord de Dali, aux alentours du lac Lugu, une ethnie, celle des ‘’Moso‘’ (*) dont l’organisation sociale repose, encore aujourd’hui, sur la matrilinéarité.

 

(*) Le nom de cette ethnie s’écrit indifféremment Moso, Mosuo et Musuo. Les Chinois les appellent péjorativement Mosso.

 

Une lointaine ancêtre de Nang Kimhaw descendrait-elle de cette ethnie ?... Difficile à dire. Toujours est-il qu’au XVIIIe siècle, à soixante-dix kilomètres au Sud de Chiang-Rung, (เชียงรุ้ง) dans le village de Muang Chae (เมือง แช่) la famille d’un prince Lü (*) vivait alors sous le régime de la matrilinéarité.

 

(*) L’ethnie Lü, peuple majoritairement le Sipsong Panna ou Xishuang Banna (Royaume aux douze milles rizières) dont la capitale Chiang-Rung (เชียง รุ้ง) porte aujourd’hui le nom de Jinghong, colonisation chinoise oblige, après avoir reçu ceux de Moeng Lü, Chiang Yung, Chiang-Hung, Jiang Hung, Jeng Hung et … quelques autres. 

 

Ce prince avait deux filles, dont l’aînée s’appelait Chao Kamdaeng (เจ้า คำแดง) et la cadette Chao Kamphüa (เจ้า คำเผือ). La cadette serait devenue l’épouse d’un des fils du roi de Lamphun ?! …

 

En 1806, Setthi Kamfan (เศรษฐี คำฝั้น) (1756-1825) de conserve avec Moula de Lampang (มูลล่า ลำปาง) (*) attaquèrent Chiang-Rung pour faire main basse sur une partie de la population afin de repeupler le Lanna en général et Lamphun en particulier. Setthi Kamfan le huitième enfant de Chao Fa Chai Keao (1703-1774), le roi de Lampang, avait alors la mission de faire renaître Lamphun de ses cendres ; il mettra 14 ans pour y parvenir. Ces années s’inscrivaient alors dans l’ère qui consistait à mettre des esclaves dans les villes comme on met des légumes dans des paniers. (Dixit Khanan Kawila.)

 

(*) Chao Mula (เจ้าหมูหล้า) (1754/55-1815) était le 7ème enfant de la fratrie des ‘’Chao Chet Tone‘’ et le 4ème frère de Chao Kawila. En 1806 il avait le titre de Phraya uparaja de Lampang ; Il portait ce titre de ‘’vice-roi‘’ de Lampang depuis 1794.

 

Le prince de Muang Chae avait-il accordé de bon gré la main de sa fille, ou en avait-il fait une monnaie d’échange pour que sa ville soit épargnée du sort que lui réservaient les razzieurs ? … nul ne peut le dire à l’heure actuelle, d’autant qu’une autre source raconte que ce prince aurait été décapité ?! …

 

Toujours est-il que sa cadette devint l’une des épouses d’un fils du roi de Lamphun et que l’aînée lia son destin avec un certain Naï Pang (นาย ป่าง) sans qu’on sache si elle avait échappé au carnage de Muang Chae, si massacre il y avait eu, ou si elle fit partie des déportés amenés dans la région pour peupler Lamphun ou Chiang-Maï ?! …

 

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Cet arbre généalogique met en parallèle la lignée du prince Lü, et celles de Nang Kamthieng et de Luang Anusarn.

 

Le couple Chao Kamdaeng et Naï Pang aura quatre enfants : Naï Noï (นาย น้อย), Nang Chaï (นาง ใจ), Nang Kaew (นาง แก้ว), et Nang Su (นาว สุ). L’aînée des filles de cette fratrie étant Nang Chaï c’est elle qui hérita des biens matériels et immatériels de la famille, matrilinéarité oblige.

 

Nang Chaï (นาง ใจ) va mettre au monde, au moins une enfant, Nang Saed (นาง แซด) dont on ne sait rien du père, si ce n’est que c’était un Sino-Taï.

Cette Nang Saed prendra pour époux Naï Keng Sae Ung (นาย เกง แซ่อึ้ง) et fera construire vers 1848 une maison en bordure de la Mae Ping, non loin de Chiang-Mai, et pratiquement en face du Wat Sri Khong (ดัด ศริโขง). Cette demeure fut bâtie comme on en construisait à l’époque dans les milieux aisés, car la maison est spacieuse et développe de belles proportions.

