FANTOME DE SHANGHAÏ (LE)
LE FANTOME DE SHANGHAÏ
Shanghai fut longtemps appelée le ''Paris de l'Orient''
Photo 1 : Un très ancien plan de Shanghai.
Photo 2 : Une porte de la dernière fortification rue Dajing (2011)
Photo 3 : Figurines en porcelaine en vente un marché au puces non loin de la rue Dajing. (Oct.2011)
Cette histoire de fantôme se passe à Shangaï, au milieu du siècle dernier.
C'est une histoire vraie qui m'a été racontée par un témoin, alors âgé d'environ une huitaine d'années.
Et cet homme, aujourd'hui encore, en racontant cette anecdote ne peut s'empêcher de rire de bon cœur. D'ailleurs en son temps tous les membres de sa famille se sont amusés de l'événement, sauf évidemment … la malheureuse bonne qui se trouvait être au centre de l'aventure.
La deuxième guerre mondiale venait tout juste de se terminer.
Les Japonais, après avoir régné en maître sur Shanghai, défaits, s'étaient enfuis de la ville.
Les Français suite au traité de Tchongking avaient rétrocédé leur concession aux autorités Chinoises ; tandis que Tchang Kaï-Chek et Mao, l'un tenant le sud de la Chine et l'autre le nord, luttaient pour la prise du pouvoir.
Sur ce fond de guerre civile les derniers résidents d'origine européenne bouclaient leurs bagages pour aller s'établir sous des cieux plus hospitaliers ; et les quelques irréductibles qui ne voulaient pas partir devenaient au fil des jours comme des vestiges vivants d'un passé révolu, errant dans des rues néanmoins grouillantes et pleines de vie.
Car si Shanghaï pansait ses plaies et pleurait ses morts la ville recouvrait aussi les forces nécessaires à sa rage de vivre.
Aujourd'hui, comme à cette époque, Shangaï attirait tous les Chinois de la Chine entière.
Car dans certaines contrées lointaines, en plus des restrictions dues à la guerre il fallait aussi composer avec une nature à la fois rude et sans pitié.
Alors nombre de paysans s'adonnaient aux travaux des champs durant l'été, et allaient travailler à Shangaï pendant l'hiver dans l'espoir de gagner un peu d'argent pour aider à la survie de leur famille restée au pays.
Hua n'était pas à proprement parlé un paysan, mais une paysanne. Un petit bout de femme un peu rustre, d'une quarantaine d'année, ignorant les bonnes manières, mais courageuse.
Certes, l'intelligence n'était pas sa qualité première mais comme elle avait un certain bon sens ce dernier trait de caractère compensait le premier.
A cause des événements Hua s'était retrouvée veuve et seule pour nourrir sa petite famille.
Alors, sans chercher midi à quatorze heures, elle avait décidé de suivre l'exemple de son mari. Et comme lui de partir à Shangaï afin d'y travailler durant les mois d'hiver.
Seulement, à la différence de son époux, Hua n'avait jamais quitté son petit village. Elle y était née et elle avait dû s'en éloigner d'une vingtaine de kilomètres, en tout et pour tout, au grand maximum !...
Bien évidemment tous les gens de son village avaient tout fait pour la retenir auprès d'eux, mais Hua avait tenu bon.
Non seulement elle avait rejoint Shangaï dans les plus brefs délais, mais elle avait trouvé une place dans les deux jours qui avaient suivi son arrivée.
La mère de mon narrateur, afin d'être soulagée de certaines tâches ménagères, l'avait fait engagée par son mari, un commerçant relativement aisé et que la guerre n'avait pas empêché de commercer.
Chez ses employeurs Hua trouva rapidement sa place, et se garda bien de rester à sa place, par crainte de la perdre. Car les domestiques en ce temps là étaient traités comme de véritables chiens.
Ils étaient condamnés à obéir et sans pouvoir dire un mot.
Heureusement pour elle, sa patronne la prit en amitié. Car avant de devenir la femme d'un commerçant ayant pignon sur rue, cette mère de famille avait été dans la situation de Hua et avait travaillé dans des familles aisées !...
Durant les premiers jours de son embauche, Hua se vit confier l'entretien de la maison.
Ce qui ne fut pas pour lui déplaire. Car tout au fond d'elle-même, elle avait peur de se perdre dans les rues de Shanghaï.
Cependant, après avoir accompagné sa patronne au marché durant quelques semaines, le grand jour arriva. Hua s'en alla toute seule faire les courses.