 

Une enfant, et peut-être plusieurs autres, naîtra dans cette maison de l’union de Nang Saed et de Naï Keng, c’est la petite Nang Thip Sae Ung (นางทิพย์ แซ่อึ้ง). C’est donc cette dernière qui héritera de la maison construite par sa mère Nang Saed, là encore matrilinéarité oblige.

Par la suite, Nang Thip va épouser un certain Naï Kok Sae Ko (นาย ก๊ก แซ่โค้ว) et deviendra la mère de Nang Kamthieng (นาง คำเที่ยง) la futur épouse de Luang Anusarn.

 

Nang Kamthieng, qui est née dans cette maison, en héritera donc à son tour au décès de sa mère Nang Thip Sae Ung … qu’elle perdit à l’âge de quatorze ans.

 

Mais au décès de cette dernière quel a été le destin de cette maison ?... A-t-elle été occupée par des membres de la famille ? … le couple Nang Kamthieng et Sunhee Chutima en ont-ils fait leur nid d’amour ?...  A-t-elle été louée ? … ou bien est-elle restée tout bonnement inoccupée ? …

 

Toujours est-il que la dernière héritière, matrilinéarité oblige, Nang Kimhaw, vraisemblablement conseillée par son fils aîné, Naï Kraïsri Nimmanhaemin, fit don de cette maison en 1963 à la ‘’Siam Société‘’ (The Siam Society) (*). Cette dernière va en faire un musée ethnologique propre aux us et coutumes du Lanna. Le site sera inauguré par le roi Rama IX le 21 novembre 1966. Depuis, tout un chacun est invité à visiter la maison Kamthieng qui aurait pu s’appeler du nom de celle qui la fit construire … la maison Nang Saed.  

 

(*) La Siam Society, a été créée sous patronage royal. Elle s’est donnée comme objet de promouvoir la culture Thaïlandaise et de ses voisins sous toutes les formes présentes et à venir, car, conformément à sa devise : ‘’se connaître mutuellement ne peut que favoriser l’amitié entre tous. ‘’.

 

Nota bene : J’ai souvent recours aux journaux de ‘’The Siam Sociéty‘’ pour écrire mes chroniques, et j’en profite pour remercier cette association.

Sachez que ses bureaux sont ouverts à tous, et que les visiteurs y sont très bien accueillis. 

 

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Photo 1 : Deux Moso (s), dont la femme est en costume traditionnel, attendant, à bord de leur embarcation, des touristes pour les conduire sur une des îles du Lac Lugu. Un lac situé entre les provinces du Sichuan et du Yunnan. (Photo de novembre 2012)

Photo 2 : L’escalier de la Ban Kamthieng débouche sur une terrasse, parfois confondue avec la ou les véranda(s), espèces de préaux abritant de la pluie et ouvert sur la terrasse. On y voit ici, sur la gauche la petite sala (ศาลาน้ำดื่ม) où sont déposés des pots à eau pour se désaltérer, et tout en face, la cuisine. (Photo du 17 octobre 2019).

Photo 3 : La Ban Kamthieng a été meublée comme au bon vieux temps ; et certaines des pratiques magiques de protection, ont été mises en évidence comme par exemple les tatouages, dit ‘’Sak-Meuk‘’ (สักหมึก) (Tatouage à l’encre) au moyen de ce buste de mannequin. Chaque tatouage était le garant d’une protection spécifique ; alors plus un individu était recouvert de tatouages et plus il était invulnérable aux dangers de l’existence. (Photo du 17 octobre 2019).

 

Alors que la maison Kamthieng, celle qui s’éleva en bordure de la Mae Ping et en face du Wat Sri Khong, se trouve aujourd’hui dans les jardins de la Siam Société à Bangkok, il a été construit à Chiang-Mai, une réplique de cette maison Kamthieng. C’est la ‘’Ruan Anusarn Sunthorn‘’.

 

Cette réplique de la maison Kamthieng, derrière laquelle se trouvent un grenier et son pilon à riz ainsi qu’une remise et son chariot, a été construite au sein de l’Université Rajabhat (CMRU), rue Chotana à Chiang-Mai, et s’appelle officiellement la ‘’Ruan Anusarn Sunthorn‘’.

 

Les descendants de Luang Anusarn Sunthorn, à l’origine de sa construction, ont financé cette opération pour offrir à la ville de Chiang-Mai, à l’occasion de la célébration du 125è anniversaire de la naissance de leur illustre ancêtre, un cadre, tout à la fois prestigieux et adéquate, pour en faire aussi, comme à Bangkok, un musée ethnologique, mais se démarquant de ce qui a été fait à Bangkok.

 

En effet, plutôt que de recréer un univers d’antan au sein d’une demeure … d’antan, Chiang-Mai a préféré mettre un éclairage tout particulier sur trois types d’objets usuels mettant en évidence l’esprit d’invention et de créativité des ‘’anciens‘’ du Lanna. Un esprit d’invention et de créativité qui perdurent, car il suffit d’arpenter le marché du dimanche pour s’en rendre compte.

 

Le maître d’œuvre de cette ‘’Ruan Anusarn Sunthorn‘’, Khun Lamrama Chantharagnsi (คุณสำราญ จันทรังษี) et son équipe commencèrent les travaux le 12 décembre 1991, et les terminèrent courant juin 1992. Après deux ans d’aménagement, l’inauguration put se faire le 3 juin 1994 en la présence de la princesse Maha Chakri Sirindhorn, et par la suite, s’ouvrir au public.

 

A l’origine donc, la ‘’Ruan Anusarn Sunthorn‘’ était destinée à devenir un musée ethnologique. Chacune des trois pièces qui s’y trouvent devait exposer, pour la première d’anciens instruments musicaux du Lanna, pour la seconde des poteries, et pour la troisième des textiles. Avec le temps la ‘’Ruan Anusarn Sunthorn‘’ fut vidée de ses différents contenus et les instruments, comme les poteries et les textiles ont été, et sont toujours, exposés mais, en d’autres locaux, à deux pas de cette réplique de maison Kalê et Kamthieng tout à la fois ; une maison qui n’emprunte rien au style occidental contrairement à la maison construite pour le docteur Yong qui elle, a été transférée au sein du musée des anciennes maisons du Lanna et qui signe la fin d’une époque et le début d’une autre. (Voir plus haut)

 

La ‘’Ruan Anusarn Sunthorn‘’ peut se visiter. Il suffit d’entrer dans l’université et de s’adresser à la … bonne porte. Il y en a plusieurs mais ‘’on‘’ fini par la trouver ?! …

 

Pour ceux qui s’intéressent aux poteries, aux textiles et aux instruments anciens, la visite de ce musée s’impose, mais encore faut-il savoir qu’il existe, car il n’est pas indiqué, y compris dans les guides. Pour mettre l’eau à la bouche à d’éventuels amateurs, sachez qu’il s’y trouve, une collection d’instruments à cordes pincées comme les pias (เปี๊ยะ), sungs (ซึง), songs koks (ซองก็อก) et thénas (เตนา) ; des instruments dits membranophones (très gros tambours) comme klong-eo (กลองแอว), klong sabatchai (กลองสะบัดไชย), klong luang (กลองหลวง), klong puja (กลองปู่จา), et cætera et cætera … des instruments à percussion comme, les patmails qui sont équipés de lamelles de bois (ป้าดไม้), tandis que les patleks le sont avec des lamelles de fer (ป้าดเหล็ก), les patkogns (ป้าดก๊อง), Khongraos (ฆ้องราว) ; les aérophones comme les thorohorns (ตอรอฮอร์น), à vent et cætera et cætera … Bref il s’agit vraiment de très très (bis) belles collections d’instruments qui se confondent en une seule grande collection, de même pour les poteries et les textiles.

 

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Photo 1 : La ‘’Ruan Anusarn Sunthorn‘’ telle qu’elle apparaît depuis l’entrée de l’Université Rajabhat (Photo du 22 janvier 2014)

Photo 2 : Les bustes de Luang Anusarn Sunthorn et de Nang Kamthieng du musée de l’Université Rajabhat consacré aux arts du Lanna en général et aux instruments anciens en particulier. (Photo du 22 janvier 2014)

Photo 3 : Un instrument à vent qu’on ne voit pratiquement plus, le thorohorn (ตอรอฮอร์น). (Photo du 22 janvier 2014).

 

Ce sera par cette envolée musicale et la recommandation qui la suit que se terminera la biographie de Luang Anusarn et son temps.

Certes, il y aurait encore beaucoup à écrire mais je pense que le principal a été dit et qu’il aura intéressé le lecteur.

 

 

 

                                       Jean de la Mainate                        Février 2020

 

 

Merci à :

 

Somyot Nimmanhaemin, descendant de Luang Anusarn, président du comité de la fondation Anusarn Sunthorn pour les sourds et président de la fondation Bouddhique de Chiang-Mai.

Eric T. pour sa précieuse collaboration.

Persée.

 

 

 

  



08/02/2020
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