Elle s'en tira d'ailleurs fort bien. Et très vite elle avait fini par quitter la maison le cœur léger, par connaître le quartier dans ses moindres recoins, et par discuter des prix aussi bien que sa patronne.
Et puis un jour, un jour semblable à tous les autres, Hua s'en alla au marché le cœur léger et insouciante !...
Seulement ce jour là, Hua rentra beaucoup plus tôt que d'habitude, avec les mains vides, le cœur battant, essoufflée et sans pouvoir dire un mot qui fut compréhensible.
Inquiète, sa patronne la fit asseoir et l'aida de son mieux à retrouver ses esprits.
Mais Hua, qui n'était pourtant pas du genre à se faire dorloter, mit un certain temps pour dire et à peu près intelligiblement … qu'elle venait de voir … un fantôme !...
Trois vues du Bund : (1920 – 1930 – 1940)
En concession française (1849-1943) c'était … ''port de France''.
(Photos du musée urbain de Shanghai prisent en Oct.2011)
En entendant ce mot, la maîtresse de maison et les enfants qui avaient accouru à ses côtés se pétrifièrent et la regardèrent en étant tout à la fois curieux et inquiets !....
Puis dans la petite pièce un peu sombre où tout le monde se tenait, plus personne n'osa faire le moindre geste, et murmurer le plus petit mot.
C'était comme si le temps c'était arrêté. Et pire, comme si le fantôme était entré dans la pièce avec Hua.
Néanmoins, après quelques secondes d'un silence lourd et annonciateur de malheur la patronne de Hua osa desserrer les dents et ouvrir les lèvres dans le but de rompre le silence mais aussi … de tenter de parler !...
Avec une voix de circonstance d'où transpiraient la crainte et le respect pour l'au-delà, elle demanda à sa servante de lui raconter par le détail ce qui venait de lui arriver.
Hua, encore toute retournée, s'exécuta tant bien que mal et à vrai dire … plutôt mal que bien !...
Car elle avait tant à raconter qu'un mot venait pour un autre et que son récit était encore plus extraordinaire et incompréhensible que ce qu'elle devait avoir vu.
D'ailleurs de toute son existence c'était la première fois qu'elle avait eu une telle frayeur.
Mais c'était aussi la première fois qu'elle s'était retrouvée … nez à nez … avec un vrai fantôme !...
Aujourd'hui encore les Chinois croient aux fantômes. Ils y croient même dur comme fer, ainsi qu'à tout un panthéon d'êtres peuplant l'invisible.
Et le régime communiste, soi-disant de nature matérialiste, en plus de soixante ans, non seulement n'a pas réussi à mettre fin à toutes ces croyances, mais il s'en est accommodé, et même … servi !....
Par ailleurs, je sais que les quelques Chinois que je connais, et qui vivent en France depuis des lustres, se méfient encore et toujours des fantômes tout en se gardant bien de l'avouer.
Et celui de qui je tiens cette histoire s'est laissé aller, et à plusieurs reprises, à me parler des ''trucs'' infaillibles qu'il connaissait pour mettre à mal les spectres et les fantômes qui tenteraient de s'inviter chez lui !....
Alors, si aujourd'hui encore les fantômes inspirent de la crainte aux descendants des Hans, et à des descendants intellectuellement éclairés, Hua qui sortait tout droit de son petit village et dont le savoir souffrait de l'obscurantisme ambiant sur des kilomètres à la ronde, devait les redouter à un point qu'il est difficile d'imaginer.
Bref !... la patronne de Hua, tout en s'efforçant de garder son calme, et de se conduire comme il convenait à une personne de sa qualité, avait commencé par se laisser impressionner par la terreur de sa servante.
Puis au fur et à mesure des explications qu'elle entendait, et tout en desserrant les mains de ses enfants qui s'agrippaient à sa robe au risque de lui faire perdre son équilibre, cette histoire de fantôme perdait … ''corps'' !...
Car c'était la première fois que quelqu'un prétendait avoir vu un fantôme dans le voisinage. Or, si l'un de ces êtres hantait le quartier elle aurait été l'une des premières à le savoir, et … à demander à son mari d'aller habiter ailleurs !
Alors, que pouvait bien avoir vu Hua pour avoir été autant effrayée ?...
Curieusement et bizarrement la réponse tomba d'elle-même, comme un coup de théâtre.
Mais elle arriva brutalement et sans ménagement. Ce qui fit monter d'un bond la tension qui régnait dans la maison.
En effet, à peine la maîtresse de maison venait-elle de se poser cette question que le loquet de la porte d'entrée se leva dans un bruit d'enfer et que la porte elle-même s'ouvrit brusquement, voire même brutalement !...
En tout cas ce fut l'impression que tous les occupants de la pièce ressentirent à ce moment là.
2011 : Petits commerçants en pleine activité
Comme déjà le cœur de chacun palpitait allègrement il n'en fallut pas plus pour que tous ces cœurs se missent à battre la chamade.
Pourtant, le loquet de la porte n'avait pas fait plus de bruit que d'habitude, et la porte elle-même n'avait pas été ouverte plus brutalement que de coutume.
Par contre, le maître des lieux faisait irruption dans la demeure familiale à une heure où il n'avait pas l'habitude de venir.
Et quand il pénétra dans la pièce il surprit tout son monde, sa femme y comprise.
Comme d'emblée il s'aperçut qu'il se passait quelque chose d'inhabituelle il voulut en connaître les raisons.
Mais Hua ne lui en donna pas le temps. Elle s'écria tout d'un coup, et en désignant la porte : ''le fantôme''.
Alors chacun pu voir par l'entrebâillement de la porte, qu'au dehors se tenait une espèce de grande silhouette toute blanche !...
En entendant Hua, Monsieur Zhu eut un mouvement de recul.
Car comme tous ceux qui disent ne pas croire en ces êtres immatériels, il se méfiait toujours d'eux en permanence, et prenait bien garde à ne jamais les offenser.
Cependant ce matin là, au lieu de rester sur ses gardes et d'attendre de pied ferme un éventuel intrus, d'un pas résolu et avec la raideur qui le caractérisait, il se dirigea vers la porte d'entrée.
D'un geste énergique, en la tirant à lui, il ouvrit cette porte … tout en grand.
Dès que Hua comprit le but de la manœuvre elle poussa un cri que ses origines animales n'auraient pu renier.
Puis à bout de forces, elle se recroquevilla sur elle-même, cacha son visage entre ses deux mains, et attendit que le pire arrivât.
Sur le pas de la porte, et tout de blanc vêtu, se tenait un être très grand, d'au moins un mètre quatre vingt dix.
Il paraissait d'autant plus grand que son corps ne se constituait que d'os et de peau !...
Son visage, de couleur pâle, était lui aussi tout en longueur et recouvert d'une chevelure blonde, parfaitement coiffée.
D'ailleurs, et sans doute pour retenir une mèche rebelle, une épingle se tenait coincée sur le côté droit de sa tête.
Quant à ses yeux, ils étaient énormes, un peu globuleux et de couleur bleue, mais d'un bleu puissant et impressionnant. Et … évidemment, aucun d'eux n'était bridé puisque cet homme était … d'origine européenne !...
La suite on le devine alla très vite, sauf pour Hua qui pour la première fois de sa vie voyait un européen et un européen qui la dépassait de plus de cinquante centimètres !...
Alors, elle qui était pourtant si réservée osa demander à toucher cet homme, sans doute afin d'être certaine que ses mains rencontreraient bien de la matière.
Bien évidemment Monsieur Zhu s'y opposa. Mais le Français qui comprenait le Chinois, puisqu'il traitait en cette langue avec Monsieur Zhu, s'approcha de Hua.
Celle-ci était encore toute tremblante.
Mais même après avoir vu de ses yeux vus, Hua ne fut qu'à moitié convaincue qu'elle avait en face d'elle un homme. Car elle n'avait encore jamais imaginé qu'un être humain puisse être différent de ceux qu'elle côtoyait depuis toujours !...
Les rues de Shanghai aujourd'hui.
Avant de prendre congé Monsieur Paul expliqua qu'il n'en était pas à sa première victime. Car en effet en cette période de troubles les gens des campagnes arrivaient de contrée de plus en plus lointaine et avec une vision du monde et de ses habitants très archaïque !...
Lorsque la porte se referma derrière les deux hommes Hua éclata en sanglots. Alors sa patronne pour satisfaire à la demande de son mari la gronda, mais gentiment, et la pria de retourner faire les courses comme si rien n'avait eu lieu.
Sa petite aventure fit le tour du quartier. Et souvent, elle fut plaisantée à son sujet.
Mais à quelque chose malheur est bon car quand elle retourna chez les siens pour cultiver sa terre, Hua eût une histoire de fantôme à raconter.
Et … si Hua narra son histoire de fantôme en se donnant le beau rôle, qui n'en aurait pas fait autant ?!...
De toute façon, Hua n'est plus là pour la raconter !....
Jean de la Mainate - Merveilleuse Chiang-Mai - juin 2014
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